Beau succès du colloque historique organisé le 28 août dernier à Saint-Cast

Dépêche publié le 3/09/08 12:09 dans Histoire de Bretagne par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail

Près de 300 participants passionnés ont suivi jeudi dernier les conférences et débats du colloque organisé sur les lieux-mêmes de la fameuse bataille de Saint-Cast qui s'est déroulée le 11 septembre 1758, il y aura donc exactement 250 ans dans quelques jours. Ce colloque avait lieu en effet face à la mer, dans la salle d'Armor, en bordure de la chaussée qui borde aujourd'hui la grande plage de Saint-Cast.

Il y a encore moins d'un siècle, la station balnéaire n'existait pas, il n'y avait qu'une vaste grève, bordée d'importantes dunes dans sa partie haute, et c'est là qu'eut lieu la phase finale, au cours de laquelle l'armée anglaise, en se réembarquant, perdit près de 1 200 hommes qui furent enterrés les jours suivants dans des fosses communes creusées directement dans ces dunes. C'est dire combien il était facile pour tous les participants au colloque, en regardant sous un ciel gris cette baie tranquille, vide de grands vaisseaux, et en distinguant sur la droite les Ébihens et, plus loin, Saint-Jacut et Lancieux, et plus loin encore Saint-Briac, d'imaginer ce qu'avait pu être cette bataille, avec le tonnerre et la fumée des canonnades, les tirs de mousquets, les cris des combattants engagés dans de terribles combats au corps à corps, les râles des blessés...

Il aurait été bien dommage que le 250e anniversaire de cette importante bataille passe inaperçu et il faut saluer les organisateurs de ce colloque et la municipalité de Saint-Cast car ils ont bien fait les choses.


L'évolution des forces navales française et anglaise entre 1755 et 1758

Ouvert par un adjoint au maire, le colloque a débuté par un exposé magistral du professeur Patrick Villiers, de l'Université du littoral, grand spécialiste des marines européennes du XVIIIe siècle, sur «l'évolution des forces navales française et anglaise entre 1755 et 1758».

Il a d'abord souligné le fait que, depuis un accord passé entre Fleury (résolument pacifiste) et Walpole en 1715, la France avait renoncé à la suprématie maritime et conçu sa marine essentiellement comme devant jouer un rôle seulement défensif de protection de son commerce maritime et, en particulier de son commerce colonial, c'est à dire la traite des noirs d'Afrique et surtout l'or blanc que constituait le sucre. La marine anglaise était elle tout entière tournée vers la guerre et, au XVIIIe siècle, elle était deux fois plus forte que la marine française : elle comptait une centaine de vaisseaux, quand la France n'en avait que 40 à 60.

Il ne faut pas oublier qu'il y avait une troisième marine importante en Europe, la marine espagnole qui avait 30 à 45 vaisseaux selon les périodes. On peut s'étonner que la France, premier pays d'Europe par sa population, ait été surpassée par l'Angleterre, mais il faut prendre en compte le fait que la France, puissance continentale, consacrait une part bien plus importante de son budget militaire aux armées terrestres, alors que l'Angleterre n'a pratiquement pas eu d'armée de terre pendant de longues périodes. La puissance navale ne faisait que refléter les choix budgétaires et les priorités politiques de chaque pays.

En 1739, une guerre entre l'Angleterre et l'Espagne à propos du commerce interlope que pratiquaient les Anglais dans l'empire colonial espagnol, fit prendre conscience aux Anglais que leur marine, bien que plus puissante, n'était pas aussi avancée que celle de l'Espagne, de construction plus récente et de conception ultra-moderne, comme du reste la flotte française. En 1744, ils en eurent confirmation lors de la bataille de Toulon les opposant aux Français et aux Espagnols alliés ; ce fut un «match nul» auquel ils étaient loin de s'attendre. Les grands vaisseaux pouvaient emporter six mois de vivres et de l'eau pour quatre mois ; ils n'avaient donc plus besoin de disposer d'arsenaux dans le nouveau monde ou ailleurs et pouvaient mener des opérations depuis l'Europe et revenir, sans avoir besoin de s'arrêter.

Le commerce colonial français était alors extrêmement florissant et rapportait beaucoup d'argent aux armateurs et négociants de Bordeaux, Nantes, Le Havre, Saint-Malo et d'autres ports. Le sucre des Antilles rapporté dans ces ports était ensuite redistribué dans le reste de l'Europe et ce commerce constituait une des principales ressources du budget de l'État. Les commerçants de la City de Londres voyaient d'un très mauvais œil ce succès et la bourgeoisie anglaise poussait donc à la guerre contre la France.

