Réédition du Monde comme si de Françoise Morvan

Chronique publié le 11/08/21 14:48 dans Politique par Philippe Argouarch pour ABP
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Pendant la guerre d’Algérie, le ministre de la Défense Pierre Messmer aurait envoyé une circulaire à tous les officiers supérieurs de l’armée leur disant qu’ils se battaient « contre le communisme ». Pendant la 2nde Guerre mondiale, les Allemands qualifiaient les résistants de « terroristes ». En ex-URSS et pour les communistes, les nationalistes ukrainiens, baltes, polonais, hongrois, tchèques, géorgiens, étaient des « réactionnaires », des « contre-révolutionnaires » ou « des agents de l’impérialisme américain ». De tout temps, les gouvernements, leurs médias contrôlés ou subventionnés, et les idiots utiles payés ou pas, ont essayé de faire passer les nationalistes pour ce qu’ils ne sont pas, car les gens comprennent naturellement que défendre son pays, sa nation, son peuple, sa culture, sa langue, son droit, est tout à fait naturel.

Dans le cas de la Bretagne, les adversaires de la restitution de certains « droits à la différence », comme le droit de pouvoir enseigner son histoire, de pouvoir parler sa langue dans le secteur public ou juridique, de pouvoir l’enseigner en immersion, ou le droit d’avoir un corps administratif dans les limites de son territoire historique, ont essayé plusieurs fois depuis la fin de la guerre de présenter ces « nationalistes bretons » comme des fascistes, voire des nazis. Le nationalisme breton serait un mouvement fasciste ! C’est ce qu’a essayé de démontrer Françoise Morvan dans son livre intitulé Le monde comme si publié en 2002 et qui vient d’être réédité - au sein de sa propre maison d’édition qu’elle a créée avec son compagnon.

Le livre a fait l’objet de vifs débats dernièrement sur les réseaux sociaux faisant suite à un reportage d’ABP (voir notre article). Notons que Françoise Morvan a dorénavant un porte-parole, son propre compagnon, le traducteur, éditeur, poète et écrivain André Markowicz, qui a repris de plus belle, sur les réseaux sociaux, les erreurs de sa compagne, jouant aussi la même carte de « persécuté », sans parler de la clique de fanatiques qui la défendent bec et oncles comme Frank Bodenes ou Joann Masuyer.

J’ai lu ce livre il y a longtemps et je l’ai encore sur une étagère pour référence. Oui les faits rapportés sont en gros exacts en ce qui concerne la collaboration active ou passive de certains militants pendant la guerre. Par contre, les sources sont parfois absentes ou insuffisantes. Il s’agit d’une biographie avec des aspects de règlements de comptes, pas d’un livre d’histoire. Certains faits sont mêmes contestés comme l’a montré Yves Mervyn dans ses livres. Il y a aussi des accusations graves non sourcées (page 251) comme par exemple : « l’abbé Perrot dénonçait à Fouéré les réfractaires du STO» . Certes, prouver de telles allégations est difficile. Ce sont des choses possibles, mais si on est incapable de les prouver, il vaut mieux ne pas les affirmer.

Ce qui s’est passé pendant la guerre, en aucun cas, ne délégitimise le mouvement breton et ses revendications actuelles.

Un amalgame honteux

Vouloir mettre un lien entre la collaboration de certains militants de la cause bretonne pendant la guerre et le mouvement breton actuel est non seulement grotesque mais inacceptable et malhonnête. Même si des personnes ont commis des erreurs pendant la guerre, elles ont le droit de changer. Mitterrand a été pétainiste et a fini par changer de camp à la fin de la guerre. Il a même écrit dans un journal dont certains articles étaient antisémites.

Les militants bretons d’aujourd’hui, du moins ceux de l’époque de la parution du livre, seraient d’affreux fachos ? C’est comme si vous vouliez établir que la Croatie est un état illégitime et fasciste parce que la Croatie a été créée en 1941 par l’Allemagne nazie. Elle a collaboré massivement (avec des divisions entières) avec les Allemands et des crimes de guerres ont été commis contre les Serbes et les opposants politiques. La Bretagne à côté c’était la Riviera.

