C’est l été : de nombreux journalistes de Libé étant en vacances, on fait appel à des supplétifs pour remplir les colonnes. Samedi 2 août c’était au tour de Jean Marc Huitorel, critique d’art rennais, de mettre le pied à l’encrier pour nous conter la genèse de la Vallée des Saints. On avait déjà eu le droit aux élucubrations, dans la même veine, de son amie Françoise Morvan au moment de la breizh touch !, et on pensait qu’il s était agi d’une erreur de prescription chez l’auteure ou d’un problème d’appréciation à la rédaction, mais non, il y a une logique !
Car si JMH est critique d’art, il est surtout, comme son acolyte, spécialiste en complots triskellisés : leur dada c’est le triptyque libéralisme-chrétienté-nationalisme qui se trouverait engagé, en lousdé, derrière la plupart des événements et mouvements politico-culturels créés en Bretagne ces dernières années (Festival Interceltique, Ecoles Diwan, Bonnets Rouges, Produit en Bretagne, etc.). À les écouter, il vaudrait mieux d’ailleurs évoquer un trident, car le phénomène les inquiète terriblement, d’autant qu’à la tête de ce néfaste dessein prospère l’institut de Locarn, think tank que Morvan assimile dans son réjouissant grimoire Le monde comme si à une émanation bretonne de l’Opus Dei, liée aux Hasbourg autant qu’à la finance mondiale, sans oublier les éleveurs de porcs. Mais les néo nazis ne sont jamais loin non plus. Ça fait du monde !
Huitorel, sans doute lui aussi diplômé de l’école de Poudlard, joue légèrement plus petit bras que sa consoeur, mais il est néanmoins en pleine forme car il devine derrière cette vallée des saints : « culte des héros, des morts et… des saints, reconstruction d’un passé mythifié, renouveau spirituel, revendication identitaire face aux dangers du multiculturalisme amplifiés par les récents phénomènes migratoires. Vieille antienne. Articulé à l’antique irrédentisme breton, tout cela se plaît à flatter le sentiment d’appartenance, sinon le nationalisme. Et quid de la proposition «artistique» ? » . JMH nous indique également que l’institut de Locarn est une entreprise « dont l’idée fondatrice est que le développement économique revêt intrinsèquement la forme de la guerre ». Ça phrase, ça farte et ça ne rigole pas chez ces instruits des bords de Vilaine ! Ça devrait forcer le respect !
À suivre, JMH nous explique que les statues n’ont aucun intérêt, qu'elles sont toutes moches et ne s'emboîtent dans aucun concept digne de ce nom. Et au-delà, comme le projet découle du funeste complot décrit plus haut, rien ne trouve grâce aux yeux de l'acide critique. Rien de rien. Et JMH de s'acharner sur la vallée avec la fougue désordonnée d'un Zadiste lâché dans les rues de Nantes…
Pourtant, sur le lieu de la discorde, l’approche postmoderne de l’ensemble implique une certaine distanciation ; et si on n’aime pas la vue sur les Saints on bénéficie par ailleurs d’une perspective imprenable sur le Centre Bretagne. Tout cela aurait pu calmer l'auteur. Mais non ! Au contraire ! Et pour ce qui est de l'emplacement justement, JMH, à qui on ne la fait décidément pas, fait remarquer que la Vallée des Saints est en fait une colline : une autre preuve que le projet n’est pas net ! En tant que critique d’art, il devrait pourtant savoir que si une pipe n’est pas toujours une pipe, il peut en être de même avec les vallées.
Au fond, il se pourrait que les instigateurs de ce concept, ainsi que les sculpteurs, soient beaucoup plus futés que JMH ne l’imagine. D’ailleurs, au détour de son texte labyrinthique, dans lequel il cite des intellectuels qui ne sont plus là pour protester (Althusser, Marx, Eco, en vrac), il annonce qu’un autre projet est dans les tuyaux, celui d’« une Cité de la paix, reconstitution d’habitats traditionnels des cinq continents, en lien avec les milieux missionnaires, dans le nord du Morbihan. » Avec derrière, suppute l'auteur, les mêmes puissants maléfiques (les chrétiens ultralibéraux nationalistes bretons), et en tous cas le même maître d’oeuvre: « Philippe Abjean, ancien prof de philosophie, (…), fervent catholique, proche des missions africaines. »
C’est là qu’on commence à décrocher, car de grâce JMH, sachez que trop d’info tue l’info ! Parce que s’il s’agit maintenant de villages des cinq continents et de missionnaires africains installés en Morbihan, quid du supposé repli sur soi qui gangrènerait ces projets ? Quant au nationalisme, serait-il finalement panafricain ?
