Les réactions enthousiastes des militants bretons à propos de la Catalogne ont quelque chose de décalé. En Bretagne, nous prenons des positions. Les Catalans bougent et font l’histoire.
Les militants bretons d’après-guerre ont une conception de la libération nationale différente de celle des Catalans. Le concept fondamental chez nous peut se résumer en une formule : Bretagne = colonie. Le modèle est celui de l’Algérie de 1960. L’Irlande de 1916 était le modèle de Breiz Atao. Les deux modèles se ressemblent. Ils partent de la nécessité d’un conflit ouvert, et d'un rapport de forces qui ne peut s'équilibrer qu'avec le soutien d’une puissance étrangère.
Les Irlandais et les Breiz Atao regardaient du côté de l’Allemagne. Ils n’étaient pas les seuls. Les nationalistes indiens, palestiniens, turcs ont eux aussi regardé du côté de l’Allemagne à cette époque. Les radios contrôlées par Berlin entre 1939 et 1944 ont émis en 54 langues différentes, ce qui suppose une tolérance à la diversité que l'on ne s'attendrait pas à trouver dans une dictature. Par comparaison, la deuxième radio la plus diversifiée d'un point de vue linguistique est la radio britannique, qui émettait en 45 langues différentes.
Après la guerre, l’alliance allemande ne valait plus rien. Les nationalistes algériens, comme bien des mouvements anticolonialistes, ont regardé du côté de l’Union soviétique. Les militants bretons ont fait de même. Mais ils n’ont jamais osé négocier sérieusement avec les pays communistes. Ils ont compensé cette absence par une surenchère verbale : contre l’impérialisme américain, contre le capitalisme. Être socialiste n’était pas pour eux un projet politique mais une identité, qu’ils voulaient faire reconnaître autour d’eux.
Plus la gauche se préoccupe de son identité de gauche, moins elle est fonctionnelle. Quand on se regarde dans la glace du matin au soir, le partage des richesses n’est pas à l’ordre du jour. On y défend une image de soi, les intérêts de sa catégorie socio-professionnelle, mais pas un projet social. La «gauche indépendantiste bretonne», la mal-nommée, ne défend ni les Bretons, ni les travailleurs. Elle défend les minoritaires, de préférence étrangers à la Bretagne et aux préoccupations populaires. Indépendantistes lointains, migrants, LGBT, vegans, se succèdent sur scène. Les Bretons du monde réel et les travailleurs (les vrais, pas les prolétaires de mythologie) ne sont pas des minoritaires suffisamment pittoresques, ni assez proches du Tiers-monde.
Dans la rue, les sketches «antifascistes» révèlent une régression spatio-temporelle vers l’Épuration de 1945… sans les tondues, féminisme oblige ! Il faut, soit égaler l'héroïsme mythique de grand-papa, soit expier ses mauvais choix. C’est Che Guevara neutralisé par Freud et rééduqué par maître Yoda.
La Catalogne s’inscrit dans une tradition d'adaptation au mouvement de l'Histoire, de convergence des catégories sociales et de négociation politique. Cette tradition nous est étrangère. La culture nationaliste bretonne est tiers-mondiste, la leur est européenne.
Le premier modèle européen du XXème siècle est l’indépendance de la Norvège en 1905 (voir le site) .
Une autre sécession intéressante est celle de l’Islande en 1944 (voir le site) . Lors de la chute de la puissance soviétique, des leçons peuvent être tirées de l’indépendance de la Lettonie en 1991, suite à un référendum (voir le site) . Un autre cas très européen est le divorce de velours entre la république tchèque et la Slovaquie (voir le site) . La souveraineté du Montenegro est proclamée en 2006, après un référendum populaire.
La crispation de Madrid vise à troubler la stratégie catalane et à favoriser les indépendantistes tiers-mondistes. Dans ce cas, les deux traditions nationalistes pourraient entrer en conflit, et la confusion s’installer au profit des unionistes.
L’histoire qui se fait en Catalogne nous fait prendre des positions. Ah, prendre des positions !... Prendre des positions sur la Catalogne, le Kurdistan, le code du travail, les fainéants, le productivisme, les compteurs Linky, le glyphosate, les homosexuels ! Ce n’est pas «Comment peut-on être breton ?» ou «le Manifeste du Parti Communiste» qui est notre vraie référence, mais le Kamasoutra. Pour prendre des positions, nous sommes les champions !
Le SNP écossais serait de «centre gauche». Le catalan Puigdemont serait de «centre droit». Pfuttt… Le centre est une zone grise. Les sectaires et les arriérés y rangent les vrais insoumis, ceux qui préfèrent l'intelligence aux idéologies.
Nos représentants les plus efficaces dans les instances représentatives françaises, comme Paul Molac, ont su évoluer. Paul a rejoint LREM.