Même chose avec la France de Mitterrand, oui la France de Mitterrand, le PS même, serait illégitime selon le raisonnement de FM car Mitterrand a été décoré de la Francisque par Pétain, qu’il a activement collaboré et que de plus il est resté ami avec des criminels antisémites comme Bousquet.

Un livre règlement de comptes, pas une recherche objective

Une étude sérieuse concernant la Bretagne pendant la guerre aurait inclus un avant-propos, révélant que des militants avaient rejoint la Résistance, d’autres les Forces françaises libres. Il aurait été honnête d’écrire que la Bretagne est la région qui a fourni le plus de réfractaires, voire de résistants. Honorons tous ces marins pêcheurs et pas uniquement ceux de l’ile de Sein qui ont rejoint les Forces françaises libres en GB. Le général De Gaulle s’en est même étonné en juin 1940 « L’île de Sein est donc le quart de la France ?» mais il n’y avait pas que des Sénans. Ils sont partis de toute la Bretagne. L’exil, les Bretons connaissent bien. Le Finistère est le département qui a eu le plus de députés qui ont refusé de signer les pleins pouvoirs à Pétain. Le commando Kieffer qui a débarqué sur Juno Beach était composé de 40% de Bretons. Beaucoup de militants ou de sympathisants de la cause bretonne ont rejoint la Résistance ou les Forces françaises libres pendant la guerre ne serait-ce que Pleven qui a rejoint de Gaulle dès juin 1940 (il était déjà à Londres) et qui plus tard sera co-fondateur du CELIB. Voir le livre de Jean-Jacques Monnier « Résistance et conscience bretonne (1940-1945) : l'hermine contre la croix gammée ». Le militant et écrivain breton, aussi magistrat, [[Yann Brékilien]] (son vrai nom est Jean Sicard) ouvertement autonomiste, que l’on peut même qualifier de « nationaliste » selon la définition de Françoise Morvan, a fait partie de pas moins de trois réseaux de résistance (voir notre article).

Des faits isolés montés en épingle et disproportionnés

Il y a moins d’une centaine de militants bretons qui ont collaboré militairement avec les Nazis dans des opérations militaires contre la résistance, oui parfois avec actes de tortures. Cependant la division Charlemagne était composée de 5 000 Français engagés volontaires dans l’armée allemande, en plus dans la SS, sans même parler de la milice. Il n’y a jamais eu de camps de concentration en Bretagne, il y en a eu en France occupée. Mais tout ceci ne préoccupe pas FM, son obsession c’est de dénigrer la cause bretonne et ceux qu’elle regroupe sous le terme de « nationalistes » . Pour Françoise Morvan, les autonomistes bretons, les indépendantistes écossais ou catalans, les nationalistes Ukrainiens qui se battent contre les Russes, et tous les nationalistes qui se sont battus dans les colonies françaises pour leur indépendance, tous des fascistes ! Tels sont les raccourcis du livre même si ce n’est pas écrit noir sur blanc. Pour préciser, ce n’est pas le nationalisme qui mène à la guerre comme l’a dit François Mitterrand, mais c’est la négation de celui-ci, et plus grave, vouloir en faire autre chose que ce qu’il est. La guerre c’est n’admettre que son propre nationalisme et nier celui de l’autre.

Des erreurs grossières

Bon j’ouvre le livre (l’édition de 2002) et dès la page 11 je trouve une énorme bêtise. Françoise Morvan confond (volontairement ?) la province Bretagne et la région administrative Bretagne « les statistiques nous disent que la Bretagne, péninsule de 28 000 kilomètres carrés est une province…. ». Non Madame, la province dont vous parlez a 34 088 km2, la région administrative en a 27 208 et non pas 28 000.

