Mouvement breton : éléments pour une année zéro

Point de vue publié le 10/11/11 23:37 dans Politique par F. Lécuyer pour ABP
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Le mouvement breton fonctionne sur un socle d'idées et une vision du monde qui, s'il a influencé des milliers de militants bretons et de mouvements politiques depuis plus de cent ans, paraît aujourd'hui fort éloigné des réalités bretonnes. Plus inquiétant, ce décalage et ces contradictions peuvent entraîner un handicap quant à certaines revendications (la Réunification par exemple) et prêter le flanc à de nombreuses critiques. Car ces contradictions évidentes fournissent des angles d'attaque inespérés aux ennemis de toutes avancées institutionnelles en Bretagne.

Aujourd'hui, il convient de faire un aggiornamento complet de « l'idée bretonne », voici quelques éléments de réflexion :

- Le positionnement Droite-Gauche

Le mouvement breton a été, de tout temps, dans un effet de balancier par rapport au positionnement sur l'échiquier politique. Oscillant entre le conservatisme des pionniers de la fin du XIXe, au « na ruz na gwenn, breizhad hepken » (ni rouge ni blanc, breton seulement) qui a traversé toutes les époques, à la tentation autoritaire de l'entre deux guerres pour finir sur le positionnement majoritairement à gauche de l'après 68, l'emsav a surtout suivi les lignes de force communes au monde occidental. Or pendant ce temps, le positionnement politique du peuple breton n'a, lui, pratiquement pas changé. Influencé par la démocratie chrétienne et notamment le volet social et progressiste de certains courants de l'Église (notamment « Le Sillon » de Marc Sangnier), les Bretons sont toujours restés sur une position globalement centriste. Centre-droit ou centre-gauche mais le pôle magnétique de la sensibilité bretonne reste majoritairement au centre. L'influence historique des trois quotidiens bretons (Ouest France, Le Télégramme et Presse Océan/L'Éclair) et de la JAC/JOC (organisations sociales chrétiennes), globalement placés sur cette même ligne, y est également pour beaucoup. Notons que si la Bretagne compte des pôles « rouges » historiques (Basse-Loire, Trégor rouge, Lorient, Pontivy, Fougères, Douarnenez) et quelques régions foncièrement conservatrices, elle n'a jamais été une terre de crispation politique, les arrangements internes primant sur les affrontements. De surcroît, la Bretagne n'a jamais été une terre globalement uniforme politiquement à l'instar de la Vendée conservatrice ou de la ceinture rouge parisienne (on peut ajouter à ce constat l'Alsace majoritairement à droite ou le Limousin majoritairement à gauche, etc.) favorisant de fait les positionnements « de compromis ». Ajoutons à cela des données socio-économiques favorisant, in fine, une inclinaison centriste (fort taux de propriétaires mais absence de grandes propriétés foncières, absence de tissu industriel lourd et fort taux de PME, etc.).

En conclusion, tout positionnement politique affichant un ancrage trop important à gauche ou à droite est, de facto, voué au groupusculisme à l'échelle du territoire breton. Les scores des différents partis de la gauche ou de la droite extrême en Bretagne sont éloquents à ce sujet. Au niveau international, il est fréquent d'avoir des positionnements politiques plus tranchés chez certains peuples : basque, kurde, irlandais dans le nord de l'Irlande pour l'extrême-gauche ; flamand, Sud-Tyrol pour l'extrême-droite. Mais en Bretagne, c'est ainsi, chaque militant breton peut afficher une sensibilité soit très à droite soit très à gauche, mais celui-ci doit savoir que tout éloignement du Centre-droit/Centre-gauche dans sa pratique politique le condamne automatiquement à être inaudible par le peuple breton.

