Une philosophie pour la Bretagne (2)

Chronique publié le 16/04/14 11:39 dans Cultures par Simon Alain pour Simon Alain
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Dans un précédent article, nous rappelions que la philosophie consiste essentiellement à « libérer les esprits ». En témoigne, de manière exemplaire, l'½uvre de René Descartes au 17ème siècle : ni philosophe, ni Français et plutôt incontournable « penseur de son époque ».

C'est à ce titre qu'il s'agit de le relire, car l'époque de Descartes (« l'après 1532 ») a beaucoup à nous apprendre aujourd'hui. D'autant plus que la Bretagne d'origine du célèbre penseur connaît en 2014 des heures historiques, s'apprêtant, l'année des 500 ans du décès d'Anne de Bretagne, à retrouver la ville de Nantes.

C'est entendu : Descartes a été incompris des Français, trompés qu'ils ont été par l'usage de la langue française dans ses textes et voyant en lui cet absurde « dualiste » capable de « dissocier l'âme du corps ». Alors que Descartes prend la peine d'écrire que cela n'est valable que « le temps de l'analyse » (le discernement de l'esprit), puisque chacun fait, évidemment et quotidiennement, «l'expérience de leur union».

Fameux « trait d'union » qui rappelle celui de 1532 : ce n'est pas parce que c'est « associé » que c'est semblable. Au contraire ! Il en va symboliquement de l'un et de l'autre comme la Bretagne et la France : unis, «parce que différents» et donc «à dissocier» !

Descartes a aussi été totalement incompris des Français en raison de certains de ses lecteurs, comme ce faux « compatriote » que fut La Mettrie (1709-1751). Celui-ci, « ni Français, ni Breton », est né à Saint-Malo (la patrie de Jacques Cartier, explorateur de ladite « Nouvelle-France » de l'époque). Il dit s'inspirer de Descartes dans son célèbre ouvrage «L'Homme-Machine» (1748) spécifiant que l'Homme, comme l'animal, se comprend « comme une machine » (ce que Descartes n'a jamais écrit).

Ce qui est commode car, comme l'a écrit le philosophe matérialiste et anglais Thomas Hobbes (en 1651 dans son «Léviathan»), si les hommes sont «des machines», alors ils sont «plus facilement gouvernables». Ils ne pensent pas par eux-mêmes, ne sont responsables de rien et ne révèlent pas l'esprit en eux. Autrement dit, incapables d'agir, ils ne peuvent que se soumettre à «l'ordre des choses».

Il est intéressant que Hobbes publie son «Léviathan» (allégorie de l'Etat, «ce monstre froid qui dévore les hommes») une année seulement après le décès de Descartes en 1650. Le célèbre penseur avait demandé à son ami Mersenne de ne plus le mettre en correspondance avec cet «Anglais» qui ne le comprenait pas et qui le ridiculisait.

L'enjeu est clair : l'être humain est avant tout un esprit, c'est-à-dire une perception du monde, ou «une vision du monde», et non une mécanique qu'il ne s'agirait que de «régler» en fonction de «ce qu'on lui demande d'exécuter».

La pensée de Descartes permet à tout individu de dégager une marge de man½uvre et donc d'action, autrement dit : une liberté. Il y aurait ainsi deux lectures du célèbre penseur : la matérialiste et la spirituelle, pour ne pas revenir sur la française et la bretonne. Car nous l'avons suffisamment rappelé ici : Descartes n'a rien à voir avec cette «philosophie française» qui fait abstraction de l'esprit pour ne se concentrer que sur ladite « raison » (forcément «mécanique», puisqu'il s'agit de la suivre «en raisonnant»).

Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle philosophie en Bretagne, mais d'une philosophie «pour la Bretagne». Que celle-ci retrouve la place qui lui revient dans l'histoire des idées. Il s'agit, plus que jamais, de changer de point de vue, en refusant ce que les Français ont pu dire d'une certaine «pensée bretonne» et que celle-ci a «laissé dire». Les Bretons ont déjà adopté le point de vue français : en histoire, en philosophie et en politique. Les Français sont-ils prêts à accepter le point de vue breton en ces matières ?

Simon Alain

- à paraître en juin 2014 : «Les Cahiers de l'Université Populaire de Philosophie Bretonne», volumes 3-4 (automne 2013 - printemps 2014).

- Julien Offray de La Mettrie suit le parcours de René Descartes : de Rennes (où il devient médecin en 1728) à Leyde en Hollande en 1733 (où fut publié le «Discours» de Descartes en 1637). Pour La Mettrie, les phénomènes psychiques doivent être représentés comme «les effets de changements organiques dans le cerveau et le système nerveux». Cf. par exemple son «Histoire naturelle de l'âme» (1745) et son «Art de jouir» (1751). Ouvrages qui vont à l'encontre de la réflexion de Descartes : le retour sur soi est l'unique condition de toute authentique satisfaction.


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