Un bien séduisant et esthétique cadeau musical est, le mois dernier, arrivé sur le bureau de la rédaction de Culture et celtie, l’e-MAGazine. Un véritable présent accompagné d’un feuillet de présentation à l’aspect quasi parcheminé chapeauté d’une carte de visite, elle-même, griffée de quelques mots manuscrits, joliment tracés, apparaissant aussi sobres et modestes que sincères : « Bonjour, j’espère qu’il vous plaira ? ».
L’auteur, compositeur et interprète costarmoricain, Dominique BABILOTTE, venait, ainsi, de nous faire parvenir sont tout nouvel album : « La promesse du baiser ».
La jaquette, enlacée d'un lien orangé, apparaît, alors, à nos yeux et à notre toucher, très réussie, tant par sa consistante texture cartonnée que par sa conception en triptyque qui, une fois dénouée, s’ouvre, à la manière d’un pop-up, en plein milieu d’un baiser échangé, faisant apparaître une photo de l’artiste ébloui de soleil... chemise blanche sur bleu-vert de mer.
En façade de celle-ci, une explicite illustration graphique, « Le baiser », signée du peintre, natif de Carhaix-Plouguer, Jean-Yves LE BON (voir le site) semble cautionner le titre de l’opus.
Nous, qui au travers de nos chroniques, aimons, régulièrement, rendre hommage aux efforts de présentation entrepris par certains artistes désireux de sauvegarder l’attrait du bel objet que peut être, aussi, un Compact Disk, ceci en complète opposition à l’inexistence de toute séduction artistique inhérente à la nature même de la musique dématérialisée, nous adressons, d’entrée à l’artiste et à Roudenn Graphik (voir le site) qui a, magistralement, conçu et réalisé ce superbe contenant, toutes nos félicitations.
En tous cas, la réception de ce très bel objet, escorté de jolis et chaleureux documents, nous sont apparus comme très stylés. « Classieux »… aurait dit Gainsbourg ?
Aussi, il nous restait à découvrir si cet attractif coffret était en complète adéquation avec le contenu du disque qu’il renfermait, si élégamment.
Nous vous répondrons, immédiatement : « ô combien » !
C’est donc, avec grand plaisir que nous allons, en quelques lignes, vous présenter cette remarquable publication.
Ne vous attendez pas, dans le contexte de nombre de nos chroniques en ligne, à entendre, ici, des sonorités celtiques, bretonnes. Par le sens même de ses deux premiers vocables, Culture et celtie, l’e-MAGazine a aussi pour principe de vous proposer d’autres styles, dont les chansons émanant de la création d’artistes bretons non « celtisants ».
Certes, Dominique BABILOTTE, est d’origine picarde, mais c’est la Bretagne qu’il a choisie, aimée, épousée… et ceci, depuis 46 ans ! Lorsque l’on sait, par ailleurs, que c’est en arrivant en Armorique qu’il a acquis sa première guitare, au lendemain d’un concert où Yvon ETIENNE et Gilles SERVAT se produisaient, qu’il remercie, notamment, sur le livret, ici, joint, le « barde de Kerouze », Claude BESSON, pensionnaire de notre site, qu’il s’entoure, pour l’accompagner, de figures majeures de la scène bretonne, comme Floriane LE POTTIER (Dour/Le Pottier Quartet…), Mathilde CHEVREL (Dour/Le Pottier Quartet, Gilles Servat…), Jérôme KERIHUEL (Didier Squiban, Dan Ar Braz, Erik Marchand), Philippe TURBIN (Gilles Servat, Gwennyn, Clarisse Lavanant, les frères Guichen…), on ne peut qu’accueillir les bras grands ouverts, au sein de nos colonnes, ce bien talentueux et littéraire auteur-compositeur-interprète qui, par la qualité de ses chansons et de leurs remarquables interprétations, porte haut une brillante vision artistique bretonne… de la chanson française !
Et lorsque cette figure briochine écrit et chante :
…/…
« L’estran vagabonde de basses en hautes plages.
Tour à tour recouvertes et puis abandonnées
Ventre grand offert aux flots entre deux marées
La mer caresse les bateaux de ses cheveux d’algues »
…/…
(« En baie de Saint Brieuc » - Paroles et musique de Dominique BABILOTTE - Arrangements de Mathilde CHEVREL).
Cette figurative peinture mélodique justifie, à elle seule, la présence de ce bel artiste, sur nos pages qui, tant que faire se peut, ne s’évertuent qu’à choisir et promouvoir, ce qui est, à notre humble mais passionné ressenti, la qualité et l’émotion.