- Les thèmes de revendication

Il est courant d'entendre, parmi nos compatriotes, que, sorti de ses thèmes habituels, le mouvement breton n'a rien à dire de plus que les formations françaises de droite ou de gauche. Les partis politiques bretons apparaissent donc souvent par trop éloignés des préoccupations quotidiennes des Bretons même si ces derniers peuvent, par ailleurs, être sensibles à la question de la Loire-Atlantique ou au destin des deux langues bretonnes (breton et gallo). Pourtant au cours de ces dernières années, certains thèmes de revendications originaux ont été portés par le mouvement breton ou des acteurs isolés proches du mouvement breton : la lutte contre la spéculation immobilière en milieu rural (en Trégor notamment), la défense des services publics en Centre-Bretagne (hôpital de Carhaix défendu par Christian Troadec), la demande de gratuité des transports publics (Nantes), la lutte contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, etc. Malheureusement, ces thèmes ont été sous-exploités et demeurent trop rares dans le discours du mouvement breton. Celui-ci, s'il veut percer, aurait intérêt à faire preuve d'inventivité et d'audace dans les années à venir. Est-il normal, par exemple, que la demande de transfert de pouvoir en matière de gestion de l'Eau émane du président socialiste du Conseil régional B4 Jean-Yves Le Drian ? La question a bien sûr été abordée par des formations bretonnes, mais on en peut pas dire qu'elle soit devenue un axe principal de revendication alors que l'échec des sociétés privées et de l’État à ce niveau est patent et que partout en Bretagne les contrats de fermages sont dénoncés pour remettre en place des régies publiques de l'eau.

Notons que les Corses ont lutté contre la bétonnisation de leur île en pleines Trente Glorieuses (et étaient bien les seuls à le faire à l'époque) et que les Basques d'Ipparalde ont lancé, avec la fondation Manu Roblès, un think-thank abertzale (c'est-à-dire « nationaliste »), bien utile au renouvellement des revendications de la cause basque.

- La représentation du « militant breton »

Question taboue dans le mouvement breton, l'image du militant breton lambda n'est pas particulièrement positive dans la population bretonne, notamment en ce qui concerne l'aspect. L'allure celto-baba-cool n'étant pas la norme dans la population bretonne, le militant breton apparaît souvent comme une personne décalée par rapport à son environnement. Pourtant, l'ensemble des mouvements autonomistes ou indépendantistes notamment européens, ne considère pas la cravate et le costume trois-pièces comme une marque infamante. Jean-Guy Talamoni, Gerry Adams, Des Dalton ou Arnaldo Otegi ne ressemblent ni à des jeunes débraillés ni à des révolutionnaires cubains et portent pourtant des discours forts et sans concession.

Le mouvement breton post soixante-huit entre, ici, totalement en rupture avec les précurseurs, mais il convient désormais de s'interroger sur pertinence de ce choix.

- La question linguistique et l'image faussée de la Bretagne

Le problème est majeur pour le mouvement breton. En effet, l'Emsav a toujours péché sur un point précis ce qui permet à ses adversaires de s'engouffrer régulièrement dans la brèche créée par cette contradiction malheureuse.

L'emsav s'est toujours targué d'être le champion de la défense de la « vraie Bretagne », de sa langue et de ses traditions face à l'ogre jacobin centralisateur et ethnocidaire censé représenter la vision d'une Bretagne assimilée et nivelée.

Or derrière ce mot « Bretagne » défendue et mise en avant, l'Emsav a toujours compris « Basse-Bretagne », c'est-à-dire la Bretagne bretonnante, la Bretagne celtique. La Haute-Bretagne, de langue gallèse, ayant toujours été, soit totalement ignorée, soit considérée quasiment comme une terre de conquête (voir les écrits de la revue Brittia dans les années 50).

Notons qu'à l'intérieur de l'Emsav il aura toujours existé une frange considérant la Bretagne dans son ensemble culturel et linguistique réel (l'abbé Buléon dans les années 30 parlait de « nos deux langues nationales » et organisait des fêtes religieuses en gallo et breton, Emmanuel Hemery membre du bureau politique du PNB était un militant du gallo et du breton et travaillait sur la matière de Haute-Bretagne, la grille de radio-Rennes Bretagne durant la guerre contenait des émissions en gallo, « les compagnons de Merlin » fondés par le Vitréen Jean Choleau défendait l'idée d'une Bretagne bilingue dans les années 30, etc.).

Cependant cette question du gallo et de la Haute-Bretagne en général reste une épine dans le pied de l'Emsav qui a encore aujourd'hui du mal à se défaire d'un esprit de mimétisme par rapport à l'idéologie française « un peuple, une langue, un territoire », prêtant ainsi le flanc aux critiques des thuriféraires du jacobinisme français trop heureux d'appuyer régulièrement sur une contradiction flagrante.

