Nous venons d'apprendre le décès de Yann Fouéré. Yann Fouéré fut un militant de la cause bretonne toute sa vie. D'abord haut-fonctionnaire, il devint pendant la guerre patron d'un groupe de presse avant de s'exiler en Irlande pour y devenir mareyeur.
Il fut le fondateur et le leader du MOB (Mouvement d'Organisation de la Bretagne) de 1958 à 1969, de SAV (Strollad ar Vro) de 1972 à 1975, et du POBL (Parti pour l’Organisation de la Bretagne Libre) de 1981 à 2000. Il est auteur de nombreux ouvrages dont L'Europe aux cent drapeaux (essai pour servir à la construction de l'Europe) qui est traduit en plusieurs langues et qui, avec Comment peut-on être breton ? de Morvan Lebesque, sont devenus les livres de chevet du militant breton. Yann Fouéré est aussi co-fondateur de la Ligue celtique, qui publie régulièrement dans la section anglophone de notre site. L'enterrement de Yann Fouéré aura lieu mardi 25 octobre à 14 h 30 à la Basilique Notre-Dame de Bon Secours à Gwengamp/Guingamp.
Nous publions ci-dessous une brève biographie écrite par Lionel Henry (1).
Dans l'histoire du mouvement breton, Yann Fouéré est certainement l’une des personnalité les plus marquantes de l’Emsav et celui dont l'action et la réflexion auront marqué le plus fortement et le plus durablement les esprits. De l'entre-deux-guerres au XXIe siècle, il a toujours été en première ligne dans le combat pour une Bretagne majeure.
Le hasard des nominations dans la fonction publique vaut à Yann - Jean pour l'état-civil - Fouéré de naître à Aignan en Gascogne, le 26 juillet 1910. Cadet de la famille, son père avait dû quitter l'exploitation agricole des parents pour entreprendre des études à Dinan (Côtes-du-Nord). Devenu fonctionnaire de l'administration fiscale, Jean Fouéré allait effectuer l'essentiel de sa carrière hors de Bretagne. Origines paysannes en pays gallo, dans la région de Dinan, du côté paternel, origines trégoroises et nettement plus avantagées socialement du côté maternel, Yann Fouéré aime se souvenir de ce double enracinement dans cette vieille terre d'Armorique.
Revenu très vite au pays breton, Yann Fouéré partage ses jeunes années entre Rennes, assez peu, Callac, beaucoup plus, auprès d'une arrière grand-mère née en 1838. Le militant dit que c'est « Callac sans doute qui, plus tard, rendit possible et irrésistible l'appel » du pays (a).
– (a) La patrie interdite, éd. France Empire, réédition Celtics Chadenn, 2001.
Confié à sa grand-mère maternelle partie s'installer à Saint-Brieuc, le jeune Fouéré commence ses études secondaires dans la cité briochine. Mais très vite, il rejoint ses parents à Paris : son père est employé au ministère des Travaux Publics sous l'autorité du Guingampais Yves Le Troquer. Yann suit sa scolarité au lycée Montaigne puis à Louis-le-Grand mais passe son baccalauréat en 1927 à Clermont, dans l'Oise, suivant une nouvelle fois son fonctionnaire de père.
Dans les années qui suivent l'obtention de son baccalauréat, le jeune Fouéré se découvre une fibre bretonne : il s'abonne à Breiz Atao, revue du mouvement nationaliste breton, se plonge dans l'histoire de Bretagne.
De retour à Paris pour suivre les cours de la Faculté de Droit et de l'École des Sciences Politiques,Yann Fouéré côtoie très vite les militants bretons de la capitale. Il est ainsi élu président de l'Association des étudiants bretons de Paris (1933-37). Diplômé en droit, en lettres et en sciences politiques, il peut alors passer le concours de rédacteur au ministère de l'Intérieur qu'il rejoint en 1934. Âgé de 24 ans, désormais autonome, Yann Fouéré crée, avec Robert Audic, l'association Ar Brezhoneg er skol (ABES, Le breton à l'école) revendiquant l'enseignement du breton dans les écoles publiques de Basse-Bretagne. 346 communes basses-bretonnes – la majorité – et les trois conseils généraux apportent leur soutien à ABES.
Reconnu pour son heureuse initiative, Yann Fouéré se retrouve « bombardé », pour reprendre ses propres termes, vice-président de l'Union régionaliste bretonne (1939-45). Il prend part aux activités des jeunes de l'Union Fédérale, la plus puissante des organisations d'anciens combattants, classée au centre-gauche. Commissaire aux jeunes de l'UF, Yann Fouéré participe à de nombreuses manifestations internationales, de New York à Bucarest, qui l'ouvrent certainement au problème des minorités nationales. Il devient, peu de temps après, directeur et principal contributeur de Peuples et frontières, revue des différents partis autonomistes
Confronté à la montée des périls en Europe, Yann Fouéré adopte une attitude, qu'il ne quittera plus, de refus des idéologies « de droite comme de gauche, dont les applications concrètes aboutissent toujours aux mêmes résultats pour les peuples et sans progrès pour eux » (b).
– (b) La patrie interdite, éd. France Empire, réédition Celtics Chadenn, 2001.
C'est à la fin de 1936 que Yann Fouéré rencontre sa future femme, Marie-Madeleine Mauger, une jeune Trégoroise qui avait dû, comme beau nombre de ses compatriotes, rejoindre Paris pour chercher un emploi. Lors de leur mariage au début de la seconde guerre mondiale, Marie-Madeleine est secrétaire à la mairie du VIe arrondissement.
Au ministère de l'Intérieur, une belle carrière s'ouvre devant le jeune militant breton. Il doit alors se partager entre ses multiples activités, celle d'Ar Brezhoneg er skol devenant prépondérante. La rédaction de Peuples et frontières l'amène à penser qu'il lui faut créer un puissant organe de presse régionaliste qui, sans heurter une population bretonne fidèle au pouvoir en place, l'amènerait à revendiquer une restauration de la province de Bretagne. Hélas, la guerre allait venir contrecarrer tous ces projets.