De la bossa à la ballade, mais pas que, en écoutant une chaude voix affirmée mais sereine et apaisante, soulignée par de très fines orchestrations, vous allez vivre plus de 45 minutes de bonheur, de délectation poétique, mais aussi d’interrogatif réalisme avec un brillant auteur qui prenant, entre autres, pour références artistiques, Serge REGGIANI, Maxime LE FORESTIER, Bernard LAVILLIERS, Gilles SERVAT… crée, par sa charismatique personnalité et son jeu de comédien qu’il a exercé au sein d’une compagnie d’improvisation et qu’il demeure, viscéralement, un style bien à lui…
Il s’agit, avant tout, du… Dominique BABILOTTE !
C’est avec une limpide introduction de piano, égrainée sous les véloces doigts de Philippe TURBIN que l’opus s’ouvre, comme un livre de souvenirs familiaux qui marquent, à jamais, l’enfant qui reste toujours en nous, avec ses madeleines de Proust… mais, aussi, ses instants plus amers.
…/..
« Le vent froid du nord frappait à notre porte,
Brûlait la peau des cuisses nues sous les shorts.
La mémoire de la guerre s’insinuait partout,
Ma mère comptait ses sous,
Qu’elle n’avait pas ».
…/…
(« Je te salue l’enfance » - Paroles et musique de Dominique BABILOTTE – Arrangements de Philippe TURBIN).
Très beau moment qui peut parler à chacun d’entre-nous, avec deux rythmes couplet/refrain distincts qui gomment toute mélancolique et outrancière nostalgie, privilégiant, prioritairement, la notion de racines transmissibles.
…/..
« Aurais-je transmis à ma descendance,
Qu’un arbre sans racine n’a pas d’essence ? »
…/...
Pas de mélancolie, point de nostalgie, aucun ennui, pas même de moralisme au fil de cet enregistrement, comme l’on dit, de « chansons à texte ».
Le chaloupé du deuxième titre vous emporte, immédiatement, dans une allègre évocation de l’amour qui coule comme « L’eau de vie ». Dominique, avec grand talent, car le texte est long, brosse moulte facettes de ce sentiment vital en le comparant à toutes les formes que peut prendre l’élément aquatique, qu’il soit terrestre ou céleste : Un très bel exercice de style métaphorique qui rend court ces près de 4 minutes descriptives.
Si Dominique sait nous capter dans ses souvenirs d’enfance ou nous emporter, nous transporter, au cœur de ses sentiments amoureux, l’artiste parvient, aussi, instantanément et avec acuité, à nous interpeller, par exemple, sur l’indécente juxtaposition du luxe et de la misère.
Avec « Cartoneros », à la manière d’un journaliste reporter d’images, il nous emmène, au rythme du tango, dans les faubourgs de Buenos Aires, avec ces gosses qui fouillent les poubelles débordantes du gâchis imprimé des catalogues des boutiques de luxe et de mode qu’ils, pour vivre, survivre, collectent et revendent au poids.
Mais cette fracture sociale, n’est pas qu’exotique… Paris, avec ses « biffins » est, aussi, le théâtre de ce revers de la médaille. Dominique en fait son deuxième couplet, avant que la troisième séquence de ce « reportage poétique, mais réaliste », nous emmène au Ghana où les enfants récupèrent, sans aucune précaution sanitaire, les déchets technologiques et numériques de nos sociétés de consommation et d’excessive abondance.
Le bandonéon de Jean-Baptiste HENRY, ponctuant la narration des cordes, ajoute à la profondeur de l’évocation de ces faits que l’on ne voit pas ou que l’on ne veut pas voir.
En plage 8, nous avons beaucoup apprécié, entre humour, pittoresque… et objective constatation, son interrogation sur la relation qu’il peut exister entre le talent et/ou la notoriété et… l’alcool !
Sur un rythme sautillant, goguenard, très swing, le chanteur cite, entre autres génies imbibés : Serge Gainsbourg, Philippe Léotard, Jean Edern-Hallier, Frédéric Beigbeder, mais aussi, Gérard de Nerval, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud…
…/…
« Mais je ne suis qu’un pisse froid,
Un malade qui ne boit pas,
Qui ne suce que de l’eau, ô, ô,
O mon salaud ! »
…/…
Ponctue-t-il en guise de refrain, avant de conclure :
…/..
« Et si plutôt c’était l’inverse,
Le talent qui mène à l’ivresse.
Je reste avec mes illusions.
Et tombe à l’eau ma chanson ».
…/...
