Ecologistes bretons et écotaxe française

Chronique publié le 20/10/13 22:17 dans Editorial par Jean-Pierre Le Mat pour Jean-Pierre Le Mat
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Des doutes et des débats parcourent aujourd'hui les milieux écologistes bretons à propos de l'écotaxe. Les uns parlent haut et me rappellent la citation attribuée à Robespierre : «Périssent les colonies plutôt qu'un principe». D'autres sont plus proches d'Hannah Arendt, pour qui la politique est l'art, non pas d'avoir raison, mais de permettre à des individus différents de vivre ensemble.

Les doutes se révèlent par des maladresses. Sur le site EELV Bretagne (voir le site) , le débat a été clôt brutalement, avec l'affirmation que le fruit de l'écotaxe servira à financer des infrastructures en Bretagne. C'est faux, et tout le monde le sait. L'argent des Bretons sera récolté par l'Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF). Elle est présidée par Philippe Duron, député-maire de Caen, qui vient de proposer par ailleurs au gouvernement (rapport Duron) le report après 2030 de la ligne à grande vitesse vers Brest et Quimper.

L'écotaxe n'a rien d'une mesure-phare. C'est le reliquat d'une série de préconisations qui s'est ratatinée avec le temps. L'objectif était de réduire de 20% les émissions de CO2 d'ici 2020. Il n'était pas seulement question du transport terrestre. L'idée était aussi celle d'un marquage CO2 des biens de consommation.

Belle idée, n'est-ce pas ? Eh non, finalement... Les calculs montraient que la vertu était là où on ne l'attendait pas. L'élevage intensif, plus productif et moins demandeur d'espace, serait apparu sur les étiquettes bien plus vertueux que l'élevage extensif. La FAO, organisme de l'ONU chargée de l'alimentation et de l'agriculture, dans son rapport «Livestock Long Shadow», l'avait déjà démontré. Pour créer des puits de carbone, il faut économiser des terres agricoles, et donc éviter les méthodes extensives. Ramené au kilo de nourriture, le MacDo est plus vertueux que le restaurant traditionnel. Le supermarché est moins polluant que le marché local, avec toutes ces voitures qui vont et viennent. Le marquage CO2 des biens de consommation, s'il avait été mis en place, aurait été une bombe contre la bien-pensance écologique.

Ce n'est pas non plus la première fois que des normes inspirées par un souci écologique seront effacées ou modifiées. Depuis le début des années 2000, en réaction à des scandales touchant le monde agricole, des réglementations anthropocentrées ont été promulguées sur l'alimentation des animaux, le logement des truies ou la place nécessaire aux poules pondeuses. Il faut parfois des années avant que ne reviennent s'imposer les réalités biologiques. La truie a un comportement hiérarchique qui la pousse à mordre des congénères trop proches. La poule est un animal extrêmement grégaire, dont le niveau de stress augmente si on l'éloigne des autres. L'écologiste Jared Diamond, dans son livre «De l'inégalité parmi les sociétés» explique que l'Europe et l'Asie ont précédé les autres continents dans la révolution agricole du néolithique grâce aux caractéristiques biologiques des espèces locales qu'ils ont domestiquées. Le cheval n'a pas le même comportement que le zèbre africain ; l'un est domesticable et l'autre pas. Il en est de même pour le boeuf par rapport au bison d'Amérique, pour le cochon par rapport à son cousin le pécari.

Les comportements innés des animaux sont à la base de l'élevage. Jared Diamond identifie six conditions de la domestication : le régime alimentaire, le rythme de croissance, l'absence de «mauvais penchants» comme celui de tuer ou de mordre, la capacité à se reproduire en captivité, une faible nervosité, une structure sociale à la fois grégaire, hiérarchique et non territorialisée.

La complexité du vivant fait que ceux qui y travaillent, du paysan au médecin, ne peuvent se contenter d'obéir à des articles de loi ou à des principes abstraits, à moins d'abdiquer toute conscience professionnelle.

En Bretagne, nous connaissons deux approches de l'écologie militante.

France Nature Environnement revendique la «stratégie contentieuse» (voir le site) et «l'action de plaidoyer» (voir le site) . La FNE est surtout représentée chez nous par «Eau et Rivières».

La deuxième approche est celle du Réseau Cohérence (voir le site) . C'est un «réseau d'une centaine d'associations qui crée des synergies entre les différents acteurs (consommateurs, paysans, collectivités, professionnels etc.) en Bretagne pour favoriser les modes de production, d'échange et de consommation plus équitables, respectueux des ressources naturelles».

Les uns considèrent que ceux qui travaillent dans la campagne sont des suspects, qu'il convient de surveiller. Les autres qu'ils sont des acteurs centraux, qu'il faut comprendre et convaincre.