Après une nouvelle salve d’arguments dont la cible paraît toujours incertaine, dans un rare moment de clarté, l’auteur reconnaît cependant que l'événement amène foule de visiteurs et pourrait dynamiser l’économie d’un Centre Bretagne qu’il estime sinistré. Mais il s’inquiète malgré tout car, sur la colline « (les) services archéologiques tirent la sonnette d’alarme quant à la préservation de la zone et se réservent la possibilité d’investigations futures ». C’est un rappel à l’ordre cinglant pour les zazous du granit ! En effet, il se pourrait bien qu’avec leurs statues « pas si solidement si l’on raisonne en termes de sécurité, comme il commence à se dire ici et là » précise JMH dans une approche du genre scientifique cette fois, les agités du burin soient en train de souiller une zone qui recèlerait des trésors archéologiques ! Des trésors authentiques !
Alors, que fait la police ? Semble demander l'auteur au bord du collapsus, et comment a-t-on pu laisser le lieu se transformer en Mandarom breton où « ce n’est pas de l’art qu’on vient chercher ici, comme le montre clairement la teneur des visites guidées, ce sont des histoires à entendre, des légendes comme les enfants les aiment. Et par-dessus tout du spectacle, de l’effet spécial, un décor où le granit, paradoxalement, devient carton-pâte. » ?
Là, on commence à mieux comprendre où veut en venir le flingueur de pierres : ainsi tous ceux qui rêvent d’une Bretagne autre que celle que l’État français nous garantit authentique (entre autres par des fouilles archéologiques estampillées « sérieuses » ou encore par une interdiction d’utiliser des consonnes déviantes telles le ñ), tous ceux-là sont des enfants, des niais, des attardés.
Et pour JMH, on peut compter sur les penseurs d’État, dont il fait partie, pour mettre fin à la gabegie et aux enfantillages sur la colline et dans les arrière-cuisines de la culture bretonne dite populaire. Il est en tous les cas de la plus haute importance d’écouter les gens de sa bande, qui ont l’insigne honneur parfois de passer sur France Culture, d’être publiés dans Libé, d’être adoubés sur les bords de Seine. Eux savent et nous démontrent à longueur d’interventions : que la langue bretonne n’est pas vraiment une langue, parce qu'elle était diverse mais qu'il ne fallait surtout pas l’unifier (Ah bon, c'est pourtant comme ça qu'on a fait ailleurs non ?), qu'en tous les cas l’accent des enfants de Diwan n’est pas le bon, puisqu’il ne serait pas authentique ; que la Bretagne n’a rien de celtique (ce n'est rien qu’une invention pour vendre des disques et des drapeaux). Et que si l’histoire de Bretagne s’éloigne du roman national français, c’est parce que les universités bretonnes ont été noyautées par des enseignants « nationalistes ». Même l’institution Région Bretagne en prend pour son grade, à soutenir ainsi les déviants dans les vallées.
Et l’antenne des penseurs d’État installée à Rennes n’a pas confiance non plus dans le mécénat, jugé en l’espèce louche, et couteux ! « Mais si on utilise les dispositions de la loi mécénat, c’est deux fois moins cher, ce qui fait que, par ricochet, ce sont tous les contribuables qui payent » se plaint JMH, parce que ce mécénat-là permet non seulement à la finance mondiale bretonne de pervertir l’art, mais surtout met finalement en partie l’État à contribution. Sacrilège !
Au débotté, on découvre dans la biographie de l’auteur, que JMH est également commissaire d’exposition, à Calais puis à Bordeaux ces dernières années. A-t-il eu lui recours au mécénat pour ces expositions, ou sont-ce nos impôts qui en payent l’intégralité ? Quand les journalistes de Libération reviendront, ils pourront toujours lui poser la question. Ici, en Bretagne, la réponse nous intéresse. Rappelons au passage à JMH, fier pourfendeur du libéralisme corrupteur à la mode bretonne, que le journal qui lui a ouvert ses colonnes appartient aujourd’hui à un banquier. Mais celui-ci vit à Paris, alors pour Jean-Marc c'est la classe !
