Un grand marin espagnol d'origine bretonne : Manuel Quimper

Dépêche publié le 7/04/09 0:12 dans Histoire de Bretagne par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail

Manuel Quimper (Lima, v. 1757 - Lima 1844) explorateur, hydrographe, officier de marine et fonctionnaire colonial

Né à Lima, au Pérou, vers 1757, Manuel Quimper (son nom complet était Quimper Benitez del Pino) était le fils d'un Breton et d'une mère espagnole. (49 personnes portent encore le nom de famille Quimper aujourd'hui dans le Finistère et 96 le nom de famille Quemper dans les Côtes-d'Armor; il y a plusieurs centaines de Quimper aussi au Pérou aujourd'hui). On ne sait pratiquement rien de sa famille, si ce n'est qu'il avait au moins un frère car, en 1792, un journal de Lima «El Mercurio Peruano», publié par la Société académique des amis de Lima, fit paraître dans ses colonnes le texte d'une lettre qu'il avait envoyé à son frère en 1790 alors qu'il se trouvait à Nootka Sound, un fjord de l'île de Vancouver, au Canada. Il n'y avait rien d'étonnant alors à ce que des Bretons séjournent dans des ports de la côte ouest de l'Amérique espagnole.

À l'âge de 13 ans, Manuel Quimper s'engagea comme cadet dans la marine royale espagnole, dont un certain nombre de navires était stationné en permanence à Callao, le port de Lima. Dans ce cadre, il alla participer à l'exploration de l'île de Chiloé, au Chili. En 1771, avec une recommandation du vice-roi du Pérou, Manuel de Amat y Juniet, Manuel Quimper fut admis comme étudiant à l'Université royale et pontificale de San Marcos à Lima, où il étudia les mathématiques et leurs applications navales jusqu'à l'obtention de son diplôme en juin 1774.

Manuel Quimper fut alors affecté à la frégate Áquila qui venait de recevoir la mission d'aller réaffirme la souveraineté espagnole sur l'île de Tahiti, pui, à la fin de 1777, d'aller chercher du bois à Guayaquil pour l'apporter aux chantiers navals de Callao. À la fin de 1780, il fut promu lieutenant et affecté au transport de vivres de Callao à Talcahuano. Deux ans plus tard, on l'envoya établir des cartes marines des îles Juan Fernández et, à son retour dans le port de Valparaiso, les autorités de la Marine saluèrent la qualité de son travail cartographique.

En 1786, il s'embarqua pour un voyage de quatre mois jusqu'au port espagnol de Cadix. Un mois plus tard, il était promu lieutenant de vaisseau et fut autorisé à servir durant quatre mois à la cour du roi Charles/Carlos III à Madrid avant de repartir en mer avec la mission d'assurer la protection de la baie de Cadix.

La cour d'Espagne était alors de plus en plus préoccupée par les incursions de navires britanniques et russes le long des côtes pacifiques du nord-ouest de l'Amérique du Nord. Sept des meilleurs officiers de la marine espagnole furent envoyés en mission pour essayer de connaître les intentions des Britanniques et des Russes. Dans ce groupe figuraient Quimper et son camarade péruvien Juan Francisco de la Bodega y Quadra, qui fut nommé commandant du département de la marine à San Blas (Nayarit), alors un des ports les plus importants de la Nouvelle-Espagne, point de départ de nombreuses expéditions espagnoles dans le Pacifique. Ils partirent de Cadiz à bord du San Ramon en mai 1789. Peu après leur débarquement à Veracruz, tous les sept se rendirent à San Blas.

En juillet 1789, ils apprirent l'arrivée de la Princesa Real, un navire pratiquant la traite des fourrures pris aux Britanniques à Nootka Sound par le commandant espagnol Esteban José Martinez. In 1788, un explorateur britannique, John Meares, avait établi un comptoir pour la traite des fourrures à Nootka Sound. Considérant que cette établissement était illégal, Martinez s'était emparé du port e de plusieurs navires, dont la Princess Royal qu'il avait rebaptisée Princesa Real and il l'avait envoyée à San Blas à la disposition du vice-roi de Nouvelle-Espagne Revillagigedo. Le vice-roi cependant ne souhaitait pas avoir de problèmes avec les Britanniques et il donna l'ordre à Quimper de ramener le navire.

