Aziliz Gouez a lancé un pont entre Nantes et la région administrative Bretagne

Interview publié le 22/10/21 7:16 dans La réunification par Philippe Argouarch pour ABP
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Aziliz Gouez

Née à Nantes, Aziliz Gouez a grandi dans le Pays de Redon, sur une petite exploitation de vaches allaitantes. Diplômée de Sciences Po Paris, elle a ensuite étudié l’anthropologie à l’EHESS et à l’Université de Cambridge. L’Europe est au cœur de son engagement politique, intellectuel et professionnel : comme collaboratrice de l’Institut Jacques Delors - où elle reste à ce jour chercheuse associée - elle a vécu et travaillé en Europe Centrale et en ex-Yougoslavie ; elle a ensuite vécu pendant sept ans en Irlande, où elle a été la plume ( chief speechwriter ) du Président de la République, le poète et leader du parti travailliste irlandais, Michael D. Higgins. De retour en Bretagne en 2019, elle devient collaboratrice d’Ubisoft International avant d’être élue conseillère municipale de Nantes en 2020 (et vice-présidente de Nantes Métropole en charge de l’alliance des territoires) puis conseillère régionale de Bretagne en 2021 au sein du groupe d’opposition Breizh a-gleiz (coalition de sensibilité fédéraliste rassemblant l’UDB et Ensemble Sur Nos Territoires).

Lors de sa session du 15 octobre 2021, le Conseil régional de Bretagne a adopté à l’unanimité un vœu en faveur de la réunification intitulé Pour une expression citoyenne sur la question de la réunification de la Bretagne dont l’article 1 stipule « Le Conseil Régional de Bretagne est favorable à l'intégration du département de Loire-Atlantique à la Région Bretagne et s'oppose à tout projet de fusion avec la Région Pays de la Loire », et l’article 2 « Le Conseil Régional de Bretagne, comme de nombreuses collectivités bretonnes, demande à l’État d’engager, à l’horizon 2024, le processus législatif qui permettra de consulter en premier lieu les électeurs de Loire-Atlantique sur leur souhait de rejoindre, ou non, la Région Bretagne. ». L’article 3, entre autres, demande un suivi des 13 recommandations qui avaient été faites en juillet 2020 dans le rapport coordonné par Jean-Michel Le Boulanger et Isabelle Le Bal (voir notre article).

[ABP] Félicitations pour votre élection au Conseil régional de la région Bretagne. Alors que vous êtes déjà élue à Nantes et vice-présidente de Nantes Métropole, avoir un pied des deux côtés d'une Bretagne divisée est un geste symbolique fort, non ?

[Aziliz Gouez] Absolument ! Mon engagement d'élue nantaise au sein de l'institution régionale bretonne correspond à un geste politique assumé. J'assume la portée symbolique de cet acte, puisque c'est la première fois qu'une élue nantaise siège au Conseil régional de Bretagne. Mais j'en assume aussi et surtout le potentiel créateur, dans un esprit de construction. Les frontières administratives ont peu de sens au regard de tout ce que nos collectivités pourraient construire ensemble en matière de rééquilibrage des activités économiques entre villes et campagnes, entre Est et Ouest de notre péninsule, ou encore en matière de transition énergétique, de mobilités, de transformation de nos systèmes alimentaires, sans oublier les enjeux culturels et linguistiques. J'espère donc que cette passerelle jetée entre la Bretagne administrative et la Ville de Nantes contribuera à amplifier les coopérations autour de ces enjeux partagés par tous les territoires bretons. C'est ainsi que nous préparerons l'avenir : en nous organisant par la base, depuis les territoires, et non en attendant le grand soir d'une réforme par le haut.

[ABP] Vendredi 15 octobre, le Conseil régional de la région Bretagne a voté à l'unanimité de tous les groupes politiques un vœu pour que le gouvernement organise une consultation citoyenne sur la réunification, mais ce n'est pas la première fois que ce Conseil régional exprime un tel vœu . Il en a voté une demi-douzaine, le premier le 2 juillet 2001, puis en 2004, en fait à toutes les mandatures on dirait, le Conseil général de la Loire-Atlantique a voté ce vœu dès le 22 juin 2001. Ces vœux servent-ils à quelque chose ?

[Aziliz Gouez] C'est même beaucoup plus ancien ! Les grandes manifestations populaires et les premières prises de position de nos assemblées en faveur du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne remontent aux années 1970. Il faut se souvenir des vœux pro-réunification adoptés par le Conseil municipal de Nantes en 1980 et par la Région Bretagne en 1981.