[Difficultés françaises, opportunités bretonnes]. Réformé quelques années avant le conflit, Yann Fouéré n'est pas mobilisable et va alors profiter de sa présence au ministère de l'Intérieur pour aider à l'exil des nationalistes basques pourchassés par les troupes franquistes, alors victorieuses au sud des Pyrénées. Le militant devient ainsi le permanent de la Ligue des Amis des Basques, cherchant à faciliter la vie des exilés sur le sol français. Il permet surtout au président basque en exil, Aguirre, de pouvoir franchir la frontière franco-espagnole.
Lors de la débâcle, consécutive à l'invasion allemande en mai-juin 1940, le fonctionnaire Fouéré doit alors suivre le gouvernement. Après Royan, les jeunes époux atteignaient Pau. Totalement désoeuvré au sein d'un ministère fantôme, Yann Fouéré apprend le retour d'Allemagne des leaders séparatistes Mordrel et Debauvais. Ils ont regagné Rennes où ils entendent profiter des difficultés françaises pour arriver à leurs fins. Déjà, ils font paraître un nouveau périodique, L'Heure Bretonne.
C'est vers la mi-août que Yann Fouéré, bénéficiant d'un congé maladie et n'en pouvant plus, quitte Pau pour rejoindre la Bretagne. Avec son épouse, ils décident de s'installer à Rennes où il retrouve la plupart des personnalités de l'Emsav : Olier Mordrel, Xavier de Langlais, Roparz Hemon,... Yann Fouéré devient membre du Kuzul Meur, le grand conseil secret qui permet aux militants bretons de concerter leurs opérations. Il y retrouve Debauvais, Mordrel, Lainé, Helloco, R. Delaporte, Hémon et Marty. Pour beaucoup, du fait de ce dialogue au sein du Kuzul Meur, la future répartition des rôles entre Fouéré le régionaliste et Delaporte le séparatiste ne sera qu'une opération tactique.
En Bretagne, en ce printemps 1940, l'action politique est très vive mais, très vite, les autorités allemandes constatent, à la fois, la facilité de l'occupation du sol français et le – finalement – faible écho des nationalistes dans l'opinion publique. Plus besoin de favoriser les séparatistes bretons et de brimer la France... Les nazis ne font plus que tolérer les activités bretonnes.
Yann Fouéré entreprend un voyage de reconnaissance : dans le Trégor, où il retrouve ses parents, puis à Brest. Il réfléchit alors à la mise en place d'un mouvement d'inspiration régionale qui, profitant d'une conjoncture inédite, pousserait la France dans la voie du fédéralisme, ou à défaut d'un régionalisme nouveau. Sa situation de fonctionnaire du ministère de l'Intérieur en congé intéresse alors le préfet du Finistère, M. Georges, qui lui propose d'assumer la fonction de sous-préfet de Morlaix. Plutôt que de se voir contraint de rejoindre un poste à Vichy, le militant breton accepte de s'installer, dans les premiers jours d'octobre 1940, à Morlaix. C'est à cette période que René-Yves Creston, affilié au réseau de Résistance du musée de l'Homme, aurait reçu de Yann Fouéré un mémoire pour un projet de décentralisation de la Bretagne destiné aux Forces Libres de de Gaulle à Londres.
En parallèle, il multiplie les contacts afin de créer un organe de presse susceptible de porter un courant “provincialiste”, dans la ligne droite des projets de renaissance des provinces promis par Pétain. La marge de manoeuvre est étroite car, ni Vichy, ni les autorités allemandes ne toléreront un projet clairement “anti-français”. L'entrevue de Montoire entre Hitler et Pétain, en octobre 1940, a confirmé le changement de politique des Nazis pour la Bretagne. Et Yann Fouéré ne peut pas se passer de l'intervention des services de presse allemands pour créer un nouveau journal.
À l'automne 1940, Yann Fouéré prend contact avec Hervé Budes de Guébriant, président de l'Office central des syndicats agricoles, partisan déclaré du nouvel ordre de Vichy et l'industriel quimpérois Jacques Guillemot. Ancien membre de l'Action Française, Jacques Guillemot approuve l'idée de Révolution Nationale du maréchal Pétain. Il est partisan d'une autonomie provinciale comme elle avait pu exister dans l'Ancien Régime. De Guébriant assure à Yann Fouéré d'accomplir les démarches nécessaires à Vichy pour autoriser la publication du futur quotidien La Bretagne. Et surtout, les deux hommes entrent dans le capital du futur quotidien (c). D'ailleurs, le 22 janvier 1941, Hervé Budes de Guébriant est nommé, par Vichy, président de la Commission nationale d'organisation de la coopération agricole.
– (c) Georges Cadiou établit une liste des actionnaires ou autres soutiens de la Bretagne : Bahon-Rault de la Chambre de commerce de Rennes, Chateau, maire de Rennes, Roger Crand, sénateur du Morbihan, Montfort, député-maire de Scaër, Chrétien, maire de Saint-Brieuc, Kergariou, sénateur-maire de Lannion,...
Mais déjà le séjour finistérien du préfet intérimaire prend fin : Yann Fouéré rejoint le ministère de l'Intérieur à Paris à la fin de novembre. « Placardisé », le militant breton fait une demande de mise en disponibilité que ses supérieurs se gardent bien de lui accorder. C'est à ce moment qu'intervient la rupture : Yann Fouéré va vouer sa vie à la cause bretonne.