Le 3 février 1790, une expédition espagnole quitta le port de San Blas sous le commandement du capitaine Francisco de Eliza; elle comprenait également le lieutenant Salvador Fidalgo et lous-lieutenant Manuel Quimper. Son but était de renforcer l'établissement de Nootka Sound, de poursuivre l'établissement des cartes marines dans le détroit de Juan de Fuca et autour des îles San Juan Islands, tout en restituant la Princesa Real aux Britanniques. Après plusieurs semaines de mer, la Princesa Real et Quimper parvinrent non sans mal à Nootka Sound où il fallut faire des réparations au navire avant de le leur rendre. Ces travaux furent menés sur la Princesa Real au cours du mois de mai sans que des Britanniques se manifestent dans la région. Quimper en profita alors pour mener durant deux mois l'exploration des côtes au nord et au sud du détroit de Juan de Fuca. En juin et juillet, il établit des cartes détaillées de la région et donna des noms à de nombreux points géographiques du rivage sud de l'île de Vancouver et de la côte nord de la péninsule Olympique. Il fut le premier Européen à voir et décrire le mont Baker qu'il baptisa La Gran Montagna Carmelita. Dans la péninsule olumpique, il entra en relation avec les populations indigènes, fit du troc avec elles et observa leurs coutumes, près de Dungeness (qu'il nomma Bahia de Quimper) and près du fleuve Elwha ; très probablement, il s'agissait dans les deux cas de membres de la tribu Klallam et il fut sans doute le premier Européen qu'ils virent. La pliupart de ses découvertes le long du détroit furent rebaptisées de noms anglais par le capitaine britannique George Vancouver en 1792. Quelques noms espagnols survécurent tout de même : Port Angeles, détroit de Rosario, Péninsule Quimper et île Fidalgo

Quimper revint à Nootka Sound au début du mois d'août, mais ne parvint pas à entrer dans le port avant plusieurs jours en raison d'un brouillard à couper au couteau. Il fit voile ensuite pour la Nouvelle-Espagne et entra dans le port de Monterey le 1er septembre 1790. Il y fut rejoint par le lieutenant Fidalgo à bord du San Carlos. Ils arrivèrent à San Blas le 13 novembre 1790. Le vice-roi Revillagigedo fut surpris d'apprendre que la Princesa Real était encore sous pavillon espagnol. Il envoya donc une dépêche à la cour de Madrid en suggérant que le navire soit restitué aux Britanniques à Macao et il envoya en même temps un rapport sur les explorations réalisées par Quimper ainsi que neuf de ses cartes. Quimper fut promu au grade de lieutenant de frégate.

Le 4 février 1791, Quimper repartit à bord de la Princesa Real avec des instructions du commandant de San Blas, Juan Francisco de la Bodega y Quadra, lui demandant d'établir une carte des îles Sandwich (aujourd'hui l'archipel de Hawai) et de remettre ensuite le navire au gouverneur général des Philippines Félix Berenguer de Marquina, lequel aurait ensuite la charge de le retituer aux Britanniques à Macao. Tandis qu'il explorait les parages des îles Sandwich, le 1er avril 1791, Quimper rencontra James Colnet, l'officier britannique commandant à Nootka. La rencontre fut des plus tendues, Colnet exigeant une explication de Quimper sur le fait que la Princesa Real n'avait pas été restituée à son pays; Quimper l'informa du projet de le restituer dans le port de Macao. Colnet menaça de s'emparer de force tôt ou tard du navire, mais quand il vit que Quimper mettait le navire en position de combat, il n'insista pas. Quimper continua son exploration des îles de Hawaii, Maui et Oahu, et, le 19 avril 1791, il fit route vers les Philippines.

Il arriva à la base navale de Cavite dans la baie de Manille le 4 juin 1791. Il remit alors le navire à Vicente Llanos y Valdés, un parent du ministre espagnol de la Marine. La Princesa Real fut restituée le 16 août 1791, à Macao, mais là, un violent ouragan se déchaîna peu après causant de très graves dommages au navire, qui dut plus tard être vendu et envoyé à la démolition. L'explorateur espagnol Alessandro Malaspina revint à Manille après un voyage d'exploration des îles Mariannes et Quimper l'aida activement à établir les cartes de ses découvertes.

Le 21 mai 1792, Quimper reçut le commandement de la frégate San José de las Ánimas et fit voile à destination de San Blas, accompagné par la goélette Valdés sous le commandement du lieutenant Cosme Bertadano. Les deux vaisseaux furent bientôt séparés par un ouragan qui obligea le Valdés à revenir à Manille. Quimper continua sa route vers San Blas. Son propre navire avait été terriblement endommagé par la tempête et il lui fallut six mois pour faire ce trajet, n'arrivant à destination que le 6 novembre 1792. Là il apprit que l'autorisation lui avait été accordée le 16 octobre d'épouser Francisca Márquez et, par ailleurs, qu'il avait été désigné comme assistant spécial de son compatriote et ami Juan Francisco de la Bodega y Quadra, commandant de la marine à San Blas, dont la santé était chancelante, mais qui ne voulait pas démissionner de son commandement alors que la situation internationale était en train de se dégrader rapidement et qu'une guerre semblait sur le point d'éclater. Il occupa ce poste jusqu'à février 1794 quand Bordega y Quadra mourut.

L'état de santé de Manuel Quimper n'était lui-même pas brillant et il fut autorisé en juin 1795 à rentrer en Espagne. Alors qu'il attendait à Veracruz la possibilité de s'embarquer pour l'Espagne, il fut nommé capitaine de la corvette Atrevida et c'est à bord de ce navire qu'il fit route pour Cadix, le navire étant encore sous le commandement de Malaspina pour ce voyage. Apparemment, Quimper ne prit jamais le commandement de l'Atrevida , parce que, une fois arrivé dans le port de Cadix, il demanda et obtint l'autorisation de se rendre à Madrid pour affaires personnelles. Huit mois plus tard, il était intronisé dans le prestigieux Ordre militaire de Calatrava.