A quoi servent ces vœux ? Ils servent au moins à réaffirmer l'attachement du Conseil régional de Bretagne au principe de la réunification administrative de la Bretagne. Ils montrent que cette position ne s'émousse pas, malgré les décennies. Mais vous avez raison, le risque serait que ces vœux adoptés en début de mandature deviennent une sorte d'incantation rituelle, sans effets attendus. C'est pourquoi notre groupe, Breizh a-gleiz, qui rassemble l'UDB et Ensemble Sur Nos Territoires, s'est attaché à formuler, non pas un simple voeu mais une "motion" - c'est-à-dire un texte qui engage l'institution régionale à dépasser la simple position de principe pour enclencher des actions concrètes pendant la mandature qui s'ouvre. Breizh a-gleiz a porté cette motion conjointement avec le groupe des "Ecologistes de Bretagne" en amont de la session des 14 et 15 octobre, puis nous avons engagé des discussions avec les autres groupes politiques pour aboutir à un texte commun entre notre motion et le vœu proposé par M. Chesnais-Girard. Nous sommes satisfaits du résultat dans la mesure où le texte final inclut des éléments importants de notre motion, telle l'intégration de la date butoir de 2024, afin que l'organisation par l'État d'un référendum décisionnel ne reste pas un horizon fuyant, éternellement remis à demain. Le principe d'un référendum organisé d'abord en Loire-Atlantique était, quant à lui, un élément consensuel entre les deux textes initiaux, et il reste au cœur du texte commun qui a été adopté vendredi à l'unanimité.

[ABP] Vous avez proposé, lors de cette session de vendredi dernier, que si l'État n'organisait pas de référendum au sujet de la réunification administrative de la Bretagne dans les 3 prochaines années, la région Bretagne devrait se charger d'organiser une consultation citoyenne ? Mais sur quel territoire ? Vous n'avez pas été suivis ?

[Aziliz Gouez] En effet nous avons proposé un amendement invitant le Conseil régional de Bretagne à prendre ses responsabilités dans le cas où l'État n'engagerait pas de processus législatif à l'horizon 2024. Prendre ses responsabilités, c'est-à-dire prendre l'initiative d'animer un débat informé à l'échelle de tous les pays bretons, puis, sur cette base, d'organiser une grande consultation en coopération avec la société civile mobilisée et les collectivités volontaires, y compris en Loire-Atlantique. Cette consultation citoyenne n'aurait évidemment pas de valeur décisionnelle - contrairement à un référendum organisé par l'État. Mais elle aurait le mérite de rehausser nos ambitions en matière de gouvernement régional, à savoir une capacité à structurer un débat public à l'échelle de la Bretagne, une volonté d'engager le dialogue avec les citoyens sur l'avenir de la Bretagne, et une reconnaissance du rôle spécifique de l'institution régionale dans un pays comme la Bretagne.

Une telle initiative demande de l'imagination politique ; elle demande des conseillers régionaux prêts à aller hors les murs pour défendre leurs idées sur le terrain, et c'est bien là ce qui constitue la part la plus enthousiasmante de notre mandat aux yeux des élus de notre groupe. Malheureusement notre appel n'a pas convaincu la majorité régionale, pas même dans sa composante "régionaliste", laquelle préfère en passer par l'État et suivre les méthodes traditionnelles de la diplomatie entre collectivités plutôt que de faire le pari d'un grand débat démocratique breton pris en charge par notre assemblée régionale.

[ABP] Loïg Chesnais Girard vous a répondu Puisque vous siégez à Nantes et vice-présidez la métropole de Nantes, faites en sorte qu’on ait un vœu commun . La Ville de Nantes n'a-t-elle pas déjà voté le vendredi 5 février 2021 ce vœu de réunification ? Que veut-il dire par « voeu commun » ? Une session commune ? Le Drian l'avait rejetée comme anticonstitutionnelle, non ?

[Aziliz Gouez] En effet la Ville de Nantes a adopté en début d'année un vœu demandant à l'État d'engager un processus législatif adéquat en réponse à la demande démocratique formalisée en 2018 par 105 000 citoyens de Loire-Atlantique appelant à être consultés sur la question du rattachement de leur département à la Bretagne administrative. Ce vœu était d'ailleurs le socle de l'accord électoral scellé entre l'UDB nantaise et Johanna Rolland en amont des municipales de 2020. J'ignore ce que Loïg Chesnais Girard entend par "une délibération commune" entre Nantes et la Région Bretagne, au-delà des voeux déjà adoptés, mais il aura largement l'occasion de préciser le sens de cette interpellation dans le cadre des travaux du groupe de pilotage dont le voeu adopté vendredi a acté la création, et auquel il reviendra d'impulser et de suivre les avancées en matière de réunification et de coopérations concrètes avec la Loire-Atlantique.

