"les chevaux couchés ne vont pas à la mer" à propos du Conseil culturel de Bretagne

Chronique publié le 11/03/24 17:21 dans Langues de Bretagne par Yvon Ollivier pour Yvon Ollivier
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photo du livre le cheval couché

La reprise en main du Conseil culturel de Bretagne par le parti socialiste appelle quelques réflexions autour du concept d’indépendance. Et puis, je l’avoue, parfois me vient l’envie de me lâcher un peu face à autant d’absurdités.

Comment le Conseil culturel, jadis instance autonome, dotée de moyens, légitimée par la charte culturelle bretonne de 1978, pilotée par des personnalités d’envergure comme l’historien Michel Denis ou le regretté Patrick Malrieu, a-t-il pu déchoir au rang d’instance consultative à la botte du Conseil régional et désormais présidée par une personnalité affiliée au Parti socialiste ? Il faudrait que l’on s’interroge vraiment sur les raisons profondes de cette déchéance, en quelques années seulement.

Aurait-on perdu le sens de l’indépendance en Bretagne ? Pourquoi nous, militants, avons-nous accepté cette forme classique de soumission ?

Le Pouvoir régional a-t-il songé un seul instant à la légitimité du président socialiste d’une instance chargée de se prononcer sur le bien fondé de la politique culturelle menée par la majorité PS du Conseil régional ? Il sera impartial, vraiment, M. Coignard ?

En droit, il est un principe de base qui consiste à s’abstenir ou à se déporter lorsque des amis ou des connaissances sont concernés par la cause que l’on peut être amené à juger.

A-t-on perdu nos repères démocratiques en Bretagne au point de mettre en place de telles pratiques dignes d’une république bananière ?

Le Parti socialiste est-il si sûr de contrôler une large part du mouvement culturel breton au point de lui faire avaler une couleuvre pareille ?

Il n’y aurait donc plus une seule personnalité bretonne d’envergure au sein du mouvement culturel pour prêter sa caution au pouvoir régional ?

Et si ce n’étaient pas les Bretons, les premiers responsables de cette dérive en ayant pris l’habitude d’accepter tout et n’importe quoi ? Il faut aussi savoir balayer devant sa porte.

Lorsqu’il me vient l’envie de regarder lucidement la situation, c’est le sentiment de honte qui me vient.

Est-ce un signe des temps lié à l’évolution individualiste de nos sociétés ? Il arrive parfois que la volonté manque et que le premier réflexe devienne celui de se réfugier au plus près du Pouvoir. On a toujours une bonne raison de collaborer avec le Pouvoir en place : les subventions, la volonté légitime de faire carrière, la peur de déplaire ou voire , la peur de faire de la politique.

Un responsable de l’association Dastum nous disait récemment que « la défense de la langue bretonne ou la revendication de la Bretagne à cinq départements ne font pas partie des objectifs de notre association ». Cela m’a fait immédiatement penser à un responsable politique qui nous dirait : « oh vous savez ! moi mon métier c’est de prendre des décisions politiques, mais pas d’en mesurer l’implication pour les citoyens ! »

Sur le terrain politique, on constate la même déshérence du concept d’indépendance. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment on peut défendre l’autonomie en Bretagne pour mieux la vendre au premier parti parisien qui passe. Nous donnons l’image d’un peuple soucieux d’accorder à moindre frais sa légitimité bretonne à des formations politiques parisiennes que la question bretonne indiffère royalement. L'UDB fête ses soixante ans. C’est bien ! Mais comment fête-t-on soixante années d’échecs pour la Bretagne ? Car c’est bien la Bretagne qui importe.

Et pendant que le système PS triomphe en Bretagne, la langue bretonne se meurt. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les chiffres. Nous sommes les plus mauvais de la classe. Le nombre d’enfants scolarisés en filière bilingue, déjà très faible, ne progresse plus et nous ne bénéficions pas d’un vaste programme de formation des enseignants en place comme c’est le cas ailleurs. L’Etat s’en moque. Et comment réagirait-il autrement alors que la région Bretagne ne lui met aucune pression ? Tout le monde semble satisfait de la situation. Il ne faudra pas compter sur le nouveau Conseil culturel, acquis au PS, pour venir questionner la politique linguistique menée par ses amis à la région.

Ce manque d’indépendance est encore bien sûr, la marque du Pouvoir régional par rapport à Paris. On n’a jamais que l’indépendance que l’on se donne. Loïg Chesnais-Girard nous a montré qu’il n’était pas un foudre de guerre. On ne sollicite pas l’autonomie de la Bretagne à un Etat aussi convaincu de sa puissance, en retirant son drapeau breton et en regardant ses pompes ! Un ami technocrate à Paris me disait récemment comment le Pouvoir en haut lieu considère nos élus régionaux bretons : « des guignols ! » m’a-t-il dit. Les Corses, on les respecte !

Ce que je veux dire, c’est que l’autonomie est avant tout un sentiment et un combat intérieur de tous les instants. C’est en nous-mêmes qu’il faut la cultiver précieusement avant de pouvoir un jour en bénéficier. La libre parole a toujours été ma ligne de conduite, quitte à agacer certains. L’indépendance a toujours un prix à payer. Mais je sais que la dépendance est pire encore, en ce qu’on y laisse son âme avec ses idéaux de jeunesse.

« Le chevaux couchés ne vont pas à la mer », nous disait le poète Xavier Grall. Nos chevaux d’aujourd’hui se couchent dans l’écurie en attendant sagement le foin et que de temps à autre, leur bon maître Chesnais-Girard vienne leur flatter l’encolure.

Nous n’avons peut-être pas encore suffisamment déchu pour songer à réagir. Mais je sais qu’un jour, nos chevaux briseront leur licol pour s’en aller vers la mer. Pour survivre, ils n’auront plus d’autre choix dans un monde toujours plus violent où les plus forts imposent leurs vues. Et c’est tellement beau un cheval au galop vers la mer.

Yvon Ollivier

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Vos commentaires :
Dimanche 28 avril 2024
Alors que le CR B4 avait émis un vœu en faveur d'une simple consultation, voilà qu'à la faveur de l'étude d'impact, ils se sont tous mis à parler de référendum. Consternant.
Seule évolution favorable : Monsieur Molac s'est attelé à la rédaction d'une loi où il est bien question d'un vote consultatif (alors qu'auparavant il demandait un référendum à la ministre des Collectivités territoriales). Il y avait aussi quelques macronistes qui expliquaient que le CD 44 pouvait toujours organiser une consultation, mais ils ont perdu les élections, donc on les entend encore moins.
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