«Eau et Rivières» et «Réseau Cohérence» ont des fondateurs communs et s'entrelacent de diverses façons. Mais cela est une autre histoire.

Je suis toujours frappé par la correspondance entre le rapport à l'autorité ou à l'État que chacun entretient dans sa vie professionnelle, et les solutions préconisées dans la vie militante. Ce n'est pas un hasard si, dans certaines corporations, on trouve plutôt des sensibilités «Eau et Rivières», dans d'autres une préférence pour «Cohérence». Des sociologues comme Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont décortiqué ces pesanteurs sociologiques pour expliquer les inégalités françaises, les arrogances et les clivages de notre «société de défiance» (voir le site)

Les pesanteurs sociologiques ont conduit la gauche française à privilégier une opposition public-privé au détriment de la dialectique classique entre capital et travail. Ces pesanteurs expliquent aussi l'importance de l'écologie punitive en France, à la différence de l'Allemagne, de la Hollande, ou d'autres pays européens. L'opposition consommateurs-producteurs se substitue à la dialectique entre profit et durée. Cette dialectique est porteuse d'innovation sociétale. Elle bouscule par là même l'ordre établi et les rapports d'autorité, contrairement aux stratégies d'opposition catégorielle.

Les écologistes portent le message que l'épuisement des terres agricoles est contraire aux intérêts vitaux de la Bretagne. Très bien. Les uns comprennent qu'une taxation sans retour vers le territoire est, elle aussi, contraire aux intérêts vitaux de la Bretagne. Les autres préfèrent défendre un principe.

Ah, Robespierre, quand tu nous tiens....

Jean Pierre LE MAT


Vos commentaires :
marc iliou
Dimanche 24 novembre 2024
Robespierre et ses déviances à l'époque peut-être pire que celles des nazis la Bretagne et la France ont déjà données il aurait fallu qu'il passe à la guillotine bien plus tôt pour épargner bien des vies ! et dire qu'il y a beaucoup de rues aussi bien en Bretagne qu'en France qui portent le nom macabre de ce terroriste français de la pire espèce !
Quand au PS pour qui j'ai voté une bonne partie de ma vie et qui veut nous imposer l'écotaxe crée entre autre par le gouvernement précédent il n'aura plus ma voix ni l'Ump d'ailleurs à l'origine de cet impôt. Et EELV qui défend cet impôt et à qui j'ai réservé mon vote depuis quelques temps peut aussi attendre longtemps que je recommence à lui accorder mes suffrages. Tous ces partis finalement n'ont pas à nous apporter de solutions pour la Bretagne et contrairement à ce que j'ai pu voir sur un article précédent je ne prône ni le vote FN ni le vote front de gauche partis jacobins s'il en est !
et j'espère que ma publication ne sera pas censurée pour pouvoir aussi être discutée sur ABP.

Jean-Loup LE CUFF
Dimanche 24 novembre 2024
A Marc Iliou:
Voir le site

et:

Voir le site


Emilie Le Berre
Dimanche 24 novembre 2024
Je me souviens d'une réunion d'information à Vannes il y a environ 2 ans, dans laquelle une association épaulée par le réseau cohérence nous mettaient à la face des cartes bretagne croupion.
Avec l'ami qui m'accompagnait ce soir là, nos regards se sont croisés et chacun devinait la pensée de l'autre : «cohérence ou co-errance ?»

Maxime B
Dimanche 24 novembre 2024
Evidemment s'il faut produire la même quantité de viande en extensif ça va partir en saucisse, mais l'idée c'est aussi de consommer moins mais mieux.
La poule stress toute seule, soit, mais de là à mettre les poulets les uns sur les autres...
Rien ne se perd tout se transforme, libre à vous de manger du cochon aux hormones et aux antibiotiques (c'est inclus dans le calcul du CO2 ça?), je préfère en manger moins souvent, mais qu'au moins ça soit du vrai muscle.

Jean Pierre LE MAT
Dimanche 24 novembre 2024
@ Maxime B
Votre critique est tout à fait pertinente.
Il faut sortir par le haut de l'alternative entre «une agriculture respectueuse des animaux et de la planète» et «une agriculture suffisamment productive pour nourrir tous les humains». La seule façon est ne pas raisonner en terme d'alternative mais de synthèse. Comment avoir une agriculture à la fois propre et productive ?
D'autres que moi se sont penchés sur la question. Leurs réflexions et les solutions qu'ils proposent sont passionnantes. Ainsi Michel Griffon avec l'AEI (Agriculture Ecologiquement Intensive). Ainsi avec Marc Dufumier pour l'agroécologie et son bouquin «Famine au sud, Malbouffe au Nord / Comment le bio peut nous sauver».
Là encore, il ne faut pas opposer ces francs-tireurs sincères, au nom de «principes». Laissons-les poursuivre leur route, expérimenter, convaincre. Dans les grandes questions actuelles, dont celle de l'agriculture, nous ne pouvons pas nous payer le luxe de la paresse intellectuelle.