[ABP] Un référendum est-il la solution ? L'Association Bretagne Réunie ou le Parti Breton pensent que non. Ils affirment que ce qui a été séparé par décret devrait être rassemblé par un autre décret ? Ils auraient aussi peur que le référendum soit manipulé, d'autres disent qu'un tel référendum n'est pas constitutionnel pour le moment, donc impossible, qu'en pensez-vous ?

[Aziliz Gouez] Pour moi comme pour les autres élus du groupe Breizh a-gleiz, l'engagement d'un débat démocratique est aujourd'hui incontournable et nécessaire. C'est même le cœur du sujet : la question du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne administrative est avant tout un enjeu civique, et non pas un fétiche identitaire. L'histoire et la culture comptent, bien sûr, mais nos débats ne sauraient rester rivés au registre de la réparation historique. Il s'agit plutôt d'ouvrir la discussion sur les défis d'aujourd'hui et de demain, sur les nouveaux possibles - politiques, économiques, culturels - qu'ouvrirait le rattachement de Nantes, de Saint Nazaire, de Guérande et de Clisson à la Région Bretagne. Au décret et au "fait du Prince", nous préférons la délibération et la volonté populaire. Ce faisant, nous assumons la part de risque que comporte tout référendum car il en va pour nous de la vitalité de la démocratie bretonne et de notre capacité collective à nous projeter dans un avenir commun.

[ABP] Merci d'avoir répondu à nos questions.

Gant plijadur !


Vos commentaires :
Vendredi 19 avril 2024
@jo charruau
Même une assemblée décentralisée à Brest (d'ailleurs n'est-ce pas une assemblée centralisée à Brest), cela reste une idée qui peut rendre dubitatif. vannes, lorient, saint brieuc ou saint malo sont proches de la mer.
Reprenant votre exemple pour l'agriculture, si il s'agit uniquement de réunir les «décideurs» de l'agriculture, ça peut se faire n'importe où il y a une salle suffisament grande ou même par visioconférence.

La question, il semblerait, est aussi de savoir si les bretons veulent une bretagne et si ils veulent se donner les moyens de la créer.
Pour reprendre le thème de l'agriculture, en face, il y a la FNSEA, le lobby productivite industriel(exemple: lactalis pour le lait), les grands groupes de supermarchés (leclerc).

Sur chacune des thématiques que vous citez, il est vrai que pour le moment il y a une impression que les magouilles nationalistes priment toujours l'intérêt des bretons.
Quand à la caste/nobalesse républicaine, il est inutile de compter sur elle. Cela fait bien longtemps que les titulaires des trois fonctions publiques ne remplissent plus leurs fonctions et que les élus sont plus soumis aux intérêts de leurs partisans qu'à la bonne gestion de leur cité ou à une quelconque projet d'avenir.


@Alter Écho & Ego machin

Non c'est pas trop ça. Il y a peu d'intérêt à s'occuper de trucs parisiens/ français de manière générale. Moins il y en a mieux ça se passe ( dans le vie et sur la fiche de salaires de presque tout le monde). Surtout que quand les choses sont claires et le travail fait, y a rarement de problèmes.

Si je dis qu'il faut arrêter les chambres d'enregistrement, j’espère que vous vous doutez de mon avis sur des chambres professionnelles... ;) Surtout qu'il s'agit d'une vision plutôt corporatiste dont on connaît déjà les effets par exemple sur le monde de l'agriculture avec un taux de suicide très élévé. Après il est vrai que l'esprit français est champion sur cette thématique aussi bien en terme de chiffres brut que, pourtant, de budget alloué (une future source d'économie/revenus pour la république?).

Sinon l'état des villes comme rennes ou nantes est plutôt dû à la politique libérale conservatrice omniprésente, croire que la présence de la gauche y change quelque chose est une jolie petite blague déjà faite par nos très chers capitaines d'industrie aujourd'hui détourneurs d'impôts et délocalisateurs d'emploi pour tenter de masquer leur attrait archaïque pour une main d’œuvre pas chère et très pratique pour garder les salaires bien bas.
Par exemple, marseille a longtemps été au main d'un homme de centre droit ayant fait alliance avec les nationalistes et tout le monde connaît l'état de la ville grâce à la génération «rap, metal, console et nuttela».

@Killian Le Tréguer
C'est justement là où le travail préliminaire est déterminant car lorsque sera posé véritablement la question de la réunification, la question de la capitale sera présente. Personnellement, je pense que c'est un faux débat qu'il faut éviter en, justement, refusant le principe même de la capitale ou de «chef lieu décisionnel».

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