La France eut pour atout un grand secrétaire d'État à la Marine, le comte de Maurepas, lui-même fils du comte de Pontchartrain, qui avait lui aussi été à ce poste. On a longtemps, à tort, sous-estimé les qualités de Maurepas, qui fut un ministre clairvoyant, passionné par les sciences et qui bénéficia d'un long mandat puisqu'il occupa son poste de 1723 à 1749.

En 1729, le budget de l'armée française était de 60 millions de livres, celui de la marine de seulement 9 millions de livres, dont 6,5 millions de dépenses indispensables et incompressibles. Il restait donc très peu d'argent pour des constructions navales neuves et on ne pouvait construire en moyenne que 1,2 vaisseau nouveau par an...

La France eut aussi un autre atout de poids en la personne d'Henri-Louis Duhamel du Monceau, étonnant personnage, né à Paris en 1700 et qui avait fait des études de droit pour être avocat, mais, esprit encyclopédique, il allait se passionner pour les sciences et les techniques, devenir un féru de mathématiques et publier en 1752 des «Éléments d'architecture navale» ! Envoyé comme espion en Angleterre à 25 ans, il devait être nommé par Maurepas inspecteur général des constructions navales en 1739, créant en 1741 l'ébauche de ce qui devait devenir plus tard l'École du Génie maritime. C'est lui qui préconisa la construction d'une nouvelle série de navires, plus longs et plus puissants. L'objectif pour la France était avant tout de défendre son commerce colonial qui faisait la richesse des ports et du littoral. Disgracié, Maurepas fut remercié en 1749 et, à sa suite, il y eut une série de secrétaires d'État, pas toujours compétents, qui ne restèrent en poste que 18 mois en moyenne.


De leur côté, les Anglais s'apprêtaient à reprendre l'initiative...

En avril 1755, comme allaient le faire plus tard les Japonais à Pearl Harbour, l'amiral anglais Boscawen passa soudain à l'offensive contre la marine française dans l'Atlantique Nord, bien que les deux pays fussent alors officiellement en paix. Bénéficiant ainsi d'un total effet de surprise, il put s'emparer de vaisseaux français au large de Terre-Neuve, «l'Alcide» et «le Lys», ainsi que de nombreux bateaux de pêche et à des navires marchands.

La France fut lente à réagir et ce n'est qu'en 1756 que Louis XV déclara la guerre à l'Angleterre. On allait appeler plus tard cette guerre la «guerre de Sept ans» et elle allait être désastreuse pour la France. La supériorité navale anglaise allait être absolue et se traduire par la conquête du Canada, des îles à sucre, la Guadeloupe, puis Saint-Domingue, les possessions françaises aux Indes... Plus de 20 000 marins français allaient se retrouver prisonniers dans des conditions affreuses et durant de longues années, à bord de pontons, en Angleterre, 'asséchant' ainsi largement les possibilités d'armer de nouveaux navires avec des marins compétents...

L'amiral Hawke allait bloquer le port de Brest en 1759 pour empêcher un projet français de débarquement en Angleterre, puis livrer une bataille décisive en novembre, entraînant la destruction de neuf vaisseaux français. La nomination de William Pitt au poste de Premier Ministre (la dénomination n'existait pas encore) en 1756 avait mis à la tête du pays un homme déterminé à détruire la puissance maritime de la France et à ruiner son commerce colonial.

Les «descentes» militaires en France étaient pour eux un moyen d'affaiblir la France en l'obligeant à conserver un grand nombre d'hommes en armes sur tout son littoral et à y créer partout un sentiment d'insécurité.


Pourquoi Saint-Malo ? Stratégie anglaise indirecte ou unique objectif ?

Le professeur André Lespagnol, grand spécialiste de l'histoire de Saint-Malo et aujourd'hui vice-président du Conseil régional de Bretagne chargé de la recherche et de l'enseignement supérieur, prend la suite du professeur Patrick Villiers en s'interrogeant sur le choix de la cible : Saint-Malo. Avant le débarquement de septembre 1758 à Saint-Briac, il y avait déjà eu, le 5 juin 1758, l'arrivée de 115 vaisseaux anglais au large de la pointe du Grouin, un bombardement de Cancale, puis le débarquement de 20 000 hommes sous les ordres du duc de Marlborough, la dévastation de la zone comprise entre Cancale et la Rance, la destruction des bateaux échoués à marée basse sous les remparts de Saint-Malo et de gros dégâts causés à Saint-Servan, puis, devant la résistance des Malouins, le retrait en bon ordre des Anglais au bout de dix-sept jours...