Il quitte Paris en février 1941 et rejoint son épouse à Rennes. Le journal « La Bretagne » prend vie dans des bureaux situés près de la Cathédrale. Auparavant, l'ex-sous-préfet a pris contact avec les dirigeants de l'Ouest Éclair afin de s'entendre plutôt que de se livrer une concurrence jugée néfaste. Yann Fouéré aurait préféré que l'Ouest Éclair « bretonnise » sa politique rédactionnelle. Un accord est trouvé : La Bretagne sera imprimée par l'Ouest Éclair, quotidien du matin, mais à la condition d'être un quotidien du soir et que la nouvelle équipe prennent en charge la rédaction des trois hebdomadaires locaux de l'Ouest Éclair. Le jeudi 20 mars, le premier numéro de La Bretagne sort des presses de l'Ouest Éclair. Les premiers tracts publicitaires font référence à un « quotidien d'information et de défense des intérêts bretons » et à une « province de Bretagne prospère et heureuse dans une France rénovée ». Yann Fouéré a compris qu'il ne pourrait pas s'opposer frontalement à Vichy : il se fait donc « provincialiste » voire « maréchaliste ». Le directeur du journal joue ainsi avec l'épouvantail séparatiste : « le nationalisme breton est né de l'échec du mouvement breton modéré. Un seul remède : satisfaire les légitimes revendications bretonnes ». Mais, il s'avère que ce petit jeu n'est qu'une simple tactique décidée entre modérés et radicaux de l'Emsav. Hervé Le Boterf n'y voit en tous cas qu'une « mise en scène, prévue d'un commun accord entre Raymond Delaporte et Yann Fouéré pour laisser croire à une pseudo-divergence de tendances qui, en réalité, n'existait pas, entre ces deux partisans résolus d'une réforme de l'administration en Bretagne ».
Après le court passage de Gérald de Baecker, parti rejoindre la Légion des Volontaires Français à Paris, André Rouault assure la rédaction en chef du nouveau quotidien. Cet ancien des Croix de Feu du Colonel de La Roque va vite entrer en conflit avec son directeur.
Parmi les contributeurs de La Bretagne, on note les noms de Ronan de Fréminville (alias Jean Merrien), Xavier de Langlais surtout, chargé de l'illustration et d'une rubrique en breton avant de prendre en charge la plupart des chroniques artistiques et culturelles. Yann Fouéré reconnaît que l'équipe de rédaction est un peu disparate. On trouve aussi le frère de Jacques Guillemot, André, et Yves Le Diberder (alias Youenn Didro) qui contribue, aux dires de Yann Fouéré, à faire de La Bretagne un journal « vigoureux et critique à l'égard du pouvoir central et des administrations de Vichy ».
Dans L'Hermine et la croix gamée, Georges Cadiou fait de La Bretagne, « un journal plutôt bien fait (pour l'époque), agréable à la lecture et dans sa présentation, donnant une large place à l'actualité bretonne et internationale - avec un semblant d'objectivité ».
Les conférences de rédaction que préside Yann Fouéré sont d'abord quotidiennes, à Rennes, avant de devenir hebdomadaires lorsque le journal sera imprimé à Morlaix. En effet, à partir d'avril 1942, la rédaction du quotidien breton se confond avec celle de La Dépêche, ancêtre du Télégramme de Brest actuel.
À l'automne 1941, la situation économique de La Bretagne devient difficile et le capital de base se réduit comme peau de chagrin. La subvention promise aux périodiques se fait attendre pour le quotidien breton... On s'apprête alors à transformer le quotidien du soir en hebdomadaire. Mais en février 1942, suite aux manoeuvres du préfet Ripert pour obtenir des autorités de la Propagandastafel la suppression du quotidien La Dépêche, les actions de la société éditrice du quotidien sont confisquées. Elles appartiennent en majorité à Victor Le Gorgeu, sénateur-maire de Brest, ayant refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, et vite révoqué par Vichy. Son quotidien avait dû, comme bien d'autres, satisfaire aux exigences de l'occupant : il imprime, en 1940, des publications en allemand au titre évocateur - Gegen England par exemple - et salue la puissance de la « Nouvelle Europe ». Pour le journaliste Georges Cadiou, il ne fait aucun doute qu'il s'agissait d'un ordre des nazis. Yann Fouéré n'est pas d'accord : le quotidien de Le Gorgeu a été grassement indemnisé par ces mêmes autorités allemandes (50.000 francs par mois) et les écrits antérieurs à sa prise en main n'avaient rien de déplaisant pour les nazis.
Devant la faillite probable de l'entreprise de Morlaix, son directeur général, Marcel Coudurier, accepte l'entrée dans le capital de son journal, à hauteur de 20 %, des financeurs de La Bretagne, Jacques Guillemot, Yann et Jean Fouéré ainsi que Yves de Cambourg, à un prix bien au-dessus du marché. On évite ainsi le licenciement des 120 employés du quotidien de Morlaix - et leur envoi en Allemagne au titre du STO - mais on resserre inévitablement le contrôle par les autorités nazies ou vichystes sur la presse régionaliste.
Dans les premiers jours d'avril 1942, La Bretagne quitte donc l'imprimerie rennaise de l'Ouest Éclair pour rejoindre celle de La Dépêche à Morlaix. La mutualisation des moyens, l'utilisation de copies communes aux deux quotidiens permet de réduire les dépenses et d'équilibrer les budgets. Yann Fouéré devient directeur politique du quotidien finistérien alors que Marcel Coudurier conserve la direction des finances. À l'automne 1943, les deux dirigeants se séparent d'André Rouault, rédacteur en chef, jugé responsable d'une dégradation de l'ambiance de travail. Joseph Martray, déjà rédacteur de quelques articles, le remplace à ce poste. Mais de fait, c'est entre Fouéré et Coudurier que les relations se tendent : les deux hommes ne se voient plus que lors des conseils d'administration.
S'appuyant sur une audience jamais connue pour le mouvement régionaliste (les deux quotidiens sont diffusés à près de 100.000 exemplaires), Yann Fouéré entend faire émerger un large mouvement favorable une réforme régionale dans le cadre du régime de Vichy. Le militant suscite d'abord des comités locaux des « Amis de La Bretagne », premier cercle de diffusion de ses idées. Ces comités défendent un nouveau Projet de Statut pour la Bretagne. Le préfet régional Ripert, à Rennes, ne l'entend pas ainsi et, au nom de l'unité de l’État français, cherche à empêcher cette politique régionaliste. Yann Fouéré reconnaît avoir fait opérer ses relations afin de faire déplacer l'entreprenant préfet. Jean Quénette prend sa suite en mai 1942 et La Bretagne obtient de surcroît une subvention de Vichy pour son rôle modérateur dans les milieux bretons. Pierre Laval, revenu aux affaires, veut donner l'avantage aux régionalistes face aux menées séparatistes du PNB.
