Un Rennais dans la Grande Guerre

Chronique publié le 26/07/14 21:05 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean

Ce dimanche 2 août 1914, le tocsin retentit au clocher de l'église de Bruz, tandis qu'en ce jour fatidique, René Bérard (1) 16 ans, aide à lier des gerbes pour hâter la fin de la récolte. Au son funeste des cloches de l'église, près de lui, François, cocher d'ordinaire, jette soudain sa faux en disant «je pars demain et n'en reviendrai pas». Il fut tué en effet.

Immédiatement, le père de René, médecin de réserve, prépare ses cantines pour former à Fougères l'ambulance 2 du Xe corps. René est trop jeune pour s'engager comme ne tardera pas à la faire son frère; aussi prête-t-il son concours à la Croix Rouge pour son infirmerie de gare, à Rennes, et c'est alors, comme brancardier, un travail harassant, jour et nuit, pour réceptionner les trains sanitaires remplis de blessés, après le revers de Charleroi (2) ou même, lors de la victoire de la Marne.

En 1915, René s'engage au 7e régiment d'artillerie (3) et commence sa préparation militaire. Il y a de bons moments, lorsque par exemple, assurant la garde de la poudrière, près du canal d'Ille et Rance, lui et ses camarades se font livrer par le bistrot d'en face, galettes, saucisses et cidre, qui passent le canal dans une auge à cochon ! Mais, fatigué du dépôt, René, affecté au 7e d'artillerie, obtient de monter vers le front.

Le 17 avril 1916, à 18 ans, nippé de bleu horizon, casqué, engoncé dans son équipement, sabre, revolver, musette, bidon, masque à gaz et sac d'homme, tenant ses trois «bourins» par le licol, il monte dans le train.

Au bout de 4 jours de train, il arrive en Argonne et doit rejoindre tant bien que mal Froidos à pied (à 25 km de Verdun), dans une boue jaune et collante, avec des chevaux qui tirent à hue et à dia et qui s'échappent parfois, ce qui entraine des courses-poursuites. Au dessus des bois volent des avions de tous types, Farman, Nieuport, Caudron …

Dans cette région existent encore des gardeurs de porcs, qui le matin, soufflent dans leur corne, tandis que de chaque ferme dévalent les cochons, qui partent ensemble à la glandée jusqu'au soir, où chacun retrouve seul le chemin de sa soue !

Les poilus accueillent très bien le nouveau fourrier et invitent René à se restaurer à la «roulante». Le boeœuf aux patates extrait d'une énorme marmite noire et gluante, accompagné d'un pinard râpeux, le met en appétit. Les quatre pièces de l'une des batteries du 7e d'artillerie sont alignées le long d'un chemin creux, près de Parois. Un jour René remplace le tireur lors d'un tir de barrage, mais ce dernier revenant rapidement, René lui rend le cordon tire-feu. Le destin l'épargne cette fois car au moment même où René s'éloigne, la fusée de l'obus explose intempestivement, causant la mort du pointeur et blessant d'autres hommes.

Quelque temps après ce tragique évènement, un coup de vent rompt les câbles et chasse toutes les «saucisses» françaises, des ballons captifs d'observation, qui filent vers les lignes ennemies !

Mais son frère Camille est blessé au bras et René s'inquiète. A cheval sous la pluie sur une carne rétive, puis en voiture jusqu'à Ste-Menehould, traversant la magnifique forêt d'Argonne, il craint le pire puis tente aussitôt de se rassurer. Sa mère l'y attend et lui avoue tout de go «on t'a dit ? … amputé !», René retient ses larmes et embrasse son frère courageux, qui lui cède son équipement désormais inutile, jumelles et pistolet automatique.

Le 31 mai, à la requête du commandant, le «père chie le feu», son groupe a «l'honneur» de monter à Verdun bien que les anciens ne soient guère enthousiastes …

Après Dombasle, dont le dépôt grouille d'hommes et de chevaux, arrivé sur la crête, il entend le roulement continu des canons dans un embrasement général de l'horizon, illuminé par les fusées blanches, rouges, vertes et les fusées à chenille.

A peine installés sur la cote 310, au sud d'Esnes en Argonne, l'homme de veille crie soudain «barrage, barrage !»; immédiatement, les canons de 75 se mettent à aboyer furieusement sur les troupes allemandes qui montent à l'assaut … puis se replient devant l'intense tir d'interdiction.