Emilie Le Berre
Dimanche 24 novembre 2024
Oui Maxime. Je complète, le système actuel en plus d'être traumatisant pour l'animal (Gandhi disait que l'on mesure l'avancée d'une civilisation en regardant comment elle traite ces animaux domestique) est basée sur une grande consommation énergétique, seulement possible parce que l'énergie de nos jours ne coûte rien. Donc si nous n'enticipons pas c'est les lois de la physique qui vont s'en charger. Donc la consommation de viande va baisser quoiqu'il arrive.

Jean-Charles Perazzi
Dimanche 24 novembre 2024
Le nouveau taol kurun du samedi 2 novembre nous incite à faire des propositions pour un avenir breton plus serein.
Le texte de Jean-Pierre Le Mat a le mérite de nous donner quelques pistes de réflexion dans ce sens.
Est-il possible que les lecteurs de l'ABP proposent les leurs, ou simplement des remarques, des suggestions allant dans le même sens? Si possible dans un esprit plus positif que polémique. Même si la polémique bien comprise a ses vertus.
Ne soyons pas naïfs. Il n'est pas sûr que les politiques de tous bords, chez nous, à Paris ou à Bruxelles en tiennent compte. Encore moins les crânes d'oeuf sortis des Hautes Ecoles, chargés de leur bâtir des dossiers en ignorant complètement les réalités du terrain. Nous aurons tout juste la satisfaction d'avoir apporté nos petites pierres à l'édifice, sâchant que les petites pierres peuvent faire les grands champs de dolmens et de menhirs.
Voici, en vrac, un début de contribution.
- Annexe b.ter. Mesure d'hier utile ou non?
- Exportation. Par route, mer ou air?
- Production. Produire plus pour gagner plus ou surproduire ou tenir compte des besoins réels des consommateurs?
- Elevage. Poursuite de l'élevage intensif ou retour progressif à d'autres pratiques?
_ Agriculture. «Raisonnée», «Intensivement biologique» ou «biologique»? «Exploitation» agricole ou «ferme paysanne»?
- Consommation. Marchés locaux ou grandes surfaces avec (tendance actuelle), achats à distance?
- Energie. Nucléaire ou solution proposées dès les années 80 par le plan Alter breton?
- Nature. Poursuite du combat breton engagé dans les années 70 pour la qualité de l'eau des rivières, de la mer, des sols ou laisser-faire?
- Langues. Langue unique (anglais, chinois...) ou défense et illustration de celles, minoritaires, parlées chez nous et ailleurs?
- Travail. Partage du travail des salaires, des retraites, des responsabilités (utopie!) ou maintien des écarts actuels?
-Elus. «Au service de tous» (slogan des prochaines municipales et autres élections)ou de certaines catégories sociales?
Etc.

cédric gangneux
Dimanche 24 novembre 2024
A mon sens ,à mon sens vouloir defendre le système agro-industriel
breton convient à défendre les agissements des firmes agro-chimiques.dans le reste du monde .Je vous rappelle qu'énormement de soja transgénique arrive touts les mois en bretagne pour nourrir le bétail de bretagne.Quand on connait les conséquenses mortifères de cette culture,on a pas trop envie de défendre ce système et d'aller porter un bonnet rouge et de manifester avec les responsables de cette situation .De plus est , manifester aux cotés de l'extrême droite bretonne m'aurait été insupportable.C'est juste une question de convictions ,mais ça ,ça ne regarde que chacun avec sa conscience.Une petite citation de Gandhi qui ferait du bien aux bretons aujourd'hui et qui peut etre les ferait réfléchir un peu "vivre simplement pour que d'autres puisse simplement vivre.

SPERED DIEUB
Dimanche 24 novembre 2024
Et Cédric ouvrez les yeux sur la réalité de l'écotaxe car le scandale de sa mise en place est enfin dénoncé voir ci-dessous vous êtes aveugle concernant la position géographique de la Bretagne les écolos français raisonnent comme si elle se situerait dans la banlieue parisienne!!! ,pour le reste je partage en partie votre point de vue que vous auriez justement pu faire valoir hier à Kemper pour exemple Nadine Hourmand a eu un discours encore plus révolutionnaire que la CGT et elle a pu tout à fait s'exprimer longuement c'est çà aussi la démocratie bretonne mais les absents ont toujours tort
Rejoignez le combat des forces vives de la Bretagne
Voir le site

