Le recul de l'indépendantisme en Bretagne dû aux flux migratoires

Enquete publié le 3/02/13 18:20 dans Politique par Philippe Argouarch pour ABP
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La première fois en 400 ans d'union avec la France que l'on a demandé aux Bretons ce qu'ils pensaient de l'indépendance de leur pays, ce fut les 4 et 5 septembre 2000 lors d'un sondage du CSA pour Le Télégramme et Presse Océan. Un sondage qui n'avait pas été censuré comme la couverture du magazine Bretons de février 2013. Ce sondage capital est toujours visible sur la toile, sur le site du CSA (voir le site) .

Les résultats du sondage IFOP que les Bretons ne verront pas à toutes les caisses des supermarchés

Douze ans plus tard, le magazine Bretons commandait un autre sondage, à l'IFOP cette fois, et en faisait l'écho dans son numéro 84 avec les tribulations que l'on connaît (voir notre article). (voir le site) où on peut télécharger ce sondage IFOP complet sous forme PDF. A noter que ces sondages excluent les Bretons expatriés et que si on les prenait en compte le chiffre des indépendantistes devrait être revu à la hausse.

Ce nouveau sondage donne 18 % de Bretons favorables à l’indépendance, dont 20 % sans ceux de la Loire-Atlantique. Les Bretonnes y sont encore plus favorables (20 %). Les moins de 24 ans encore plus (33 %). Les classes populaires aussi, plus favorables (28 %) que les cadres et professions libérales. Les Finistériens sont les plus ardents (20 %). Ceux qui n'appartiennent à aucune formation politique sont à 28 %. Étrangement, et on peut en douter, ceux qui ont voté pour Marine Le Pen, seraient à 40 % favorables alors que la présidente du FN est contre le bilinguisme et contre le fait de donner plus de pouvoirs aux régions, qu'elle appelle "baronnies" !

Un recul de 5 points en 10 ans

Le sondage CSA sur les cinq départements bretons donnait 23 % de Bretons favorables ou assez favorables à l'indépendance. Le sondage IFOP- Bretons de janvier 2012, lui aussi sur les 5 départements bretons, 12 ans après, n'en donne plus que 18 %. En gros les indépendantistes perdent un point tous les deux ans et si la tendance continue, vers 2050 il n'y aura plus d'indépendantistes en Bretagne.

Analyse incomplète

Si le magazine Bretons note bien que les plus de 50 ans sont presque tous contre l'indépendance, il omet dans son analyse de l’interpréter. Chose que l'IFOP n'a pas hésité à faire dans une brève du 1er février résumant les conclusions du sondage dans les termes suivants : " L'important flux migratoire vers la région et le renforcement du sentiment de patriotisme national dans le contexte de crise mondiale (campagnes et promotion du Made in France) ont certainement joué un rôle important dans cette évolution. Parallèlement, les habitants de la Loire-Atlantique, qui exprimaient avec une grande ferveur leur souhait de réunification en 2000 (71 %), se montrent beaucoup plus réservés aujourd'hui, cette question suscitant très probablement un intérêt moindre dans le contexte actuel".

Pour la première fois depuis des siècles, le flux migratoire s'est renversé en Bretagne. Des milliers de retraités arrivent chaque année sur les 5 départements pour y finir tranquillement leurs jours dans un cadre pas si pollué que ça et une paix sociale pas encore bien menacée, sans parler de villes de taille moyenne agréables et dotées de services adéquats. Si une partie de ces nouveaux arrivés sont nés en Bretagne ou sont d'origine bretonne, il est évident que cette vague venant principalement de la région parisienne n'a pas de sentiment patriotique breton particulier, même si certains finissent par l'acquérir. Le recul de l’indépendantisme est confirmé par le recul du sentiment d'être Breton. Le sentiment d'être avant tout français a presque doublé, passant de 23 % à 48 %.

Le recul du désir de réunification en Loire-Atlantique doit aussi être mis en relation avec les flux migratoires qui font que les Bretons (personnes nées dans ce département et dont les parents y sont nés) sont en passe de devenir un jour minoritaires. A ceci il faut ajouter une campagne de débretonnisation très agressive menée par le Conseil Régional des Pays de La Loire et que IFOP semble complètement ignorer. A vrai dire la débretonnisation est en place sur l'ensemble du territoire breton à divers degrés selon les régions et les médias — les premiers prix pouvant être attribués sans hésitation à Ouest France et France Bleu Loire-Océan. Bien sûr, tous les médias nationaux, tous basés à Paris, jouent un rôle. L'absence de télévision régionale est aussi capitale dans les rouages du rouleau compresseur.

