Le recul de l'indépendantisme en Bretagne dû aux flux migratoires
La première fois en 400 ans d'union avec la France que l'on a demandé aux Bretons ce qu'ils pensaient de l'indépendance de leur pays, ce fut les 4 et 5 septembre 2000 lors d'un sondage du CSA pour Le Télégramme et Presse Océan. Un sondage qui n'avait pas été censuré comme la couverture du magazine Bretons de février 2013. Ce sondage capital est toujours visible sur la toile, sur le site du CSA (voir le site) .
Douze ans plus tard, le magazine Bretons commandait un autre sondage, à l'IFOP cette fois, et en faisait l'écho dans son numéro 84 avec les tribulations que l'on connaît (voir notre article). (voir le site) où on peut télécharger ce sondage IFOP complet sous forme PDF. A noter que ces sondages excluent les Bretons expatriés et que si on les prenait en compte le chiffre des indépendantistes devrait être revu à la hausse.
Ce nouveau sondage donne 18 % de Bretons favorables à l’indépendance, dont 20 % sans ceux de la Loire-Atlantique. Les Bretonnes y sont encore plus favorables (20 %). Les moins de 24 ans encore plus (33 %). Les classes populaires aussi, plus favorables (28 %) que les cadres et professions libérales. Les Finistériens sont les plus ardents (20 %). Ceux qui n'appartiennent à aucune formation politique sont à 28 %. Étrangement, et on peut en douter, ceux qui ont voté pour Marine Le Pen, seraient à 40 % favorables alors que la présidente du FN est contre le bilinguisme et contre le fait de donner plus de pouvoirs aux régions, qu'elle appelle "baronnies" !
Le sondage CSA sur les cinq départements bretons donnait 23 % de Bretons favorables ou assez favorables à l'indépendance. Le sondage IFOP- Bretons de janvier 2012, lui aussi sur les 5 départements bretons, 12 ans après, n'en donne plus que 18 %. En gros les indépendantistes perdent un point tous les deux ans et si la tendance continue, vers 2050 il n'y aura plus d'indépendantistes en Bretagne.
Si le magazine Bretons note bien que les plus de 50 ans sont presque tous contre l'indépendance, il omet dans son analyse de l’interpréter. Chose que l'IFOP n'a pas hésité à faire dans une brève du 1er février résumant les conclusions du sondage dans les termes suivants : " L'important flux migratoire vers la région et le renforcement du sentiment de patriotisme national dans le contexte de crise mondiale (campagnes et promotion du Made in France) ont certainement joué un rôle important dans cette évolution. Parallèlement, les habitants de la Loire-Atlantique, qui exprimaient avec une grande ferveur leur souhait de réunification en 2000 (71 %), se montrent beaucoup plus réservés aujourd'hui, cette question suscitant très probablement un intérêt moindre dans le contexte actuel".
Pour la première fois depuis des siècles, le flux migratoire s'est renversé en Bretagne. Des milliers de retraités arrivent chaque année sur les 5 départements pour y finir tranquillement leurs jours dans un cadre pas si pollué que ça et une paix sociale pas encore bien menacée, sans parler de villes de taille moyenne agréables et dotées de services adéquats. Si une partie de ces nouveaux arrivés sont nés en Bretagne ou sont d'origine bretonne, il est évident que cette vague venant principalement de la région parisienne n'a pas de sentiment patriotique breton particulier, même si certains finissent par l'acquérir. Le recul de l’indépendantisme est confirmé par le recul du sentiment d'être Breton. Le sentiment d'être avant tout français a presque doublé, passant de 23 % à 48 %.
Le recul du désir de réunification en Loire-Atlantique doit aussi être mis en relation avec les flux migratoires qui font que les Bretons (personnes nées dans ce département et dont les parents y sont nés) sont en passe de devenir un jour minoritaires. A ceci il faut ajouter une campagne de débretonnisation très agressive menée par le Conseil Régional des Pays de La Loire et que IFOP semble complètement ignorer. A vrai dire la débretonnisation est en place sur l'ensemble du territoire breton à divers degrés selon les régions et les médias — les premiers prix pouvant être attribués sans hésitation à Ouest France et France Bleu Loire-Océan. Bien sûr, tous les médias nationaux, tous basés à Paris, jouent un rôle. L'absence de télévision régionale est aussi capitale dans les rouages du rouleau compresseur.
Le renversement du flux migratoire est interprété par les nationalistes bretons comme la dernière phase d'un processus de colonisation typique : le repeuplement. Les Bretons actifs et diplômés continuent de s'exiler alors que de nouveaux arrivants français et même non-européens et en tout cas non-bretons, les remplacent. Dans son dernier livre " Le pouvoir régional ", le politologue Romain Pasquier se refuse aussi à aborder la question de la colonisation en Bretagne et le rôle des flux migratoires dans les politiques d'unification de l'état-nation. Il se contente d'analyser, systématiquement certes, le centralisme administratif à travers l'histoire de France sans faire le rapport entre centralisme et volonté de coloniser, de s'accaparer des territoires, et de les phagocyter dans un état unitaire. Il cite par contre l'excellent rapport de Michel Rocard de 1966 : Il faut décoloniser la Province.
Le slogan " Une Bretagne, belle, prospère et ouverte sur le monde " peut-il s'appliquer à un peuple en phase de colonisation finale ? Beaucoup en doutent. Accepter des flux migratoires est une attitude d'ouverture mais pour un Etat indépendant. Elle nécessite un Etat, des institutions, des politiques d’intégration. La Bretagne n'a rien de cela. Pire, elle n'a même pas le droit d'enseigner son histoire et sa langue à ses propres habitants d'origine. Que les nouveaux arrivés ne sachent même pas qu'ils s'installent dans un état autrefois indépendant et prospère n'étonnera personne, puisque les Bretons eux-mêmes ne le savent pas.
Philippe Argouarch
■