Manuel Quimper servit ensuite à Algésiras sous le commandement de Bruno de Heceta, qui avait lui aussi mené des expéditions d'exploration des côtes Pacifiques de l'Amérique du Nord. Il demanda bientôt le poste de gouverneur de Guyaquil, mais, eu lieu de cela, on lui donna le poste de commandement de la flotte à Madrid, poste qu'il occupa jusqu'en 1802. Il fut alors nommé ministre du Trésor à Veracruz et retourna ainsi en Amérique. Ce poste était un poste de confiance car il avait à superviser les dépenses de l'empire colonial espagnol. en 1805, il fut nommé gouverneur de Huamanga (rebaptisé plus tard Ayacucho) dans le sud de son Pérou natal, mais, en raison d'un incident gênant dans lequel était impliqué le vice-roi du Pérou fraîchement nommé, José Fernando Abascal y Sousa, il fut affecté au poste de gouverneur de la région de Puno au bord du lac Titicaca.

C'est durant cette période que commença à se développer le mouvement pour l'indépendance du Pérou et Quimper attira dès le mois de juillet 1807 l'attention du vice-roi Abascal sur cette menace. Quimper vit lui-même sa précieuse collection de documents, cartes, manuscrits et livres détruite lors d'une révolte des habitants du secteur. Son mandat de gouverneur arriva à son terme à la fin du mois de janvier 1810, mais son successeur, Manuel Antonio Nieto, mourut au bout de quelques mois et Quimper dut retourner en juin 1810 à Puno comme gouverneur.

Durant les révoltes de 1814 pour l'indépendance dans le Haut Pérou, Quimper fut à nouveau nommé gouverneur de Huamanga en août 1814, mais, alors qu'il allait prendre son poste, son voyage fut interrompu par un soulèvement dans la région de Cuzco et il fut détourné vers la ville d'Arequipa. De là, il se rendit avec 250 hommes pour porter secours à Puno le 9 décembre 1814. Après y avoir restauré l'ordre, il marcha sur sa ville natale de Lima et il y était encore quand le vice-roi fut remplacé par Joaquin de la Pezuela, qui confirma sa nomination comme gouverneur de Huamanga; Manuel Quimper repartit donc occuper ce poste qu'il tint durant trois années avant de prendre sa retraite. Tandis qu'il était en Espagne, son fils, le colonel Manuel Quimper se battait au Pérou dans les rangs espagnols contre les indépendantistes. Il avait servi dans le Haut-Pérou avant d'être nommé commandant en chef des forces espagnoles sur la côte sud du Pérou le 9 février 1820. Le jeune Manuel Quimper essuya une grave défaite alors qu'il défendait la ville de Nazca et il fut obligé de retirer vers la côte en octobre 1820.

Pendant ce temps, Manuel Quimper père recevait en 1820 une distinction militaire La Cruz de San Hermenegildo. Il commença aussi alors à être reconnu pour ses talents littéraires. En 1821, l'imprimerie Alvarez publia son manuscrit poétique de 180 pages intitulé «Laicas vivacidades de Quimper, antorcha peruana, acaecimientos del Perú en civiles guerras, promovidas por el Reino de Buenos-Ayres, desde el año 1809 hasta el de 1818», relatant ses impressions personnelles sur les guerres civiles survenues au Pérou de 1809 à 1818.

Toujours très affecté par la perte de ses documents détruits à Puno, il sollicita à la fin de 1821 l'approbation de José Bustamente, directeur général de la marine nationale espagnole pour publier le récit de ses navigations à bord de l'Atrevida en baie de Manille trente ans plus tôt. Il ne semble pas avoir reçu l'appui de Bustamente. Malgré cela, Quimper fit paraître à Madrid en 1822 son livre «Islas Sandwich: Descripción sucinta de este archipiélago», dont le texte avait été publié auparavant dans «El Mercurio Peruano». Dans l'«Introducción» de ce livre, il tenta de justifier sa situation personnelle et le fait qu'il soit reparti en Espagne, expliquant qu'il avait depuis l'adolescence fait toute sa carrière navale au service de l'Espagne, ce qui lui avait valu d'être considéré comme un Américain en Espagne et comme un Espagnol au Pérou.

Quimper souhaitait ardemment revenir dans son pays natal et en février 1822, il engagea des démarches pour s'assurer qu'il serait traité de manière sympathique s'il retournait au Pérou. Il y revint effectivement peu de temps après et on a dit qu'il était devenu un «patriote» péruvien en 1823. Le gouvernement de la République du Pérou le nomma capitaine de frégate en 1827. Il poursuivit ses travaux littéaires et écrivit ainsi le poème «Poema raro», dont des passages parurent dans «La Gazeta de Lima». Manuel Quimper mourut à Lima en avril 1844.


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