Interview MónDivers : Le droit de parler sa propre langue n'est pas compris par les monolingues

En Bref publié le 28/08/08 5:12 dans Europe par Mikael Bodlore-Penlaez pour Mikael Bodlore-Penlaez

Ce mois-ci, Mikael Bodlore-Penlaez réagit au «manifeste des autoproclamés intellectuels espagnols». Il rappelle la place que la Géorgie a laissée à l’Ossétie et à l’Abkhazie et aussi, qu'à propos de la reconnaissance des langues minorisées en France, il reste un long chemin à parcourir.

MónDivers : Les partis flamands parlent de plus en plus ouvertement de confédéralisme, sinon d’indépendance. Est-il possible que les partis francophones acceptent de transformer la Belgique en une confédération ?


Mikael Bodlore-Penlaez : La situation en Belgique est intéressante. Il s’agit d’un laboratoire de l’avenir européen. Lorsqu’on lit la presse sur ce qui se passe actuellement, on focalise le débat sur la crise gouvernementale et la possible scission du pays. Mais s’intéresse-t-on vraiment à la vie des habitants des deux principales communautés : les Flamands et les Wallons ? On oublie aussi très souvent qu’une autre communauté est intégrée à cet État. Il s’agit des germanophones. L’opinion flamande et wallonne est selon moi en trois catégories. Les personnes favorables à l’indépendance, les rattachistes et les personnes favorables au statu quo. Les premières sont plus du côté flamand mais il existe aussi des Wallons favorables à la création d’un État wallon. Les rattachistes se trouvent pour leur part chez les Wallons. Il est difficile d’estimer leur nombre. En effet, les partis rattachistes souvent proches de l’extrême droite souverainiste française font de très faibles scores mais de récents sondages (Ipsos du 29 juillet dernier) révèle qu’il représenterait près de la moitié des Wallons. Cela reste un sondage mais est troublant. Comment un Wallon, disposant de droits spécifiques et d’un modèle social et culturel particulier peut imaginer être englobé dans un État qui ne reconnaît officiellement aucun particularisme. C’est la voie à la perte de l’identité wallonne. Pour ce qui est de la troisième catégorie, favorable au statu quo, elle est difficile à percevoir. C’est certainement le cas de nombreux Wallons qui pourraient voir dans le confédéralisme une voie de sortie et la sauvegarde de la Belgique. En tout état de cause, si la Flandre devenait indépendante, il ne s’agirait pas d’un traumatisme comme l’annonce certains observateurs ou médias. Au contraire, il s’agit de la vie naturelle des nations. Hier, la Lettonie, la Slovaquie ou la Slovénie obtenaient leur indépendance. Pourquoi pas la Flandre demain ?

MónDivers : Les langues minorisées (dites régionales) sont entrées finalement dans la Constitution française. Quels progrès cela peut-il selon vous supposer pour le catalan, le breton, le basque ou l’occitan dans la pratique ?

MBP : Les langues régionales sont aujourd’hui reconnues dans le texte qui fonde les valeurs de la République française. Les pires opposants à l’expression de particularismes locaux ont certainement dû avaler leur salive. C’est une très bonne chose après des années de mépris et d’incompréhension de la part des élus. Mais doit-on crier victoire ? Certainement pas. En effet, devant apparaître dans l’article 1 de la Constitution, il a été relayé à la 75e place dans la partie consacrée aux collectivités territoriales. De plus beaucoup ont dénoncé le fait que les langues régionales ne soient considérées uniquement comme un patrimoine alors qu’il s’agit d’un élément constitutif d’un peuple, bien au delà des belles pierres et de la gastronomie. Les élus mettent aujourd’hui beaucoup d’espoir dans cette reconnaissance, à droite (UMP) comme à gauche (PS). Ils sont ambitieux et c’est tant mieux et imaginent déjà la suite : développement de l’enseignement, généralisation de la signalétique bilingue sur les routes nationales, plus grande présence dans les médias et même la création d’un conseil national pour les langues régionales. Mais les indépendantistes polynéniens estiment pour leur part que l’Etat français s’accapare leurs langues pour plus les coloniser.

MónDivers : Plus concrètement, le Gouvernement français a promis une loi de langues pour être discutée l’année 2009. Est-ce que cela peut-être le véritable point d’inflexion d’une loi ambitieuse et de droits, et pas du tout une simple mention à la Constitution ?

MBP : Au delà de la loi, il faut poser trois questions. Effectivement quelle loi sera loi proposée par le gouvernement en 2009 et quelles ambitions elle impulsera ? Mais aussi est-ce que l’Etat français ratifira enfin la Charte euopéenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de l’Europe lui permettant de répondre aux standards démocratiques européens ? Grâce à cette reconnaissance dans la Constitution cela est désormais techniquement possible. Et quelle part sera laissée aux collectivités locales et tout particulièrement les régions pour mener à bien le développement et la redynamisation des langues régionales. Certains élus, comme des présidents de régions parlent aujourd’hui d’autonomie. De la parole aux actes, il ne reste plus qu’à dessiner l’avenir de nos langues.