Pétain autorise la création d'un organe de réflexion, le Comité consultatif de Bretagne (CCB), dont Yann Fouéré est le secrétaire général auprès du préfet de région (1942-44). La première réunion du CCB a lieu à Landerneau dès le début du mois de juillet 1942 avec l'appui de Guébriant. Le mois suivant, Jean Quénette, le préfet régional, reçoit des personnalités bretonnes à Rennes afin « d'examiner les aspirations de la Bretagne et les moyens de les satisfaire ». Le préfet prend alors la décision d'introduire une épreuve facultative de langue bretonne dans les concours administratifs de la région, de créer un Institut de formation des instituteurs bretonnants. On retrouve un certain nombre de nationalistes bretons dans le Comité, créé le 11 octobre 1942 par le préfet de région. Comme son nom le laisse entendre, le CCB n'a pas de pouvoirs de décision et d'exécution même si ses 22 membres ne désespèrent pas de le transformer, à terme, en véritable assemblée délibérant sur les questions régionales. Il se borne à « étudier, donner son avis, présenter ses suggestions sur les questions culturelles, linguistiques, folkloriques...». Yann Fouéré, qui anime ce Conseil, doit batailler contre les différentes administrations centrales, rétives à toute émancipation locale. En janvier 1943, le Conseil présente un Projet de Statut pour la Bretagne au gouvernement de Vichy. Ce projet réclame, entre autres, la prise en compte d'une Bretagne à cinq départements. Il n'y eut jamais de réponse des autorités vichystes et le préfet Quénette fut bientôt prié d'aller opérer ailleurs.
Avec le débarquement allié, Yann Fouéré, qui partage ses jours entre le domicile familial rennais et la direction des journaux à Morlaix, décide de faire évacuer sa petite famille à Pacé. Son épouse, les deux enfants Rozenn et Jean, s'installent dans la salle des fêtes de l'école.
Lors de la Libération de la Bretagne, le Conseil consultatif de Bretagne tient à assurer les nouvelles autorités de sa disponibilités dans la remise en place de l'appareil administratif. Hélas, le nouveau Commissaire régional n'est autre que Victor Le Gorgeu, mis à l'écart de La Dépêche au profit de Yann Fouéré.
La diffusion des deux quotidiens est suspendue fin juin du fait de la désorganisation générale et de l'absence de système de distribution.
Les hommes de la Bezenn Perrot de Célestin Lainé se préparent à évacuer Rennes aux côtés des nazis. Le PNB s'effondre. L'horizon semble bien s'assombrir pour les militants bretons...
Au début du mois d'août, Victor Le Gorgeu, devenu Commissaire régional de la Libération, fait arrêter Yann Fouéré. Assurément, il tient sa revanche sur celui qui lui avait ravi la propriété de son propre quotidien. Le 10 août 1944, le nouvel « interné politique » était conduit dans les locaux de la police rennaise, rue d'Antrain, puis à la prison Jacques-Cartier. Il ne sera libéré qu'un an plus tard, jour pour jour, à Châteaulin.
À la fin du mois de septembre 1944, les prisonniers politiques de Jacques Cartier sont dirigés sur le camp Margueritte, à proximité immédiate de la prison. On y rassemblé tous les détenus administratifs d'Ille-et-Vilaine et diverses personnalités accusées de faits de collaboration. Ainsi, Yann Fouéré y retrouve Jacques Guillemot et de Guébriant ainsi que le préfet régional Robert Martin. Beaucoup de militants bretons vont les rejoindre après la fin de l'été 1944. L'ancien directeur des quotidiens régionalistes passe l'hiver entier avec eux, mais, en mars 1945, il est envoyé à Quimper. Dans la capitale de Cornouaille, Yann Fouéré retrouve « l'état-major à peu près complet du PNB du Finistère » : Delaporte, Herri Caouissin, Marc Le Berre, Yann Ar Beg,... et même un certain Édouard Leclerc de Landerneau. Peu de temps avant le début du procès, il se trouve au camp d'internement de Pont-de-Buis près de Châteaulin. En juillet, il demande et obtient une mise en liberté provisoire.
Jean-Jacques Monnier, membre de l'UDB et directeur du mensuel Le Peuple breton, s'est interrogé sur les raisons véritables de la mise à l'écart du directeur de La Bretagne en 1945. Point de collaboration tant l'action de Yann Fouéré correspond à celles de ses confrères ! Il préfère y voir l'élimination « d'un concurrent potentiel pour le MRP » et « d'un homme politique gênant pour les partis et la presse hexagonale en Bretagne ». Yann Fouéré évoque une « alliance et des complicités contre-nature entre les milieux d'extrême-gauche et principalement communistes (...) d'une part, et ceux du MRP, d'autre part, dont les responsables assumèrent la charge de l'épuration légale». Ainsi, Henri Fréville lui aurait reproché d'avoir introduit à La Dépêche de Brest un « inadmissible régionalisme politique » et de promouvoir un « autonomisme prononcé ». Dans « La presse bretonne dans la tourmente (1940-1946) », le futur maire de Rennes écrit que la création du journal La Bretagne a été obtenue par Fouéré de l'ambassade d'Allemagne, et approuvée par le conseiller Ernst Achenbach et le docteur Eich.
Il ne nous appartient pas de reprendre ici le travail que la justice a mené en 1945-46 d'abord, en 1955 ensuite. Seule une longue étude universitaire, débarrassée des partis-pris habituels, sur l'activité de Yann Fouéré sous l'occupation et du journal La Bretagne, permettrait d'y voir plus clair. Les travaux entrepris jusqu'ici sur ce point ont été le fait d'acteurs ou témoins directs des faits : ceux de Yann Fouéré et Yves Le Diberder pour la défense, Yves Fréville pour la Partie civile. Difficulté supplémentaire : sur cette période comme d'autres, les chercheurs commettent trop souvent l'erreur de juger l'affaire en la sortant du contexte particulier de l'époque, celui de la collaboration mais aussi de l'épuration.