Enfin, après d’autres circonvolutions qui nécessitent parfois que l’on fasse pivoter de 45° le quotidien fondé par Jean-Paul Sartre (qui doit bien se marrer parfois) , JMH, spécialiste en art authentique réellement authentique, livre sa conclusion finale, qu'il imagine apothéotique :
« Certes, n’était ce sentiment diffus d’une subtile escroquerie qui consiste, sous couvert d’un soi-disant art soi-disant populaire, à nous faire prendre les vessies pour des lanternes, l’idéologie pour l’art, l’économie touristique pour la culture, le tout avec la bénédiction admirative des diverses représentations économiques et politiques régionales dont on peut légitimement se demander ce qu’elles soutiennent et défendent vraiment dans ce type d’initiative. »
Ça se précise, ainsi tous ceux qui vivent et imaginent la Bretagne autrement, afin qu’elle ne disparaisse pas, étouffée par les décrets préfectoraux, les diktats de l’Éducation Nationale, l’incompréhension parisienne et les penseurs d’État, sont, en plus d’être des enfants, rien moins que des escrocs, et les institutions qui les soutiennent ont sûrement une idée nauséabonde derrière la tête.
Nous évoluons dans le monde comme si (jugé non authentique par JMH et sa clique), quand eux arpentent le monde comme ça, le seul, le vrai. Comme ça et pas autrement. On devrait circuler, mais non, on insiste, on ne comprend décidément rien… N'en jetez plus Jean-Marc, la vallée est pleine.
Et si tout cela n’était, chez notre critique d’État et ses amis, qu’une histoire de frustration finalement : celle de ne pas être prophète en ce qu’ils considèrent tout de même un peu comme leur pays, tant tout ce qui se passe en Bretagne semble les gratter jusqu'au sang, celle de n’être écoutés que quand Paris leur tend le micro, celle de faire partie des « rares voix discordantes (qui) semblent de peu de poids. »
Alors, comme nous, les Bretons du bout du monde comme si, nous ne sommes pas revanchards, nous proposons que l’on octroie une autre colline à JMH et à son posse estampillé France Culture. Ils pourraient ainsi créer, en Centre Bretagne, une exposition qui soit enfin artistique, validée par l’État et ses services. Et sans mécénat breton surtout ! Vade retro, rien qu’avec de l’argent public ! Cerise sur le Paris-Brest, chaque jour, avant la fermeture, JMH pourrait donner une conférence d’une heure ou deux, pendant que ses amis vendraient leurs livres sur des tables de camping made in France. Ambiance, rires et affluence garantis !
Frank Darcel, président de Breizh Europa
Entre guillemets on trouve des extraits de l’article paru dans Libération
■«Exposition Les Seiz Breur.
Musée de Bretagne, Rennes.
Novembre 2000 - Janvier 2001
Un point de vue ethniciste.
L’exposition que présente actuellement le Musée de Bretagne à Rennes pose un certain nombre de questions et en tout premier lieu sur ce plan scientifique que ses concepteurs revendiquent sans cesse. On ne s’attardera pas sur l’accrochage, qui relève davantage de la brocante que de la muséographie, pour tenter de comprendre ce qui cherche à se dire, aujourd’hui, à travers une telle initiative. On s’abstiendra pour ce faire de tout jugement quant à la qualité même des œuvres.
Les Seiz Breur appartiennent à une période de l’histoire des arts appliqués (à considérer une bonne part de leurs travaux, on aurait parlé aujourd’hui de designers plutôt que d’artistes) qui présente le plus grand intérêt puisqu’il s’agit, grosso modo, de l’entre-deux-guerres et plus particulièrement des années 20 et 30 (plus que les années 40 où, semble-t-il, l’essentiel était joué) où s’affrontent, non sans ambiguïté et confusion, modernisme et ce que l’on a pu appeler “ le retour à l’ordre ”. C’est en particulier, comme le montrera l’Exposition Universelle de 1937, l’époque de l’instrumentalisation de l’art par les totalitarismes de tous bords comme d’ailleurs par ceux qui tentent d’y résister. Une exposition sur les Seiz Breur ne pouvait pas faire l’économie d’une inscription précise et documentée du mouvement dans l’histoire générale de l’art de cette période. Et puisqu’on a cru bon d’y utiliser de nombreux panneaux-textes, rien n’empêchait qu’on en consacrât quelques-uns de plus à ce contexte général de l’art de l’époque. Cette mise en perspective aurait permis, d’une part, de mesurer l’apport du groupe à cette histoire (autant que l’apport de la modernité à ce groupe) et, d’autre part, de juger plus objectivement de son importance et de sa pertinence. Or l’environnement dans lequel on a voulu situer ce mouvement n’est en aucun cas celui évoqué plus haut mais quasi exclusivement celui du mouvement breton (ce que les organisateurs nomment les “ emsav ” successifs).