Notons que contrairement à l'emsav breton, les mouvements écossais (2 langues), kanaks (33 langues) ou guyanais (15 langues) notamment, ont eux, réussi à tuer le père représenté par l'idéologie française.

Relevons que cette négation du gallo et cet oubli de la Haute-Bretagne dans l'imaginaire de l'Emsav et l'écriture de son roman national a été fortement encouragé par l'absolue nullité du mouvement culturel et linguistique gallo (à quelques exceptions près) jusqu'à nos jours.

- L'absence d'argumentaire en faveur du breton en Haute-Bretagne

Le mouvement breton ayant choisi le breton comme « langue nationale de Brest à Clisson », la question de l'argumentaire à destination des populations locales se pose. À Plouguerneau (29) les arguments tombent sous le sens, à Fleurigné (35), beaucoup moins. La question du rapport historique entre Haute-Bretagne et breton n'a jamais passionné l'Emsav alors même que la moindre variation dialectale entre le bas-Vannetais et le Cornouaillais central a donné, lui, matière à 25 livres au minimum. N'y aurait-il pas là matière à recherche ? Il y a de cela quelques années, un jeune étudiant avait proposé comme sujet de thèse : « le breton en Haute-Bretagne à travers l'Histoire », son directeur de thèse lui refusa sous prétexte que cela n'intéressait personne et qu'il serait plus enrichissant de travailler sur un sujet mille fois rebattu. Si le mouvement breton souhaite faire du breton, une « langue nationale », il faudra bien qu'il explique aux populations locales de la moitié de la Bretagne le pourquoi du comment d'une telle revendication chez eux.

- L'impatience politique

Le mouvement breton brille souvent par son impatience. « Car nous avons raison », la moindre formation politique doit automatiquement avoir 20 % et 15 élus à la première élection à laquelle elle se présente, surtout si la liste concernée est « unitaire », c'est-à-dire qu'elle regroupe au moins deux chapelles politiques. Bien entendu, si ces espérances sont déçues, la coalition éclate le lendemain du premier tour.

Hélas, le mouvement breton étant hors de l'alternance politique « droite modérée-gauche modérée », il doit s'aligner sur les expériences des formations « en marge » (extrême-droite, extrême-gauche, nationalistes) pour pouvoir planifier son futur. En gros, en se présentant systématiquement aux élections locales, il faut tabler sur 15 ans de scores anecdotiques à 2-3 % pour espérer s'ancrer dans le paysage, faire émerger des figures locales et espérer dépasser, un jour, les 5-10 %.

- Les mots délimitent les camps

Alors qu'en Corse, les nationalistes sont identifiés par le terme... « nationaliste », au Pays Basque, par le terme « Abertzale », en Irlande du Nord par le terme « républicain » ; en Bretagne, le mouvement breton a toujours su faire preuve d'une inventivité débridée pour ne pas appeler un chat un chat. En Bretagne, il y a des indépendantistes, des autonomistes, des régionalistes, des « des femmes et des hommes qui ont pour ambition d'aboutir à l'émancipation politique, économique, culturelle et sociale de la Bretagne » voire des personnes « décidées à réveiller la conscience nationale du Peuple breton afin que celui-ci se dote enfin des structures politiques, économiques, sociales et culturelles lui permettant d'assurer en tant qu'entité internationalement reconnue, son avenir et son épanouissement dans le cadre d'une Europe des Peuples et de la Solidarité ».

Les mots délimitent les camps, il ne s'agit pas de surenchérir dans les mots en « -iste » mais bien de lier une pratique politique locale à un terme facilement identifiable.


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
@ Ar Vran
Bonjour !! Permettez-moi de vous signaler qu'il y a un modérateur sur ce site. Il filtre les messages envoyés, les trie en fonction de la ligne éditoriale de l'Agence et renvoie en particulier tous ceux qui peuvent être injurieux ou incitant à la haine. Le fait que certains de mes propos (pas toujours aimables) aient été diffusés prouve que l'Agence a une réelle ouverture d'esprit et ne refuse pas de faire place aux contradicteurs et même aux opposants au «mouvement breton». Quoiqu'il en soit votre proposition, en apparence de bon sens, me paraît sans objet.
JYT Breton de France.
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