Inventons les Breton(ne)s

Chronique publié le 21/10/16 15:33 dans Politique par Yves-François Le Coadic pour ABP
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La République d’Irlande vient cette année de commémorer le centenaire de l’insurrection de Pâques 1916. Pierre angulaire de l’histoire du pays, l’idée que ce fut une bataille pour évincer un ennemi étranger n’était guère partagée par le peuple irlandais. L’idée d’indépendance par rapport au Royaume Uni l’était elle.

Pourtant, majoritairement catholique romaine, à moitié de langue gaélique, l’identité nationale irlandaise n’existait guère avant 1916. Les Irlandais avaient et ont toujours un lourd héritage britannique. Ce qui nous amène à conclure avec Barry Kennerk (1) que les Irlandais ont donc été inventés.

Il semble que de façon un peu identique, les Breton(ne)s sont aussi à inventer. Catholique romaine, également de langue celtique brittonique dans sa partie ouest et romane dans sa partie est, la Bretagne a eu de fait comme langue officielle dès avant son rattachement à la France, et encore plus après celui-ci, le français. Son architecture administrative, politique, socio-économique s’est construite sur le modèle français et a forgé un(e) individu qui a toutes les caractéristiques du Français (2).

Pour revenir à l’Irlande, on notera que “Arthur Griffith, fondateur du Sinn Fein, déclarait en 1904 que les Irlandais(es) avaient besoin d’une identité qui les distingue de celle des Britanniques. Il considérait que la base nécessaire pour obtenir l’indépendance était de réveiller la culture gaélique. Et dans les années précédant l’insurrection se développa effectivement un intérêt pour la langue et les traditions irlandaises”. L’identité irlandaise était ré-imaginée par opposition à une culture anglaise étrangère. On ne s’étonnera donc pas qu’en 1916, “ les Britanniques furent déclarés peuple étranger par les insurgés”.

L’erreur du mouvement gaélique fut d’oublier que, avant l’indépendance, beaucoup d’Irlandais s’identifiaient avec la Grande-Bretagne et aussi après l’indépendance. De ce fait, le mouvement nationaliste irlandais n’emportait pas l’adhésion du peuple irlandais. Encore aujourd’hui, dans une Irlande indépendante, la langue majoritaire est l’anglais, les pratiques culturelles, sociales, commerciales sont majoritairement les mêmes qu’en Grande-Bretagne. Mais l’altérité identitaire réinventée explique la naissance d’une nation irlandaise.

Le parallèle avec l’invention des Bretons peut se faire aisément. Mais, s’il se fait, cela veut dire que l’indépendance de la Bretagne peut aussi se faire. Même si le mouvement nationaliste n’emporte pas l’adhésion du peuple breton, l’altérité identitaire réinventée peut conduire à la possibilité d’une nation. Par chance, cette identité leur est constamment rappelée car sont régulièrement qualifiés de Bretons, tel patron, telle entreprise, tel(le) athlète, telle équipe sportive, etc.

Étonnamment, cela concerne aussi les membres des autres minorités nationales françaises, Alsaciens, Basques, Catalans, Corses.

Y aurait-t-il inscription, dans le subconscient des Français, de ces identités qui se distinguent de la leur et qu’ils se refusent à reconnaître dans la vie politique en leur refusant toute autonomie et en les faisant disparaître comme lors du récent charcutage régional ? Ce qui se comprend fort bien de la part des propriétaires de ces nations mal acquises.

Notes

(1) Barry Kennerk, “Inventing the Irish”, International New York Times, march 25, 2016

(2) (voir notre article)


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
Certes le «françois» fut langue officielle en Bretagne à partir de la seconde moitié du XII° siècle et ce, donc, avant même que le royaume de France ne l'adopte en 1539. Mais cette «officialité» ne touchait que la cour du Duc et surement pas le peuple breton.
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