La phase finale de la colonisation

Le renversement du flux migratoire est interprété par les nationalistes bretons comme la dernière phase d'un processus de colonisation typique : le repeuplement. Les Bretons actifs et diplômés continuent de s'exiler alors que de nouveaux arrivants français et même non-européens et en tout cas non-bretons, les remplacent. Dans son dernier livre " Le pouvoir régional ", le politologue Romain Pasquier se refuse aussi à aborder la question de la colonisation en Bretagne et le rôle des flux migratoires dans les politiques d'unification de l'état-nation. Il se contente d'analyser, systématiquement certes, le centralisme administratif à travers l'histoire de France sans faire le rapport entre centralisme et volonté de coloniser, de s'accaparer des territoires, et de les phagocyter dans un état unitaire. Il cite par contre l'excellent rapport de Michel Rocard de 1966 : Il faut décoloniser la Province.

Un peuple colonisé peut-il être ouvert sur le monde ?

Le slogan " Une Bretagne, belle, prospère et ouverte sur le monde " peut-il s'appliquer à un peuple en phase de colonisation finale ? Beaucoup en doutent. Accepter des flux migratoires est une attitude d'ouverture mais pour un Etat indépendant. Elle nécessite un Etat, des institutions, des politiques d’intégration. La Bretagne n'a rien de cela. Pire, elle n'a même pas le droit d'enseigner son histoire et sa langue à ses propres habitants d'origine. Que les nouveaux arrivés ne sachent même pas qu'ils s'installent dans un état autrefois indépendant et prospère n'étonnera personne, puisque les Bretons eux-mêmes ne le savent pas.

Philippe Argouarch


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
Bonjour à tous. Je suis étudiant à Brest mais viens de Lannion. Je suis non bretonnant mais adore la culture bretonne. Je trouve l'article très intéressant. Je pense que l'échec de mobilisation subi par les partis se revendiquant bretons est dû à leur vision. Par exemple, étant pour l'indépendance, je n'ai jamais voté pour un parti d'autonomie ou indépendantiste. Là raison à cela ? Tout simplement parce qu'ils se focalisent en (trop ?) grande majorité sur l'indépendance ou l'autonomie et n'apporte par tout le temps de projets pour un territoire. Ainsi, pour les dernières départementales, un parti rassemblant centre et vert avait un projet solide pour le canton tout en insistant sur le développement de la culture bretonne (Lannion et le Trégor organisant très souvent des fest-deiz/noz). Les partis indépendantistes ou autonomistes devraient s'inspirer de ce fonctionnement et je pense qu'ils décolleraient. De même, il faudrait aussi veiller à ce que les Bretons aient une bonne image en France, sans quoi nous ne serons jamais pris au sérieux. Et ce n'ai pas des destructions de portiques écotaxe qui servirons les intérêts bretons. En plus de cela, j'ai remarqué que ce sont les groupes d'extrême droite/nationalistes qui ont une meilleure couverture visuelle (à la faculté des lettres et sciences humaines de Brest du moins), ce qui pourrait nuire à la vision d'une mise en place d'un pouvoir démocratique en Bretagne si indépendance il y a, et donc éloigner les potentiels «indépendantistes».

Une autre idée à débattre, la musique. Pour ma part, c'est la musique bretonne qui m'a fait aimer la Bretagne. Je pense que cet art à un pouvoir de rassemblement sans précédent. Il n'y a qu'a voir la ferveur des gens lors des fest-noz ! Plus que l'histoire ou la langue, c'est sûrement la musique qui permettra de développer une identité bretonne. De plus, pour un renouveau de celle-ci, il serai très intéressant de mélanger la musique bretonne à d'autres styles. Par exemple, je fait parti d'un groupe de métal celtique et je connais des groupes de jazz et de rock qui passent en fest-noz. Le renouveau de cette musique, bien sûr tout en respectant les danses, peut multiplier le sentiment breton.

Enfin, et je finirai par cela, les jeunes (plus que les plus de 50 ans) ont une conscience bretonne importante. Rien que dans ma classe, nous sommes deux indépendantistes purs et durs, plus quatre ou cinq qui ne serai pas totalement contre. Mais aux vues de ce qui se passe en ce moment, même si rien n'ai fait, je pense que seule la langue bretonne risque malheureusement de disparaître (il n'y a que 300000 locuteurs en tout et pour tout). Mais nous ne pouvons nier la croissance des écoles diwan, qui peuvent la sauver. Par contre, l'histoire et la musique ne partirons par de sitôt. En effet il n'y a qu'à voir le nombre de jeunes qui jouent d'un instrument celtique, c'est assez hallucinant. De même, l'histoire de la Bretagne est enseignée dans toutes les grandes facultés de Bretagne (Brest, Rennes, Nantes).

Donc restons optimistes, et vive la Bretagne !!! :)

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