PIERRE CAMARET
Dimanche 24 novembre 2024
GANDHI , cela commence a faire tres longtemps ... le monde a beaucoup change depuis ...... et changera encore .
Quelle droite ???? la droite bretonne , je les trouve corrects.Vous me diriez a cote du FN , je serai d'accord avec vous .
Les systemes economiques de nos jours , ne sont plus independants , le moyen age , c'est loin derriere nous .Le monde est devenu petit .. nous sommes dependants des marches ..... la preuve , difficile a vendre les poulets au Bresil ??? pourquoi les gouts , le marche a change ??il n'y a rien faire : sinon trouver un autre marche, ou changer de production . Cela un Management doit pouvoir l'anticiper .

SPERED DIEUB
Dimanche 24 novembre 2024
Pierre vous avez fait une erreur le Brésil est bien plus exportateur de poulets et autres denrées agricole que importateur c'est un pays continent aux grandes étendues de terres fertiles ,donc de fait d'exploitations gigantesques ,la Bretagne dans ce sens petit pays à l'habitat dispersé au relief hétérogène ,composé surtout dans sa partie ouest d'un important maillage de cours d'eau de terres souvent perméables ,cela est pénalisant au point vue de l'environnement malgré que les pratiques de nos agriculteurs dans ce domaine sont devenues bien plus respectueuses qu'ailleurs .C'est un pays adapté à la polyculture et à la production herbagère qui même intensive a beaucoup moins d'impact sur l'environnement que la monoculture maîs céréales système couteux en intrants et en importation de soja OGM en plus !!!ce qui affaiblit notre compétitivité mais qui est mis en avant par l'agro business c'est compréhensible !!
La production agricole bretonne a un marché de relative proximité qui est sous exploité bien qu'il n'est pas facile c'est le marché anglais de plus en plus déficitaire en produits alimentaires par exemple la poudre de lait infantile est actuellement rationnée du fait des razias chinoises

bruno ansker
Dimanche 24 novembre 2024
L'élevage hors-sol n'est pas intensif, mais concentrationnaire...
Produire de la mauvaise qualité alimentaire, polluer les sols, l'air et l'eau, détruire les paysages, éliminer un à un les paysans, ici mais aussi dans les pays d'où on importe le fameux soja, n'est encore rien par rapport à l'abjection qui consiste à profiter de la souffrance animale, à l'organiser méthodiquement, à essayer de la justifier éventuellement...
Il y a encore trente ans, cela semble incroyable, on pensait que les jeunes enfants ne souffraient pas, et les médecins n'utilisaient les anesthésiants qu'avec parcimonie...Aujourd'hui, on sait que l'animal aussi connaît la souffrance, que c'est un être vivant et non une « matière » à travailler...
Faire de l'économie sans éthique, évidemment, c'est possible ; de la politique aussi, bien sûr ; mais à quoi bon ?
Il est important de se souvenir que cet élevage hors-sol a été mis en place par une décision colbertiste de l'état français, Pisani et De Gaulle aux commandes : avec ses ports, la Bretagne allait nourrir ses porcs !
On peut produire autrement, on doit produire autrement.

PIERRE CAMARET
Dimanche 24 novembre 2024
@Spered Dieub . J'admets que mes connaissances en matiere agricole sont tres faibles ... et pourtant , comme tous , j'ai des ancetres paysans.
Le marche anglais est le marche traditionnel . Pourquoi pas le reouvrir ???

PIERRE CAMARET
Dimanche 24 novembre 2024
@Spered Dieub . J'admets que mes connaissances en matiere agricole sont tres faibles ... et pourtant , comme tous , j'ai des ancetres paysans.
Le marche anglais est le marche traditionnel . Pourquoi pas le reouvrir ???

SPERED DIEUB
Dimanche 24 novembre 2024
Pierre merci pour votre réponse mais vous confirmez mes idées en disant que le marché anglais est le marché traditionnel ,l'Angleterre étant le partenaire historique principal de la Bretagne depuis l'antiquité bien qu'à cette époque ni l'une ni l'autre ne portaient ce nom Les relations se sont atténuées progressivement depuis la fin de l'indépendance bretonne, sans dénigrer la notion d'inter celtisme celle ci n' a pas non plus favorisée la reprise des relations du fait que le mouvement breton a été solidaire des celtes d'outre Manche je pense qu'à l'avenir il faudrait donner un nouvel équilibre aux relations entre nos divers partenaires d'outre Manche d'autant qu'une partie du peuple anglais est porté sur la culture celtique

SPERED DIEUB
Dimanche 24 novembre 2024
Voici un lien pour Pierre Camaret au sujet de l'agriculture brésilienne
Voir le site

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