Yann Fouéré affirme avoir suivi la voie de l'indépendance politique face à Vichy et aux nazis. Il reconnaît que la critique était impossible et pour toutes les publications. Mais, en se concentrant sur des seuls sujets bretons, il pense avoir évité l'inféodation au pouvoir en place. Il s'agit alors de jouer avec la censure tant vichyste que nazie. Il dit avoir repoussé en pages secondaires les avis ou textes imposés par les autorités et signale avoir même un temps, seul, pu publier les communiqués de guerre des Alliés, avant l'interdiction formelle par les nazis.
Il est sans doute utile de reprendre les travaux des universitaires, notamment ceux inattaquables, de par leur honnêteté intellectuelle. Mais il importe d'abord de s'intéresser aux conditions de l'épuration, moment de l'histoire où est définie la Collaboration. Olivier Wieviorka, professeur à l'ENS de Cachan (L'Histoire, hs n°28, juillet 2005), revient sur cette épuration. « Trop sévère pour les uns, trop tendre pour les autres, son souvenir nourrit, aujourd'hui encore, polémiques et controverses. (...) La virulence de ce débat ne doit cependant pas occulter un fait singulier : quel que soit le constat qu'ils dressent, acteurs et témoins s'accordent en général pour assimiler l'épuration, légale ou illégale, à un échec.(...) Des recherches récentes invitent en effet à dépasser une lecture parfois manichéenne, toujours idéologique, pour emprunter des pistes plus fécondes. Elles incitent surtout à traiter cette époque douloureuse sous des perspectives qui, en s'émancipant de la vision politique prévalant jusqu'alors, restaurent le phénomène dans toute sa complexité. Une complexité qui tient à la multiplicité des buts que la Résistance s'assigne dès l'Occupation ». Cette idée d'une Résistance animée d’arrière-pensées idéologiques et bien engoncée dans une foi en la France Une et Indivisible se retrouve bien exprimée dans l'Ordonnance du 26 août 1944 relative à l'indignité nationale. Pour l'historien Peter Novick, elle touche « tout Français qui, sans même violer une loi pénale existante, s'était rendu coupable d'une activité définie comme antinationale ». Et pour Olivier Wieviorka, cette législation ne réprime pas un délit mais punit un état en privant l'individu de ses droits civiques et de ses biens.
L'Histoire de Bretagne de Skol Vreizh attribue à Yann Fouéré une « carte régionaliste sur la table du provincialisme de la France du maréchal » et laisse entendre qu'il agit par tactique. Michel Denis affirme la même idée : « Tout en étant personnellement aussi nationaliste et aussi sévère pour l’État français que les séparatistes, il a la grande habileté d'adopter une tonalité susceptible de « ratisser large » chez les notables provincialistes ». Jacqueline Sainclivier voit dans l'action régionaliste un même opportunisme : Yann Fouéré « était un régionaliste convaincu et un corporatiste qui souhaitait que le nouveau régime réalisât une véritable politique de décentralisation ». Mais, elle ajoute néanmoins que, « comme il s'inscrivait dans le cadre de la politique de Vichy, il fut autorisé sans difficulté. Dans l'ensemble, il souscrivait à la Révolution nationale y compris en ce qui concernait tous les aspects visant à créer des catégories d'exclus (francs-maçons, juifs, communistes) ». Le journaliste Georges Cadiou affirme que La Bretagne s'inscrit dans la même voie antisémite et xénophobe que L'Heure Bretonne du PNB. Il dénonce des titres ou textes antisémites (« Boutez dehors les cinéastes et auteurs israélites ! », n° 4, 24 mars 1941 ; violent texte sur les juifs en Bretagne du grand druide Taldir-Jaffrennoù ; attaque virulente contre le juif Léon Blum, n° 696 du 18 juin 1943, etc.), la publication des noms et adresses des francs-maçons bretons, et surtout une attitude très hostile à l'URSS de Staline puis à la Résistance d'obédience communiste. Aucun de ces textes n'est le fait de Yann Fouéré, même si sa responsabilité, en tant que directeur de rédaction, peut être retenue. À aucun moment, lors de son procès, il ne lui a été reproché d'écrits xénophobes ou anti-sémites. L'enjeu du procès, nous le verrons plus loin, est ailleurs...
Aucun universitaire, historien ou en sciences politiques, n'a jusqu'à présent épluché l'ensemble des éditions de La Bretagne et pu établir une responsabilité précise. Surtout, il reste à établir une étude sérieuse de comparaison des quotidiens bretons pour distinguer d'éventuels excès de zèle pro-Vichy ou pro-nazi. Sans vouloir les excuser, mentionnons quand même que la censure s'appliquait, avec la même véhémence, à tous les périodiques imprimés légalement.
Le juge d'instruction Martin a fait des recherches de responsabilités sur des périodes différentes : de mars 1941 à la Libération pour La Bretagne mais seulement à partir d'avril 1942 pour La Dépêche, ce qui exclut la période où Le Gorgeu et Coudurier assumaient la direction du quotidien. Yann Fouéré se sait visé. Il risque la confiscation de ses biens présents - il n'en a pas - et à venir. Il n'ignore pas non plus que Le Gorgeu entend récupérer les actions de La Dépêche qu'il lui a vendu, que Coudurier cherche à se maintenir à la tête du quotidien rebaptisé Le Télégramme.