La revendication bretonne ne peut s’expliquer ni se résoudre avec des équations sociales étrangères à notre espace-temps. Sans doute serait-il bon d’évoluer vers un nationalisme communautaire de type européen. Et nous inspirer de la trajectoire catalane, plutôt que de «prendre des positions».
■Qu'est-ce que vous entendez au juste par «un nationalisme communautaire de type européen»? Concrètement c'est quoi? Je vous serais très obligeant d'avoir quelques infos, peut-être des liens déjà publié sur le site ou d'autres écrits de référence. Merci d'avance!
Pour ma part, je me demande s'il est possible d'avoir un État sans y inclure le mot nation. Car finalement, ce qui importe vraiment dans la recherche d'indépendance, c'est de pouvoir légiférer, de faire ses lois. L'internet permettra t-il à ceux qui défendent l'indépendance d'un territoire de montrer les avantages concrets d'un tel projet?
D'accord, car il est vrai que le mouvement breton politique ne fait que prendre des positions, en grand parti bloqué par les rêveurs «progressistes» (fanatiques ou opportunistes) qui veulent changer l'humanité à partir de la Bretagne... une situation grotesque dans une continuité des conséquences de la 2GM, une période sur laquelle les Bretons sont le dernier peuple d'Europe (avec les Français) à ne pas avoir le courage d'un regard objectif sur les événements (en grande parti du fait de la réécriture de l'histoire par le pays dominant).
On peut regretter qu'il faille attendre 2017 pour faire le constat de cette situation grotesque... pourtant bien évidente avec un minimum de regard critique démocratique...
Mais dubitatif sur le comparatif du nationalisme catalan et breton...:
Pour moi comparer «les» nationalismes n'a aucun sens... pour la seule raison qu'il n'existe pas «des nationalismes» mais un nationalisme commun à toute l'humanité (auquel fait exception le nationalisme étatique, l'Etat-Nation, en grande parti développé par les Francs/Français et poussé à son extrême par la Révolution).
Le nationalisme, la nation, est un phénomène social universel... un groupe humain développant une culture spécifique sur un territoire qui leur est propre, développe une nation... Cette nation si elle dépasse une certaine taille (en général accompagné par un développement technique) se dote d'un état (un système administratif permettant une gestion que le chef/roi/prince ne parvient plus à faire).
Ce terme de nation sous cette forme existe déjà dans l'ancien testament (généralement appliqué à des personnages importants ayant vocation à créer une tribu devenant un peuple distinct des autres). Les nations antiques dès quelles atteignaient un stade de développement technique avancé se dotaient d'un état (sauf que nos historiens ne nous parlent que des rois et des monuments considérant l’administration étatique comme secondaire, car des lois, des juristes, des comptables, des entreprises sont bien plus difficiles à retrouver et à expliquer aux enfants à l'école que des couronnes et des tas de pierres).
Donc la nation, le nationalisme, sont des banalités de la société humaine....
L'exception est l'Etat-Nation qui est issu d'un développement de la structure administratif (l'état) qui se retourne contre la nation qu'elle est sensée servir...
Dans l'Etat-Nation le lien reliant les humains n'est plus le binôme culture/terrictoire mais c'est l'état qui devient le lien...
Du fait, d'autres nations peuvent s’agglomérer à l'Etat-nation avec pour conséquence première que le lien naturel (culture/terrictoire) devient superflu voir dangereux pour la survie de l'entité administrative...
Ce qui différencie les êtres humains n'est plus la culture et leur territoire mais l'état qui gère leur vie...
Et ce que l'on appelle culture devient le style de vie imposé par l'état aux êtres humains...
L'état-nation est le cancer de la nation...
C'est le développement anormal de l’État de la nation qui attaque la nation initiale puis les autres adjacentes jusqu'à que l'ensemble devenu malade meure...
L'un des motifs récurrents du passage de la nation à l'état-nation est la nécessité à but militaire de se doter d'un groupe humain massif capable par sa masse de s'imposer à un adversaire. Pour faire face à un ennemi, un groupe de nations nécessite un accord préalable alors qu'un état-nation ne nécessité l'accord que d'une seule entité... (c'était le problème des Gaulois face aux Romains, c'était aussi le problème du Saint-Empire Romain Germanique face à la France... le Saint-Empire était plus puissant mais le roi de France pouvait d'un seul ordre lever la totalité de l'armée disponible, idem pour l'Europe face à Napoléon...).
Donc avec l'invention du mot «nationalisme communautaire de type européen» nous les Bretons retombons dans notre travers actuel préféré... : faute de gérer la situation actuelle en Bretagne, nous ré-inventons ou souhaitons révolutionner l'ensemble de l’humanité (ici limité à l'Europe...)
