Les territoires des petits "princes" du bronze ancien en Armorique

Chronique publié le 2/06/23 12:15 dans Histoire de Bretagne par Mickael Gendry pour GENDRY Mickael
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Géographie des tumuli selon Patrice Brun dans la partie occidentale de la péninsule armoricaine à l’âge de bronze vers 2000-1500 avant notre ère.
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Croquis d'interprétation de la dalle gravée du Bronze ancien de Saint-Bélec (Leuhan, Finistère) [d'après les travaux de Clément, Pailler et al., 2021, cartes 17, p.71 ; cartes 20 p.74]

Les tumulus sont des tertres artificiels élevés au-dessus d'une tombe. Ceux élevés en Armorique à l’âge de bronze ancien (2200 à 1 600 avant notre ère) ne sont pas disposés au hasard. Leur implantation correspond à des points remarquables dans le paysage. Ils sont concentrés près des gisements d’étain, le long de chemins, attestant la présence de voies de communication traversant la péninsule dès cette période ou sur des hauteurs avec une forte concentration sur les monts d’Arrée dans le Finistère et le plateau central de l’ouest des Côtes-d’Armor. Le modèle des centres du pouvoir des chefferies, à l’échelle de la partie occidentale de la péninsule armoricaine du bronze ancien, entre 2000 et 1500 avant J.-C., proposé par Patrice Brun est établi en tenant compte de la répartition des tumulus. Il prend en compte deux séries de tumulus, déjà étudiés (Cogne et Giot, 1951) : ceux à pointes de flèche et les autres avec souvent un vase en terre cuite, qu’il assimile à un même ensemble dans une seconde publication pour la raison qu’il n’est pas sûr qu’elles se soient succédés (Patrice Brun, 2011, p. 219) ». Pour classer les monuments, il retient le critère le volume des tumulus plutôt que la richesse de leur mobilier, en précisant qu’ils relèvent de deux logiques différentes, la pérennité du pouvoir et du souvenir dans le premier cas, la stratégie ostentatoire, le second. L’inventaire conduit à établir une géographie des tumulus selon un rang hiérarchique. À l’échelle de l’Armorique, la carte met en évidence « des tumulus groupés dans le Trégor, les monts d’Arrée et le Léon au nord, dans la Cornouaille au sud (Patrice Brun, 2011, p. 219) », près des lieux d’extraction de l’étain, - par exemple Huelgoat (Berrien) pour le cuivre et Saint-Renan (Plabennec) pour l’étain (Patrice Brun, 2011, p.220.) - et « des tumulus plus isolés ailleurs (Patrice Brun, 2011, p. 220) ». Le maillage territorial dans les zones denses fait apparaître une certaine régularité des modules des communautés de base de 12.5 km, - soit environ l’équivalent de cinq lieues gauloises et « trois heures de marche aller et retour (Patrice Brun, 2011, p.221) » et de 25 km en moyenne pour les pôles supra locaux, ce que l’on retrouve aussi dans le Wessex, au Sud du Royaume-Uni (Fleming, 1973, p. 539-558). Parmi la cinquantaine de tumulus retenus, huit se dégagent nettement par leur volume : Plonéour-Lanvern « Kerhué Bras » avec une taille de 6 mètres de haut pour 38 de large et 300 m3 est le plus impressionnant, Kersaint-Plabennec, Plouvorn, Prat, Saint-Thégonnec, Berrien, Bourbriac, Melrand. La richesse du mobilier est considérable. Les élites sont enterrées avec toute leur panoplie guerrière : des poignards aux manches décorés de clous d’or, des pointes de flèches en silex, des haches en bronze des parures en marbre, de jadéite ou de matériaux de prestige (or, argent, bronze). Ces biens de prestige étaient échangés sur un réseau d’échange sur de très longues distances, comme déjà au néolithique, les haches en dolérite qui provenaient des Alpes italiennes. L’étude souligne aussi la forte résilience des centres de pouvoir que permet d’observer la superposition des sites du bronze avec ceux de la culture campaniforme.