Yann Fouéré avait rodé sa défense en témoignant pour Yves Le Diberder, journaliste de La Dépêche et de La Bretagne, lors de son procès devant la Chambre Civique de Rennes à la fin de l'année 1945. Il est acquitté comme Jean Fouéré et Joseph Martray en janvier 1946. La non-condamnation de ces deux derniers ne doit rien à la clémence des juges mais repose sur le fait qu'elle innocente également la société éditrice du Finistère, reprise en main par Le Gorgeu. Dès lors, Yann Fouéré peut attendre avec soulagement son procès. Mais, quelques jours avant l'ouverture du procès, l'acte d'accusation est remanié et les sanctions envisagées s'alourdissent considérablement. Yann Fouéré ne veut pas prendre le risque d'un long emprisonnement. En accord avec son avocat, Jean-Louis Bertrand, il décide de s'enfuir. Le procès doit s'ouvrir le 18 février 1946 mais l'ancien secrétaire du Comité consultatif prend le premier train du 16 février pour Paris. Il décide de vivre dans le plus grand secret, coupé des siens, changeant régulièrement de logement en région parisienne. Le gouvernement basque en exil verse, avec son accord, un traitement à son épouse Marie-Madeleine. Il envisage d'ailleurs de rejoindre le Pays Basque espagnol mais ses relations basques l'en dissuadent : il risque de tomber dans les filets des autorités franquistes réprimant alors tout mouvement de libération basque. Il prendra donc le chemin du Pays de Galles qu'il connaît bien. Mais avant, il lui faut trouver une nouvelle identité et des faux papiers. Il ne peut assister à la naissance de son troisième enfant, Erwan, qu'il apprend par un télégramme adressé à de la famille.
Lorsque la condamnation aux travaux forcés à perpétuité tombe en 1946, le père du militant s'étonne auprès d'un haut fonctionnaire de la gravité de la sanction qu'il compare à celle de Raymond Delaporte qui, lui, n'a eu que 20 ans de prison. On lui signifie alors que son fils est beaucoup plus dangereux. C'est ce que pense d'ailleurs Yann Fouéré en dénonçant le caractère purement politique du procès : « il avait permis de sceller une sorte de marchandage politique et électoral entre le MRP d'obédience chrétienne, dont Henri Fréville et Teitgen étaient les représentants à Rennes, et certains éléments du vieux parti radical socialiste jacobin et anti-clérical, dont Le Gorgeu, commissaire régional, était localement le chef de file ».
Assurément, la date du procès peut étonner : il s'achève deux jours seulement avant la fin des fonctions des commissaires régionaux, désormais inutiles. À quelques temps près, c'est une autre juridiction, certainement moins orientée, qui aurait mené le procès de l'ancien directeur de La Bretagne. Il est condamné le 28 mars 1946 aux travaux forcés à perpétuité et à la dégradation nationale.
C'est au Pays de Galles que Yann Fouéré, devenu officiellement le docteur Moger, s'installe, grâce aux soutiens dont il dispose au sein du Congrès Celtique. À la rentrée universitaire de 1946, il occupe le poste d'assistant de français à l'Université de Swansea. C'est à partir de cette ville qu'il peut enfin reprendre une correspondance avec ses compagnons restés sur Paris. Peu à peu, de nouveaux exilés le rejoignent ou passent directement en Irlande, tels Yann Goulet, ancien chef des Bagadoù Stourm - service d'ordre du PNB, Jacques de Quelen, Charles Le Gaonac'h et Raymond Delaporte, ancien responsable du PNB... Avec l'aide de familles galloises, Yann Fouéré s'efforce de faciliter le séjour obligé de ces militants en fuite. D'ailleurs, ce sont ces mêmes personnalités galloises qui soutiennent ou composent la délégation qui se rend en Bretagne, entre le 21 avril et le 1er mai 1947, à l'invitation de l'ambassade de France afin de « dissiper les malentendus qui paraissent s'être créés dans l'opinion galloise au sujet de la Bretagne ». Le rapport de la délégation signale qu'il « est difficile de ne pas conclure que le simple fait d'avoir eu une activité bretonne de quelque nature que ce soit, a été pour le gouvernement français motif suffisant à persécution ».
Grâce à l'aide de Gwynfor et Rhiannon Evans, la famille Fouéré peut enfin se retrouver en mars 1947. Les enfants et leur mère sont hébergés chez les Evans tandis que leur père reste à Swansea la semaine et rentre le week-end. Hélas, après l'été 1947, il ne peut retrouver son poste à l'Université de Swansea... La famille part pour Llandeilo où un collège catholique doit ouvrir. Yann Fouéré partage son temps entre plusieurs établissements d'enseignements gallois. Une vie normale reprend peu à peu pour la famille enfin reconstituée. Mais, début 1948, l'ancien militant reçoit l'ordre de quitter le territoire britannique. C'est à nouveau l'exil, pour Dublin où Yann Fouéré rejoint Yann Goulet qui l'héberge quelque temps. C'est la misère pour l'ancien directeur de La Bretagne : il retrouve régulièrement ses amis à la soupe populaire. Il alterne les petits boulots : cours particuliers de français, fabrication et vente de pâtés... Juillet 1948 : la famille rejoint Yann qui s'est fait prêter pour l'été une maison à Dublin. Même les grands-parents Fouéré font le voyage pour revoir leur fils, disparu depuis déjà trois ans.
Les Fouéré reprennent goût à la vie : le père se partage entre ses cours de français, la rédaction d'articles pour diverses revues, le placement de jeunes filles au pair dans des familles et... la vente de ses pâtés alors que Madame trouve, ici où là, des possibilités de servir de mannequin pour défilés de mode.
Au cours de l'automne 1949, Marcel Samzun, mareyeur breton installé dans le Connemara depuis la Première Guerre Mondiale, prend contact avec les Fouéré. Les frères Samzun ont installé des viviers à Clegann et exploitent des sources d'approvisionnement très riches en crustacés et coquillages, ensuite vendus sur le continent. Les deux frères partagent leur temps entre la Bretagne et l'Ouest de l'Irlande et cherchent, la soixantaine bien entamée, un associé afin de les seconder, dans un premier temps, de leur succéder à terme. Les Samzun pensent alors à Yann Fouéré.
À Pâques 1950, après une visite des lieux, Yann Fouéré accepte l'association et la famille quitte la douce Dublin pour une rude existence dans le Connemara. Les époux Fouéré s'installent dans un cottage très rudimentaire... Après la saison de pêche, l'ancien sous-préfet s'improvise architecte pour bâtir une habitation censée faciliter la vie sur place malgré l'absence d'électricité et d'égouts. Ce n'est qu'à l'été 1953 que la famille, agrandie par l'arrivée d'une quatrième enfant, Benig, emménage dans la nouvelle maison. L'affaire commerciale a pris une vitesse de croisière qui permet aux Fouéré de voir les soucis s'éloigner peu à peu. Le militant peut alors penser à un éventuel retour en Bretagne...