Et la mort le refuse une seconde fois. Allant vers la feuillée (toilettes), René se ravise et revient sur ses pas ayant oublié le papier … un obus tombe à l'instant sur les lieux d'aisance !

Mais il y a aussi des occasions de rire et de se détendre. Un festin de chevreaux dévoré avec les camarades, dans une école auquel il manque le toit, par un temps incertain, assis sur les fauteuils rouges et humides de la mairie, qui déteignent sur les fonds de culottes !

Sur la droite, se distingue au loin le Mort-Homme, cet enfer vers lequel se dirigent tous les soirs le long serpent des relèves, dont beaucoup ne reviendront pas.

Après un détour par Bar le Duc et Vecqueville, le 7e repart sur Verdun. Près de la citadelle, les colonnes d'infanterie doivent marcher dans les champs pour céder le pas à une colonne interrompue de camions et de voitures circulant tous feux éteints, il s'agit probablement de la fameuse Voie Sacrée de Bar-le-Duc à Verdun. Traversant la Meuse, la troupe passe dans le Faubourg Pavé encombré d'artillerie camouflée dans les maisons et les jardins puis elle s'installe près du fort de Belleville, au nord de la cité. Constamment marmités, les artilleurs restent terrés le jour et ne sortent que la nuit pour manger et se dégourdir. Le mois d'août se passe ainsi jusqu'à la relève en septembre 1916. La batterie rejoint alors Chalons en Champagne et Mourmelon le Grand, en renfort d'une division russe. Le soir les soldats russes entonnent des chants magnifiques, jusqu'au jour où les Allemands, d'une tranchée proche, leur crient, en français, «Vos gueules !».

Fin 1916, René part en permission et retrouve l'arrière, Rennes et sa mère un peu surprise de le voir descendre son litre de rouge sans façons. Mais l'ambiance de l'arrière le déprime et il repart en janvier 1917 vers la Champagne pouilleuse où une offensive se prépare. Elle aboutira au repli stratégique des allemands sur la ligne Hindenburg en février 17. Puis René cantonne près de Reims et se tient prêt à poursuivre les «boches» après la percée escomptée de l'offensive du commandant en chef Nivelle … qui se termine en «Charleroi sanitaire». A Prosnes, à l'est de Reims, de son poste d'observation, René admire le 48e d'infanterie de Guingamp qui attaque les lignes allemandes, «je vois ces magnifiques soldats bretons sortir en ordre parfait et monter, sans marquer le moindre fléchissement, vers le sommet du Cornillet, (4) malgré les pertes sévères» .

Le 20 mai, un bruit de locomotive s'entend dans le ciel et la terre tremble, puis plus rien; le commandant s'informe auprès de René; d'après les «tuyaux de la roulante», c'est un obus français de 400 mm et de 900 kg qui est tombé sur le mont Cornillet. En effet, on sut plus tard que, tiré de Mourmelon le Petit, il tomba dans un puits d'aération et causa la mort de 600 soldats allemands ! (4).

Le 27 mai 1917, tout est calme, les sous officiers de la 8e batterie du 7e RAC s'installent derrière les canons pour déjeuner; soudain trois obus de 77 tombent à proximité; René reçoit comme un coup de bâton, en fait trois éclats qui ne font que le blesser, néanmoins la guerre se termine pour lui ... provisoirement. Opéré à Chalon, il part ensuite pour Clermont-Ferrand dans un hôpital curieux puisque les pensionnaires découchent tous les soirs ! et rejoint enfin Saint-Malo où son père est chef de place.

En août 1917, guéri, René obtient 45 jours de convalescence à la suite de quoi, il se rend à nouveau au dépôt de Rennes où il se présente au sous-officier de garde : «Maréchal des logis Bérard» … ce dernier lui répond avec le plus grand sans froid : «il est sorti» !

Notes

1. Histoire vraie d'après des mémoires, le nom a été changé

2. Fin août, retraite de Charleroi devant la 2e armée allemande

3. Histoire du 7e d'artillerie : (voir le site)

4. La bataille du mont Cornillet : (voir le site)


Vos commentaires :

Anti-spam : Combien font 6 multiplié par 2 ?