La redécouverte en 2004 d’une plaque de schiste à Leuhan dans le Finistère semble confirmer le processus de territorialisation à l’âge de bronze. Initialement découverte lors de la fouille du tumulus de Saint-Bélec en 1900 par le préhistorien Paul de Chatelier, elle est ensuite acquise par le musée de Saint-Germain en Laye (Yvelines) puis reléguée dans les sous-sols du château. Son intérêt récent par les archéologues de l’INRAP, Yvan Pailler et Clément Nicolas tient à ce qu’elle pourrait représenter une cartographie de la vallée de l’Odet et d’une partie des montagnes noire. La datation de cette dalle gravée, longue de 2.20 mètres sur 1.53 de large oscille, entre 2150 et 1600 avant notre ère. Les motifs associent des formes circulaires, quadrangulaires et de cupules (petite dépression circulaire d’origine anthropique), jointes par des lignes sont autant de repères géographiques et de constructions symboliques (Clément, Pailler et al., 2021, p.28.). Selon ces chercheurs, la ligne centrale pourrait correspondre à la vallée de l’Odet, le tracé en ligne courbe du centre, le plan d’une enceinte (peut-être Castel Ruffel ou l’ellipse bocagère du bourg de Roudouallec : Clément, Pailler et al., 2021, p.34), les cupules, des tumulus. Les tracés en ligne droite ou sinueuse seraient des chemins ou des cours d’eau ; les motifs circulaires des éléments du paysage anthropique (maison, enclos domestique, enclos à bétail, village) ou naturel (relief, source, point d’eau), les motifs quadrangulaire et réticulé, des espace anthropiques (maison, enclos domestique, village, système parcellaire). Toujours selon eux, l’espace considéré s’appliquerait à une zone géographique de 30 km de long et 21 km de de large, orientée sur un axe ENE-OSO, soit le territoire d’un prince ou d’un roi. Tous ces relevés semblent confirmer les données de Patrice Brun des pôles supra-locaux. Celui de Leuhan pourrait correspondre au tumulus de Saint-Bélec qui surplombe la vallée supérieure de l’Odet (Clément, Pailler et al., 2021, p.29).

La dalle gravée de Saint-Bélec est probablement contemporaine du célèbre disque céleste de Nebra, enfoui vers 1600 avant notre ère en Allemagne. Deux communautés aux extrémités de l’Europe semblent avoir représenté symboliquement l’une le ciel, l’autre la terre (Clément, Pailler et al., 2021, p.36), « un espace réel, idéalisé ou rêvé, possiblement inscrit dans les récits mythologiques ou cosmogoniques (Clément, Pailler et al., 2021, p.28) ». Par ces intermédiaires, les élites pouvaient asseoir leur domination et leur légitimité sur les éléments naturels.

Sources citées :

BRUN, Patrice, « Les territoires en Europe pendant les âges du Bronze et du Fer ». In KOURTESSI-PHILIPPAKIS G., TREUIL R. (dir.) Archéologie du territoire, de l’Égée au Sahara. Paris : Publications de la Sorbonne, 2011, p. 213-230.

BRUN, Patrice, « Schémas d’occupation de l’espace aux âges du Bronze et du Fer ». In BRUN P., MARCIGNY C., VANMOERKERKE J. (dir.) Une archéologie des réseaux locaux, Dossier spécial, Les Nouvelles de l’Archéologie, Paris : Errance, 2006, p. 80-85.

CLÉMENT, Nicolas, PAILLER, Yvan, STÉPHAN, Pierre, PERSON, Julie, AUBRY, Laurent, et al., « La carte et le territoire : la dalle gravée du Bronze ancien de Saint-Bélec (Leuhan, Finistère) », Bulletin de la Société préhistorique française, 2021, 118 (1), pp.99-146.

FLEMING, Andrew, « Territorial patterns in Bronze Age Wessex », Proceedings of the Prehistoric Society, 1971, t. 37, 1, p. 138-166.

GENDRY Mickaël, « Les Celtes et le complexe campaniforme. Un dernier état de la recherche », revue Keltia, n°62 et 63 (suite), 2023.

RENFREW, Colin, « Monuments, mobilization and social organization in Neolithic Wessex », dans C. Renfrew (éd.), The Explanation of Culture Change : Models in Prehistory, Londres, Duckworth, 1973, p. 539-558.

A paraître :

GENDRY Mickaël, "Les Celtes et l'Armorique", éd. Yoran Embanner, printemps 2024.


Vos commentaires :
Samedi 27 avril 2024
Le lieu-dit Saint-Belec est reproduit sans vérification sur le terrain. On ne le trouve pas dans le cadastre de Leuhan.
En vrai, il a été transcrit comme Saint-Prêtre (beleg = prêtre).
Il serait donc adéquat que les spécialistes pointent le nom ancien du hameau et son nom traduit.
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