Lors du Congrès Celtique de 1953, Yann Fouéré retrouve avec plaisir ses camarades exilés mais surtout des compagnons venus de Bretagne, Ronan Huon notamment, et fait la rencontre de Pierre Lemoine, Per Denez,... Cette réunion informelle permet d'étudier la situation des réfugiés et s'achève sur la volonté exprimée de remettre sur pied un nouveau mouvement politique breton.
Votée le 24 juillet 1953, une loi d'amnistie concernant les condamnés à l'indignité nationale ouvre de nouvelles perspectives pour les Bretons exilés. Elle permet la révision des condamnations lors de nouveaux procès. Avec l'avocat Jean-Louis Bertrand, Yann Fouéré entame une procédure de révision de son procès devant le Tribunal militaire de Paris début 1955. L'ancien secrétaire du Comité consultatif retrouve alors Paris, ville qu'il a quittée dix ans plus tôt. Joseph Martray, Budes de Guébriant, Jean Quénette et d'anciens collègues du ministère de l'Intérieur témoignent en sa faveur. L'accusation a, quant à elle, convoqué Victor Le Gorgeu et Marcel Coudurier, qui ne vient pas, certificat médical à l'appui. C'est l'acquittement pur et simple.
Après avoir été acquitté de la condamnation par contumace aux travaux forcés à perpétuité de 1947, Yann Fouéré demande, devant le Tribunal de Commerce de Morlaix, 5 millions de francs pour la spoliation de ses biens. Il obtient réparation mais le jugement est rejeté en appel à Rennes. Non seulement, il ne s'est pas enrichi sous l'Occupation mais il a tout perdu...
À la fin de l'été 1955, Yann Fouéré, enfin libéré de sa lourde condamnation, entreprend le retour en Bretagne. Après un nécessaire voyage d'affaires à Paris, il peut entamer un voyage de retrouvailles avec ce qu'il appelle sa « patrie charnelle ». Ce Tro Breizh est certainement une deuxième victoire personnelle, après celle du procès du printemps précédent. À Rennes, il revoit la plupart de ses anciens compagnons de lutte lors de l'assemblée générale de Kendalc'h, alors présidée par Pierre Mocaer. Deux jeunes de la Jeunesse Étudiante Bretonne (JEB) proposent alors à Yann Fouéré de donner une conférence pensée comme point de départ d'une nouvelle aventure politique. Ce périple breton passe par Saint-Lunaire où vivent ses parents, Brest, Quimper et Nantes. Il multiplie les contacts avec ceux qui seront les premiers animateurs du futur mouvement politique breton.
C'est au mois de mai 1956, à Rennes, qu'a lieu la première conférence suscitée par la JEB. Ce premier rendez-vous inaugure un cycle de conférences sur la situation de la Bretagne, données à Paris, Quimperlé. Conforté dans son idée de susciter une nouvelle expression politique bretonne, il travaille, avec d'autres militants, un Projet d'Organisation de la Bretagne. La première version reprend les grandes lignes du Projet de statut pour la Bretagne proposé en 1942. Le texte final est mis au point chez Yann Poupinot après avis de Joseph Martray, Pierre Laurent, Yvonig Gicquel, Pierre Lemoine et Jean Kergren (d). Ce POB est vite imprimé et proposé à la signature sous forme de pétition. Ce programme est très modéré : il vise l'obtention d'une « représentation parlementaire régionale, administrant les affaires propres à la Province ». Les premiers retours permettent de mettre en place des comités locaux chargés de préparer la naissance du mouvement breton.
– (d) Sur le POB, le MOB, lire Le retour du mouvement breton après 1945, Lionel Henry, éd. Yoran Embanner, 2003.
Forts de leurs plusieurs milliers de signataires, les promoteurs du POB lancent le 11 novembre 1957 à Lorient, le Mouvement pour l'Organisation de la Bretagne (MOB) et son journal L'Avenir de la Bretagne. Le MOB entend défendre le développement économique et social de la péninsule, avec un positionnement fédéraliste. Le MOB va permettre à la revendication bretonne de refaire surface dans la vie publique bretonne. Mais, très prudemment, le MOB se situe dans le cadre du travail du CELIB : il appelle des mesures politiques et administratives sans lesquelles le travail du Comité serait vain. Ses concepteurs ont élagué tout ce qui risquerait de le condamner dès sa naissance : aussi, ce projet régionaliste ne laisse que peu de place à l'autonomie.
Directeur du journal L'Avenir de la Bretagne, Yann Fouéré imprime une marque durable sur le mouvement breton. À côté d'une Bretagne libre de son destin, il défend également l'idée d'une Europe démocratique et fédérale, respectueuse de ses minorités nationales. De la même manière, son livre L'Europe aux Cent Drapeaux préconise l'organisation de l'Europe sur une base fédérale avec des régions-nations majeures. Yann Fouéré a profondément marqué la pensée fédéraliste européenne.
À la fin des années 1960, la Bretagne est touchée par les attentats du FLB. Nombreux sont les indices qui montrent une origine et un développement du FLB-ARB (e) communs au mouvement politique breton traditionnel. On devine chez des personnalités comme Yann Fouéré une volonté dissimulée de voir un certain activisme orienter les revendications bretonnes.
– (e) Sur le Front de Libération de la Bretagne - Armée Républicaine / Révolutionnaire Bretonne, lire FLB-ARB, L'histoire (1966-2005), de Lionel Henry et Annick Lagadec, éd. Yoran Embanner, 2006.