La langue bretonne ne sert plus à rien

Via le long récit perso des désaccords de Françoise Morvan avec son directeur de thèse qui seront l’objet de nombreux procès, et ses conflits avec les militants de la langue bretonne, tout passe à la moulinette:

Diwan qu’elle a co-fondée, l’Institut culturel, le Conseil culturel, l’institut de Locarn, Produit en Bretagne et même le CELIB grâce à qui on a obtenu un réseau routier et des usines comme Peugeot à Rennes. Le livre est tout imprégné d’un anticapitalisme forcené. On sent déjà des affinités avec le futur NPA et la future France insoumise qui est la suite d’une tendance trotskyste lambertiste. Elle écrit « le régionalisme n’est qu’un appel de l’ultra libéralisme »,un nouvel opium du peuple qu’elle appelle « l’opium du monde ». Oui, elle fait cette distinction : les nationalistes sont tous des fascistes et les régionalistes tous des ultras libéraux !

Où elle est la plus dure pour une brittophone, c’est sur la langue bretonne « qui n’est pas parlée ». Pour elle, c’est juste une composante de patrimoine breton comme les gwerz, un objet d’étude linguistique ou historique, voire scientifique... C’est son métier en fait. Oui, elle aime la langue bretonne comme on aime le grec ou le latin, mais pour elle il n’est pas question de la défendre en tant que langue vivante et tous ceux qui la défende seraient d’affreux « nationalistes » qui veulent en faire une « question politique ». Ce qu’elle veut réellement défendre c’est le français qui est menacé

L'imposture, c'est de laisser croire qu'il s'agit de sauver une langue par l'école, alors qu'un pourcentage infime des enfants la parlent, quand le but des politiciens qui appuient les écoles Diwan est de régionaliser l'enseignement pour pouvoir le privatiser aussi largement que possible ; de laisser croire qu'en subventionnant ce qu'on appelle maintenant des « identités » on combat la mondialisation, alors que ces « identités » ne servent qu'à provoquer une fragmentation favorisant une destruction des cultures vivantes en Europe. Ce sont ces cultures qu'il s'agit de défendre — et l'enseignement de l'allemand, de l'italien, du portugais, du russe, et autres langues européennes, enseignement actuellement sinistré, comme l'enseignement du français dans les autres pays d'Europe, minces remparts contre l'américanisation à marche forcée. __Françoise Morvan


Vos commentaires :
Vendredi 3 mai 2024
C'est un ouvrage que j'ai lu il y a quelques années.
Il contient une logique tout à fait discutable qui consiste à associer des individus aux méchants désignés initialement et à leur faire porter à leur tour l'idéologie des premiers. Ainsi, parce qu'un mouvement ou une association contient des membres problématiques, alors toute l'association deviendrait coupable.
La façon dont est analysée la question nationale est aussi problématique. La simple idée de nationalisme est exposée comme criminelle. Est-il possible alors d'avoir une simple conscience d'un peuple avec une part d'imaginaire partagé, une langue partagée ? L'auteure ne prend pas de recul par rapport à la problématique française de la nation.

La question de la collaboration doit être cependant posée et il est dans son droit de le faire.
Tout comme celle du «monde comme si» qui aveugle une partie du militantisme sur une société bretonnante (ou brittophone) qui a disparu hors des niches scolaires et culturelles. On est ainsi passé d'un monde où le breton était parlé à un seul bout de la chaine (la société populaire) à un monde où il n'est plus parlé qu'à l'autre bout (une population très éduquée et minoritaire). En plus d'un niveau scolaire déplorable en breton, il y a malheureusement ici un écosystème qui ne peut fonctionner.

Le tort de Françoise Morvan est probablement d'avoir fait paraître un ouvrage polémique et peu nuancé sur des questions qui auraient pu être simplement posées et développées. Elle y a mis à l'index (entrainant avec elle une partie de la presse parisienne) des choses diverses en les assimilant, nationalisme et collaboration nazie par exemple, mêlant un point de vue politique qui ne lui plait pas (c'est son droit) à ce qui relève du crime. Une approche équilibrée en démocratie devrait pourtant savoir faire la différence.

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