La «guerre de Sept ans» fut véritablement une guerre mondiale. Le grand affrontement franco-anglais, de 1754 à 1763, se doubla en effet d'une guerre sur le continent européen entre la Prusse et l'Autriche; le Canada, les Philippines, les Indes et les Antilles furent d'autres théâtres d'opérations. Ce fut un affrontement sans merci ayant pour enjeu l'hégémonie mondiale par une des deux principales puissances en guerre : la France et l'Angleterre. Dès le début, la stratégie britannique fut clairement une stratégie conquérante, offensive, agressive et engageant de très gros moyens.

L'objectif de Pitt était clair : éliminer la France au Canada et aux Indes. La «Clear Water policy» visait à donner à l'Angleterre la suprématie absolue sur mer. En attaquant le littoral français, on créait une diversion et on contraignait la France à fixer des troupes importantes qui ne pouvaient être engagées en Allemagne... Les «opérations combinées» associaient les forces navales et des corps de débarquement. Pour les Anglais, les principales cibles stratégiques sur le littoral atlantique français étaient les grands arsenaux : Brest et Rochefort, et les grands ports de commerce : Bordeaux, Nantes, Lorient... En 1757, une opération visant Rochefort, avec un débarquement à l'île d'Aix, s'était soldée par un échec piteux. Sur la Manche, à proximité donc des grandes bases anglaises de Plymouth et Portsmouth, les cibles possibles étaient Le Havre, Cherbourg et Saint-Malo. Le port de Cherbourg allait être pris un temps par les Anglais, mais il n'avait pas encore l'importance qu'il devait prendre au XIXe siècle. À deux reprises déjà, en 1693 et 1695, des attaques avaient été menées contre Saint-Malo, avec des bombardements.

Dans les années 1750, Saint-Malo apparaissait dans une phase de déclin, tant au niveau de sa population que de son commerce, mais la ville n'en demeurait pas moins une proie tentante. Le port conservait un trafic important : 100 000 tnx par an ; il était le premier port morutier français avec 80 à 100 armements par an pour Terre-Neuve et quelque 4 500 marins ; à partir de 1749, il était devenu le troisième port négrier français. À une époque où les communications terrestres étaient difficiles et surtout très lentes, c'était un important port au cabotage («coastal trade») avec son annexe de Saint-Briac, irriguant toute la façade atlantique. Saint-Malo restait aussi une grande place pour le commerce des toiles de Bretagne et du Maine, exportées en Espagne et, par le relais de Cadix, au Pérou et au Mexique. Les rives de la Rance étaient une pépinière de marins et avaient aussi un important potentiel de constructions navales. Enfin, sans être un port de guerre, Saint-Malo armait régulièrement à la course en temps de guerre et avait donc un grand pouvoir de nuisance pour les Anglais dans la Manche. En 1757, Saint-Malo armait 29 navires corsaires, représentant un total de 5 600 tonneaux et 4 600 hommes. Attaquer Saint-Malo, c'était s'en prendre aux frelons dans leur nid...

Lors de la première descente, en juin, les Anglais avaient bénéficié d'un effet de surprise et rencontré peu de résistances. Leur opération avait ressemblé à une 'promenade' jusqu'à Dol et Saint-Servan. En incendiant 70 navires, ils avaient anéanti d'un coup près de la moitié de la flotte malouine... La deuxième attaque, en septembre, allait être une autre affaire. Certes, les Anglais allaient détruire une trentaine de barques au cabotage dans l'estuaire du Frémur, à Saint-Briac, mais leur cible principale, Saint-Malo, ne devait aucunement être touchée et la fin de l'opération allait s'avérer pour eux désastreuse. L'effet psychologique, accru par les importants ravages laissés sur leur passage, était important, mais le coût budgétaire était très élevé du côté anglais : la participation de 100 vaisseaux et d'un corps expéditionnaire de 6 000 à 8 000 hommes représentait une stratégie très coûteuse et on peut encore se poser la question ; le jeu en valait-il la chandelle ?


Le déroulement des opérations

François Chevalier, maître de conférences honoraires de l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne, retraça ensuite jour après jour et parfois heure après heure, le déroulement de la descente anglaise de septembre 1758 en reprenant les divers récits consacrés à ces événements.