Dès lors, l’objectif de l’exposition apparaît clairement. Il ne s’agit pas ici de faire mieux connaître au public un aspect de l’histoire des arts du XXème siècle (le catalogue, en outre, ne consacre qu’une étude “ rapide ”, c’est un euphémisme, à l’art européen des années 30 et 40) mais de le flatter dans son appartenance ethnique en tentant de prouver qu’il existe un art breton, de surcroît non “ biniousard ”, et que cet art a beaucoup œuvré pour la promotion de la culture bretonne et, de ce fait, pour la Bretagne en tant que nation.
Dans les commentaires de Daniel Le Couédic que l’on a pu lire dans la presse, il est en effet bien peu question d’art et beaucoup de Bretagne, de renaissance bretonne. “ La Bretagne renaîtra par ses artistes ” peut-on lire par exemple dans un entretien. Tout est dit : l’art et les artistes sont ici instrumentalisés au service de l’affirmation nationale (que cela prétende se cantonner au plan “ culturel ” ne change rien à l’affaire). Plus grave : contrairement à ce que les Seiz Breur eux-mêmes affirmèrent, il s’agit moins pour ces derniers de puiser dans le passé et les traditions afin de produire un art contemporain que d’utiliser la modernité pour doter les Bretons d’une conscience collective. Que cette exposition soit aujourd’hui montrée dans des musées ethnographiques et affublée d’une rhétorique si enthousiaste qu’elle rend difficile le moindre recul critique, sur le plan de la pertinence artistique par exemple, dit assez clairement le présupposé sur lequel l’affaire se fonde.
On est, dans ces conditions, forcé de constater que l’on n’a pas affaire ici à un travail crédible sur le plan artistique mais bien à une opération de propagande nationaliste telle qu’il en fleurit de plus en plus en ces temps d’identitarisme plus ou moins obscurantiste. Et le fait que les organisateurs s’en défendent, loin de nous rassurer, tendrait plutôt à prouver qu’ils n’ont pas une claire conscience des données qu’ils manipulent.
Jean-Marc Huitorel
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Par contre la référence de Jean-Jacques Monnier mérite d'être à la une.
Ce critique d'art a une idéologie bien connue dans la tête, c'est celle de l'être suprême de Robespierre, l'homme nouveau de Staline, la révolution culturelle de Mao, PolPot et Ceaucescu. Leimotiv : faisons table rase du passé, quartiers historiques abattus, églises abattues, populations déplacées vers les villes ...
Le modèle économique de Libération est particulièrement méprisable. A la tête il y a des homme d'affaires intelligents, certainement pas gauchstes et prêts à tout renier pour faire du fric. Le contenu du produit est confié à des hommes de main récrutés cyniquement, ainsi ce critique d'art des basses oeuvres. In fine le modèle économique étant déficitaire, nos financiers, garants d'une force électorale font pression sur les politiques pour les subventions.
Une expo inédite met en valeur à Trébeurden 100 œuvres du peintre Abadie-Landel, en son temps membre des Seiz(h) Breur: Cette production est très originale et ne saurait être jugée à priori négativement ou positivement parce qu'elle est l'œuvre d'un membre des Seiz(h) Breur. Tout pilonnage systématique d'une série d'œuvres diversifiées m' inquiète et annonce souvent une campagne politique organisée. Le «réalisme socialiste» a montré où il conduisait comme les campagnes contre «l'art décadent». ou les «œuvres dégénérées». André Dézarrois, commissaire d'expositions internationales -et par ailleurs membre des Seiz(h) Breur - sauva des œuvres de Kandinsky et Guggenheim de la destruction.
Faire vivre la Bretagne d'aujourd'hui n'exclut ni la liberté de jugement ni l'opposition aux idées reçues ou préconçues.
Et pourtant en raison de notre assujettissement à l’hexagone cela pourrait présenter des intérêts, et /ou des inconvénients d’importance pour la Bretagne. Ce qui normalement devrait susciter des réflexions autrement politiques sur les conséquences.
Mais sans doute n’avons-nous pas les partis, les organisations et personnes nécessaires, et en capacité de mesurer ces conséquences et de se projeter en fonction des conclusions retenues !
Locarn peut-être, pourrait s’exprimer sur cette proposition ? Peut-être !