Aussi, Yann Fouéré est régulièrement suspecté de participer aux activités du mouvement clandestin FLB (Front de Libération de la Bretagne). Il est emprisonné d'octobre 1975 à février 1976 dans la cadre d'une vaste opération policière contre le FLB. En 1977, Yann Fouéré publie le livre En prison pour le FLB qui relate les conditions de son arrestation et de sa détention de plus de trois mois à la prison de La Santé (Paris). Le vieux leader nationaliste a bien appartenu au Kuzul Meur du premier FLB (1966-1969) mais n'a plus de réelles responsabilités après l'amnistie de 1969 et l'apparition de nouveaux FLB. Pourtant, les policiers l'arrêtent à l'aéroport de Saint-Brieuc et découvrent, à son domicile briochin, des détonateurs et divers documents se rapportant au mouvement clandestin. Pour sa défense, Yann Fouéré précise que les détonateurs servaient à son activité de mareyeur en Irlande, et que les documents étaient depuis longtemps rendus publics.
L'arrestation de Yann Fouéré peut surprendre. Y a-t-il de réelles suspicions à son égard ? S'agit-il d'envoyer un signe fort à l'Emsav et aux candidats à la clandestinité ? Ou encore d'une tentative grossière de jeter le discrédit sur le mouvement clandestin en agitant maladroitement le spectre d'une supposée collaboration ? Yann Fouéré, malgré de longues semaines de détention, bénéficiera d'un non-lieu dans cette affaire.
Le rôle de Yann Fouéré est avéré dans le rapprochement entre militants du FLB : il permet à quelques militants isolés de Rennes de rejoindre le reste du réseau en 1977. Ainsi, une première rencontre entre combattants a pu avoir lieu dans la campagne d'Evran (Côtes-d'Armor) à proximité de la ferme familiale des Fouéré, malgré une surveillance policière permanente.
En 1978, le juge d'instruction de la Cour de Sûreté de l’État lance un mandat d'arrêt contre le militant nationaliste pour « association de malfaiteurs, infraction en relation avec une entreprise consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à celle de l’État ». Soupçonné d'être l'inspirateur de commandos du FLB, Yann Fouéré est alors hors de portée, sur ses terres d'Irlande. L'année suivante, après l'attentat remarqué du FLB contre la villa du commissaire Le Taillanter, chef du SRPJ, c'est Yann Fouéré qui permet aux jeunes auteurs de l'action de s'établir sur le sol irlandais.
Après la disparition du MOB, le mensuel de Yann Fouéré accompagne les combats du Front Breton (1968), de Sav Breizh (1969) et reprend force avec la création du parti SAV (Strollad Ar Vro), un héritier direct du MOB qui aurait tenu compte de l'évolution socio-économique de la Bretagne. Avec l'échec électoral de Strollad ar Vro, aux législatives de 1973, le journal enregistre une forte érosion du nombre de ses lecteurs et collaborateurs. Plus encore, le journal n'est pas oublié dans la vague de répression contre le FLB... Menaces d'interdiction, vols répétés, incendies criminels des locaux auront raison de la ténacité des militants assurant la sortie mensuelle de L'Avenir.
Plusieurs tentatives de recréer l'expérience du MOB échouent et il faut attendre l'amnistie de 1981 pour voir arriver les militants qui vont donner vie au Parti pour l'Organisation d'une Bretagne Libre (POBL, qui signifie également « peuple » en breton). Réapparue dès janvier 1980, la revue L'Avenir de la Bretagne précède de plusieurs mois la formation du Parti, créé début 1982. Le nouveau mouvement, qui a d'abord utilisé l'appellation SAV, reprend l'idée fédéraliste et nationaliste bretonne défendue par Yann Fouéré mais le place désormais dans une optique d'économie libérale et refuse le clivage droite-gauche pour lui préférer le terrain de la seule « libération nationale ». POBL s'engage alors à favoriser toute expérience en faveur de l'élection d'une assemblée régionale au suffrage universel direct ou de la réunification de la Bretagne. Formation de type autonomiste, nationaliste et profondément fédéraliste européenne, POBL reprend naturellement les théories de L'Europe aux 100 drapeaux de Yann Fouéré, président honoraire du parti. Le parti connaît, au début des années 90, une période relativement faste avec plusieurs centaines de militants encartés (deux à trois cents) répartis sur sept fédérations. Mais, du fait de son positionnement politique ou de l'âge de ses militants, il n'arrive pas à créer une force dynamique : ses participations et scores électoraux restent faibles, son message n'est que peu reçu par les Bretons... C'est encore dans son mensuel, que Yann Fouéré défend son argumentation en faveur d'une Bretagne émancipée dans le cadre d'un fédéralisme des régions d'Europe.
- De la Bretagne à la France et à l'Europe, éd. du C.O.B. 1956.
- La Bretagne Ecartelée, essai pour servir à l'histoire de dix ans, 1938-1948, Nouvelles éditions latines, 1962.
- L'Europe aux cent drapeaux, essai pour servir à la construction de l'Europe, Presses d'Europe, 1968.
- En prison pour le FLB, Nouvelles éditions latines, 1977.
- Histoire résumée du mouvement breton, du XIXe siècle à nos jours, 1800-1976, Quimper : éd. Nature et Bretagne, 1977.
- L'Histoire du quotidien. La Bretagne et les silences d'Henri Fréville (écrit avec Youenn Didro), Les Cahiers de l'Avenir, 1979.
- Ces Droits que les autres ont…, éd. Nature et Bretagne, 1979.
- Les régions d'Europe en quête d'un statut, Les Cahiers de l'Avenir, 1982
- Problèmes bretons du temps présent, Les Éditions d'Organisation, 1983.
- La Patrie interdite. Histoire d'un Breton, éd. France Empire, 1987. Reédité en 2011. (voir notre article)
- La maison du Connemara, éd. Coop Breizh, 1995.
- Europe ! Nationalité bretonne… Citoyen français ? Bi,ic, éd. Celtics Chadenn, 2000.
(1) Lionel Henry dans Yann Fouéré, des mots pour le dire. Biographie et sélection de textes, édité par la Fondation Yann Fouéré en 2008.
note : Par respect pour la famille et la mémoire du défunt Yann Fouéré, nous avons suspendu les commentaires sous cet artcile. Vous pouvez encore déposer vos hommages et condoléances sur la page prévue à cet effet (voir le site) Merci de votre compréhension.
Philippe Argouarch
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