C'est d'autant plus choquant que le nationalisme breton n'est pas né, ni au 20ème siècle ni au 19ème siècle, sinon nous ne serons pas l'une des rares nations d'Europe qui existait dans l'antiquité et qui existe toujours aujourd'hui (même si privé de son État)...
Le nationalisme catalan est né de l'histoire de la péninsule hispanique où les Catalans par périodes et progressivement ont développés une spécificité.. leur force est d'apprendre et de valoriser les étapes de la naissance de leur nation et de la création de leur état...
Le nationalisme breton datant de l'antiquité a donné aux Bretons continentaux 11 siècles d'indépendance et 13 siècle d'institutions étatiques propres (probablement un record de longévité en Europe), mais suite à la Révolution Française l'état breton a été interdit d'exercer son droit puis l'identité national et le territoire ont été nié...
Les Catalans sont sur une courbe de progression croissante... ils réfléchissent de manière constructive...
Les Bretons après une durée extraordinaire d'indépendance et d'institutions propres sont passés récemment (2 siècles) et brutalement au néant... ils sont devenu incapable de réfléchir car toujours sous le choc d'un événement cataclysmique qu'ils n'arrivent ni a expliquer ni à dépasser...
A mon sens, la guérison est de revenir au nationalisme (le nationalisme issu de la nature de l'être humain, nationalisme que l'on nomme aussi par les mots charnel ou romantique)... et une nation, c'est un peuple, une identité, une économie, une structure sociale, des relations avec les autres nations...
Revenir au nationalisme, c'est simplement revenir au respect de notre nature humaine même quand cette humanité a fait de nous des Bretons...
C'est à mon sens ce que veut dire JPM, mais pour dire cela point besoin d'inventer ce qui exister déjà depuis la nuit des temps!
Ce qu'il faut c'est assumer la démarche de guérison... or assumer sa guérison n'est pas si simple comme pourrait le confirmer nombre de médecins, surtout quand la maladie est majeure... et il me semble que c'est actuellement la situation de la Bretagne...
Hollande n’a pas que des défauts. Il a entre autre comme qualité l’art de la synthèse et résume très bien en une phrase ce qu’est la France.
Les Bretons qui « prennent des positions » et deviennent pour certains de véritables contorsionnistes que plus personne ne comprend gagneraient à s’inspirer de son style.
Il n’y a pas de mal à prendre chez l’ennemi ce qui peut nous servir.
Je n'ai pas de commentaire particulier sur votre réponse.
En fait, si mais ce serait couper les cheveux en 4...
Si je comprend bien votre réponse, vous évoquez tout simplement la nécessité d'une nation de se réinventer... sous peine de mourir.
Ben oui c'est une évidence...
Il existe un bon exemple dans le monde pour illustrer cette nécessité : Chez les Japonais avec l'invention du «manga».... un phénomène culturel qui s'est exporté et qui donne du Japon une image nouvelle que la junte féodale des années 30 aurait eu du mal à accepter... néanmoins et aussi surprenant que cela puisse apparaître le manga est issu d'une filiation culturelle purement japonaise. En fait, le Japon se réinvente mais en même temps respect d'autant sa tradition culturelle et identitaire.
Je pourrai également citer des exemples chinois actuels également...
Les Bretons (phénomènes des bagadou mis à part) nous procédons pour l'instant de manière inverse : nous refusons notre passé (surtout institutionnel) et nous refusons de voir ce que pourrait être notre avenir.
Exemple : Les Bretons ont inventé l'avion (le planeur) mais aucun breton n'est fier de l'industrie bretonne en volant à bord d'un Airbus (pourtant en grande parti construit en Bretagne) et si on évoque Airbus à Nantes/Saint-Nazaire ce n'est jamais en rappelant la filiation de ces usines avec les ateliers aéronautiques des chantiers navals de Penhouët donc avec une industrie traditionnelle de Bretagne.
Je pense que le Breton est toujours honteux de lui même, qu'il n'assume pas son humanité, qu'il n'assume pas ses réalisations et que dans la logique il n'assume pas la possibilité d'avoir un avenir en tant que Breton...
Pour moi (comme déjà évoqué), la raison est ce passage d'un statut de nation au néant le plus total... suite à la Révolution française.
Sauf erreur, je ne connais aucun autre cas d'une telle extrémité en Europe, d'où je pense cette difficulté de nos historiens bretons à nous évoquer nos institutions bretonnes au delà de 1532... occultant d'autant le cataclysme de 1789.
D'où également ce que j'évoquais, le travers du mouvement breton à vouloir réinventer la planète et les définitions faute d'avoir la capacité psychologique à réinventer dans le concret notre nation comme le font tous ceux que nous admirons et soutenons... tant la société bretonne est toujours en état de choc post traumatique.
Je vous remercie pour cet échange.
A galon deoc'h,