Le nouveau défi armoricain
Ce livre aurait pu s'intituler le "Désastre breton" tant son état des lieux fait contrepoids au naïf "Le miracle breton" publié en 1996, par le journaliste Yannick Le Bourdonnec. Naïf car l'auteur pensait que ce sursaut breton dans le sillage des [[Trente Glorieuses]] pouvait durer ou survivre à la mondialisation de l'économie dans un État qui refuse de changer de modèle et de décentraliser. La raideur politique républicaine était pourtant bien visible en 1996 malgré les fausses régionalisations et la révolution célibienne.
Le livre est publié par une équipe au sein d'une association loi 1901, StatBreiz. Elle comprend Claude Champaud, ancien président de l'université de Rennes, Pierre-François Gouiffès, Yves Brun (voir notre article), Jean-Pierre Coïc, Jean Debois, Alain Glon (président de Locarn) et Guy Tartière.
Surprenant au premier abord, le terme désigne en fait grosso modo la Bretagne historique, soit l'ancien duché de Bretagne. Il semble être utilisé par opposition à la région administrative Bretagne. Le livre est bien documenté de chiffres très bien sourcés et les chiffres sont toujours mentionnés B5 ou B4 sauf le chapitre 8 sur l'énergie qui reste dans le flou. La réunification bretonne est clairement demandée.
Le livre affirme clairement que la nation bretonne existe même si aujourd'hui les Bretons sont moins conscients de cette appartenance.
Le livre prend position clairement pour l'aéroport de Notre-Dame des Landes en le présentant comme une opportunité essentielle pour mondialiser l'économie bretonne et en rappelant que le coût de cet aéroport est ridicule par rapport au prix qu'ont coûté les 4 voies ou la future LGV Connerré-Rennes.
Les chiffres sont là pour montrer l'asphyxie de l'industrie et de l'agriculture bretonnes, la dépendance énergétique, le manque d'un grand port international, et la progression de l'industrie résidentielle. Les prélèvements exorbitants de l'État français et les retours en biens et services sociaux sont bien documentés et pour une fois mis en cause (ce n'est pas souvent le cas en Bretagne).
Page 78, on trouve Marine Harvest dans la liste des entreprises agro-alimentaires devant fermer boutique par manque de compétitivité et de marges suffisantes pour se développer. Ce n'est pas exactement le cas de Marine Harvest qui fait des millions de bénéfices (12 millions d'euros de chiffre d'affaires au 2e trimestre 2014) à travers le monde mais son site breton n'était plus rentable dans les conditions fiscales et juridiques françaises. (1)
Sur le numérique, le livre fait l'impasse dans son état des lieux. Page 183, on lit : "il est difficile de savoir si la Bretagne est en avance ou en retard !" alors que Sébastien Le Corfec a fait le constat du néant depuis deux ans au moins et encore samedi dernier, à la réunion du club Erispoë à l'Institut de Locarn, où il était invité. Depuis l'apparition du web en 1992, disons en 20 ans, la Bretagne n'a produit aucune entreprise internet de stature internationale et même aucune de stature "nationale" comme par exemple Blablacar en France ni même une franchise comme Le Bon Coin. Il n'y a rien, constate Le Corfec, avec une transparence montrant trois petits points sur une page blanche. On est obligé d'écarter Ubisoft des Frères Guillemot car, si les jeux vidéos sont bien dans le numérique, ils ne sont pas vraiment dans la classe de la nouvelle industrie internet source de la nouvelle économie et surtout le siège social UBISOFT comme les laboratoires ne sont pas en Bretagne. Seul AMA de Christian Guillemot est basé à Rennes. S'il y a quelques succès régionaux comme celui d'Antoine Krier à Rennes et si des startup surgissent en ce moment à Nantes, pour l'industrie du numérique, câbler tous les foyers en fibre optique ne suffira pas. Il ne s'agit pas d'accroître la consommation mais bien d'inventer des productions et des services. Il faut absolument former les jeunes à prendre des risques et leur apprendre à coder au lieu de chercher des postes salariés. Une optique à l'opposé de ce qui est enseigné par l'Éducation nationale.
Dans la deuxième partie, les auteurs font des propositions. Il s'agit d'abord du droit à l'expérimentation sur l'éducation et surtout sur la fiscalité des entreprises comme l'a obtenu le Pays basque espagnol. Mais comment ? On aimera la citation de Thomas Jefferson en exergue de la deuxième partie : "Si vous aimez quelque chose que vous n'avez jamais eu, vous devez être disposé à faire quelque chose que vous n'avez jamais fait". Il faut ici lire entre les lignes. Les armes sont aussi la résilience et la solidarité bretonnes bien mises en valeur dans le livre.
Bien que livre note pertinemment les deux grandes périodes de prospérité armoricaine: celle des Vénètes avant l'arrivée des Romains et celle du XVIe et XVII siècle, aucun historien ne figure dans l'équipe et on peut le regretter. Il aurait suffi de consulter Jean-Pierre Le Mat ou Frédéric Morvan, pourtant connus des auteurs du livre, afin d'éviter quelques bévues comme à la page 33 "jamais les armées de Charlemagne ne s'aventurèrent en Bretagne", ce qui est évidemment faux puisque plusieurs expéditions militaires franques sont organisées sous le règne de Charlemagne (716-814). En 786, le sénéchal Audulf mène un raid contre les Bretons. De nouveau en 799 avec Guy de Nantes, comte de Nantes et des Marches, puis à nouveau en 811. Il suffit de consulter (voir le site) la chronologie bretonne sur le site du Centre d'Histoire de Bretagne (CHB).
Le livre est important par ses prises de positions critiquant la France, non pas comme une puissance coloniale comme ça se faisait depuis Morvan Lebesque, mais comme une structure centralisée incapable de se moderniser pour répondre à la mondialisation de l'économie et aux nouveaux critères de l'éducation. Il développe ce qu'Alain Glon avait osé dire en 2014 : "Notre problème c'est la France". Beaucoup de ces constats avaient déjà été faits à l'Institut de Locarn ou par d'autres et en particulier par Bretagne Prospective à Rennes.