MónDivers : Apparemment, à Chypre, la résolution du problème ne sera pas la forme de l’État qui sortira des négociations mais plus le rôle que doit avoir la Turquie ou l’avenir des colons turcs à Chypre nord. Qu’en pensez vous ?

MBP : En effet, Grecs et Turcs de Chypre doivent entamer le 3 septembre des négociations sur la réunification de l’île divisée depuis 34 ans et envahie par la Turquie. Cet Etat est malheureusement connu pour le traitement antidémocratique qu’il réserve au peuple kurde. Mais acceptera-t-elle que demain ses ressortissants soient reconnues comme une minorité à Chypre nord ? Il faut se rappeler qu’il y a quatre ans les Turcs de l’île avaient accepter la réunification tandis que les Grecs la rejetait et adhéraient à l’Union européenne. La balle est donc dans le camp grec même s’il ont sait que la Turquie restera partie prenante dans ce jeu d’acteurs.

MónDivers : Après presqu’un an et demi, depuis sa proclamation de l’indépendance, le Kosovo n’est reconnu que par seulement 20 % des États du monde. Est-ce que nous allons vers une situation à la taïwanaise ?

MBP : Le Kosovo est aujourd’hui indépendant. Personne ne peut le nier. La Serbie n’est plus maître du destin de ce nouvel Etat. La reconnaissance par d’autres Etat est un autre problème. Ce qui est le plus préoccupant est la configuration de la carte des Etats qui ont reconnu ou non le Kosovo. Elle ressemble à s’y méprendre à la situation de la guerre froide. Etats-Unis, Canada, une grande part de l’Europe et Australie ont reconnu son indépendance tandis que la Russie, la Chine et quelques Etats pas toujours aux mieux avec les standards démocratiques ou confrontés à des situations de secession ne l’ont pas encore fait. Cela risque de durer encore un peu.

MónDivers : Vous semble-t-il admissible que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud se subordonnent à la Russie pour obtenir la séparation de la Géorgie ? Est-ce que cela n’équivaut pas à se soumettre à un pouvoir étatique encore plus fort ?

MBP : La question n’est pas de savoir si l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud ont raison de s’appuyer sur la Russie pour obtenir l’indépendance mais plutôt quelle avenir leur réserve la Russie ? Les dernières informations qui sont parvenues à ce jour sur la situation en Ossétie du Sud sont alarmantes. Le président de la république autoproclamée d’Ossétie du Sud Edouard Kokoïty parle déjà de 1 400 morts. La capitale Tskhinvali, aurait été presque entièrement détruite. Il est difficile de vérifier ces données pour le moment. La mobilisation générale a été décréter par le Président géorgien Mikhail Saakashvili car les Russes ont pénétré en Ossétie du Sud. Il est impératif que les combats cessent pour parvenir à une solution pacifique mais il n’est pas non plus inutile de rappeler aux Géorgiens qu’un jour ils étaient sous le joug de la Russie soviétique ? Pourquoi ne laissent-ils pas les Ossètes et les Abkhazes décider de leur sort ? Leur laissent-ils d’autres choix que de s’appuyer sur la Russie ?

MónDivers : Les nationalistes espagnols ont orchestré une dure campagne contre le catalan, le basque et le galicien. Ils ont promu un «manifeste pour la langue commune» en décrédibilisant les langues autres que le castillan, qui en certains aspects, borde le racisme linguistique. De Bretagne ou des autres pays européens, comment perçoit-on ce réarmement de l’essentialisme espagnol ?

MBP : Cette question a fait son apparition dans les médias bretons et français lors du débat sur l’introduction des langues régionales dans la Constitution française. Les opposants aux langues régionales et à la diversité culturelle montraient du doigt ce qui se passait selon eux de grave en Catalogne, au Pays basque et en Galice, en essayant de tromper l’opinion publique sur la situation réelle dans ces régions. En effet, ils ont vite oublié que le régime franquiste (1939-1975) a tout fait pour éradiquer les langues minorisées par l’État espagnol. La création des autonomies est un droit acquis après une longue période de dictature. Le droit de parler sa langue et d’en pratiquer plusieurs est une données peu comprise par les monolingues. Ils ont des difficultés à comprendre qu’on puisse parler basque, catalan ou galicien dans un État dont la langue dominante est le castillan et que l’enseignement puisse être effectué dans une langue régionale dès les petites classes. Pourtant ce modèle montre que les élèves maîtrisent aussi bien le catalan et le castillan et souvent d’autres langues. Ce qui le plus dommage dans cette affaire c’est le ralliement d’écrivains ou philosophes comme Fernando Savaterl (Prix Sakharov 2000 des droits de l’homme et de la liberté d’expression) ou de Mario Vargas Llosa qui se laissent berner par l’idéologie sectaire des «monolingues frustrées».

Source : MónDivers. Cet article est aussi disponible en catalan sur (voir le site)


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