Dans la matinée du dimanche 3 septembre 1758, une flotte anglaise de plus de 100 voiles fut signalée par la frégate «Renoncule» au large du fort La Latte, la frégate donna aussitôt l'alerte en tirant trois coups de canon, toutes les batteries de la côte donnant l'alerte à leur tour. Le marquis de la Châtre, responsable de la défense de Saint-Malo, mit aussitôt la ville en état de défense

Placée sous les ordres du commodore Richard Howe, lui-même à bord de «l'Essex» (64 canons), la flotte anglaise s'approcha beaucoup plus près le lundi 4 septembre au matin, s'embossa devant Saint-Briac et Saint-Lunaire et débarqua près de 5 000 hommes dans l'anse de la Fosse à Saint-Briac au cours de l'après-midi, bientôt rejoints le mardi 5 septembre par 4 000 hommes, dont des cavaliers (dragons). Les troupes ainsi débarquées sous le commandement du général Bligh, établirent un camp sans rencontrer de véritable opposition.

Le mardi 5, des troupes anglaises s'avancèrent vers Dinard, mais en arrivant à la Rance, elles essuyèrent le tir des canons de la «Renoncule» et d'autres navires, placés dans l'estuaire de la Rance et il apparut clairement que celle-ci constituait un obstacle infranchissable pour attaquer Saint-Malo, par ailleurs solidement défendue. Le mercredi 6 septembre, une tentative anglaise pour s'emparer des Ébihens échoua, de même que plusieurs tentatives pour franchir l'Arguenon au passage du Guildo.

La nouvelle de l'attaque anglaise étant parvenue dès la soirée du 3 au duc d'Aiguillon, commandant de l'armée royale en Bretagne, alors en tournée d'inspection à Camaret, celui-ci put aussitôt envoyer des ordres dans différentes directions pour diriger des canons et des régiments de Brest, de Rennes et de Nantes vers le secteur menacé. Le jeudi 7 septembre le duc d'Aiguillon est déjà à Lamballe où il passe en revue 4 500 hommes sur le Champ de foire.

Conscient dès le jeudi que l'opération n'a aucune chance d'aboutir, le général Bligh met ses troupes en marche le vendredi 8 en direction de Saint-Cast, tout en laissant un pays dévasté derrière elles. L'Arguenon est franchi le samedi 9, les Anglais s'installent à Matignon le 10 et, le lundi 11 septembre, les troupes anglaises commencent à se réembarquer à partir de la grève de Saint-Cast devant laquelle se sont déployés les navires anglais. Le duc d'Aiguillon s'est installé au moulin d'Anne avec une partie de son artillerie tandis que les différentes troupes attendues arrivent. À 10 h 30, il donne l'ordre d'attaquer par la gauche. De nombreux volontaires de la région se joignent aux troupes royales. Les canons de la flotte anglaise et ceux de l'artillerie française se mettent à tirer et les combats deviennent de plus en plus violents. 6 000 Anglais ont déjà pu être rembarqués, mais ceux qui sont encore à terre subissent de lourds pertes. L'amiral Howe finit par hisser le drapeau blanc. Les Anglais laissent sur la grève de Saint-Cast 1 160 tués, de nombreux blessés et 732 prisonniers, dont quatre colonels, quatre lieutenants-colonels et trois capitaines de vaisseau. Il y a eu 155 morts, dont sept officiers, et plus de 300 blessés, dont certains mourront dans les jours et les semaines suivants, du côté franco-breton...


Le rôle de l'artillerie et les témoignages des contemporains

Au cours de la suite du colloque, les participants purent entendre une communication de Madame Anne Hoyau-Berry, de la Direction des recherches en archéologie sous-marine (DRASM) et doctorante, sur l'artillerie navale embarquée, une communication de M. Jacques Gury, maître de conférences honoraire à l'Université de Bretagne Occidentale sur l'artillerie française terrestre à la bataille de Saint-Cast, et la lecture, captivante, par Madame Caroline Dorange-Poupinel de correspondances provenant d'archives familiales et donnant des informations, parfois de première main, sur les événements survenus dans la région en ce début de septembre 1758.

Les organisateurs qui ont ainsi magnifiquement tenu leur pari, prévoient la publication intégrale des actes de ce colloque, sans doute l'an prochain. D'autres manifestations sont encore prévues dans les prochains jours pour le 250e anniversaire de la bataille de Saint-Cast et elles culmineront les 13 et 14 septembre.

Pour plus d'informations, on peut s'adresser à Julie Lévis
tél. : 06 74 52 72 29,
courriel : 1758@saintcastleguildo.fr et aussi aller sur le site de l'office de tourisme de la commune : (voir le site)


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