Ce titre, bien « troussé », apporte, en tous cas, des effluves de légèreté, au programme, avec, peut-être, dans ce pamphlétaire breuvage, deux doigts de Brassens.
Nous ne pourrons pas aborder, ici, tous les titres qui, sans exception, nous ont touchés (« Que murmurent les chevaux », « Barbosa »…), mais nous ne souhaitons pas passer sous silence les trois dernières plages qui valorisent, encore, cet album, décidément, « haut de gamme ».
Tout d’abord, avec deux thèmes de cuisante actualité :
- Dans « Elles, quarante ans », Dominique BABILOTTE, au travers, de Sabrina, Nina, Josia, Belina, Sylvia, Camélia, Lucie, évoque la difficile vie des femmes, monoparentales, délaissées, déjà trop âgées pour pouvoir travailler, exploitées, toutefois, par amour propre, pugnaces ou en quête d’un hypothétique nouvel amour…
…/..
« Ces femmes que l’homme agresse,
Que la société délaisse,
Ces femmes sont le miroir,
d’un monde préhistoire ».
…/..
- « On l’aura voulu » :
Sur une rythmique lancinante jouée sur les limpides cordes de Louis SOLER qui signe cette mélodie, puis comme une césure à l’hémistiche d’un vers, à mi-pièce, avec une séquence de martèlement sonore qui rejoint le jeu de guitare, le comédien Dominique BABILOTTE, « scande » plus qu’il ne chante, ce morceau qui met en exergue nos ambiguïtés qui se révèlent par nos choix de confort et de commodités souhaités au détriment de la sauvegarde de la planète terre ou par nos solidarités morales, intellectuelles doctrinales, politiques, souvent contradictoires.
…/..
« On est solidaire des générations futures,
On est solitaire. Dans sa voiture.
On est solidaire du loup et du berger,
On l’aura voulu, on veut tout et son contraire ».
Puis, in fine, comme un envoi, vient la chanson éponyme, « La promesse du baiser ».
Au travers de cette ultime chanson, on perçoit, pleinement, l’influence de Maxime LE FORESTIER, notamment, celui de 1972 (San Francisco - Mon frère - La Rouille…).
Des lèvres frôlées, aux doigts effleurés, puis aux corps affolés, en conclusion de son album, Dominique BABILOTTE, trace avec tact, poésie, chaleur, intimité, sensualité, érotisme, ce cheminement sentimental et sensoriel qui, fort heureusement, rapproche les êtres pour en faire des amants incandescents.
Avec, pour rependre l’ordre de la distribution mentionnée dans le livret joint, Xavier LUGUE : Contrebasse et basse électrique, Floriane LE POTTIER : Violon, Pierre SANGRA : Banjo, Mathilde CHEVREL : Violoncelle et arrangements, Jean Baptiste HENRY : Bandonéon, Jérôme KERIHUEL : Batterie et percussions, Philippe TURBIN : Piano, Jean-Marc ILLIEN : Clavier et arrangements, Louis SOLER : Guitares, Jean Michel PERESSE : Cor, Dominique BABILOTTE nous propose un moment musical et textuel de toute première facture, enregistré et mixé par Nicolas ROUVIERE.
La voix est, particulièrement, belle, puissante mais nuancée. Le propos est aiguisé mais distant de tout moralisme. L’angle est objectif, loin de toute vision sectaire.
La force de l’écriture de Dominique BABILOTTE suffit à interpeler, toucher, surprendre, remuer, déranger, interroger… Ah ! Lorsque l’on possède et maitrise, à ce point, la puissance et le sens des mots, la ferveur du timbre et la façon de dire… tout est possible, sans agresser !
Un chef d’œuvre, tant sur la forme que sur le fond, ciselé par un très habile artisan breton de la chanson.
Une pièce maîtresse où le verbe est, méticuleusement, sculpté, à vous procurer et à offrir…
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : Dominque BABILOTTE - Album «La promesse du baiser» - Je te salue l'enfance - Extrait de 00:59.
D'autres extraits sur Culture et celtie, l'e-MAGazine : (voir le site)
Site Internet du Dominque BABILOTTE : (voir le site)
Les titres du CD « La promesse du baiser »
01 - Je te salue l'enfance - 04:34
02 - L'eau de vie - 03:55
03 - Que murmurent les chevaux ? - 04:07
04 - Cartoneros - 05:35
05 - En baie de St Brieuc - 05:27
06 - 11 novembre 9H32 - 03:11
07 - Barbosa - 03:58
08 - Alcool - 03:56
09 - Elles, 40 ans - 04:05
10 - On l'aura voulu - 03:01
11 - La promesse du baiser - 03:32
Durée totale : 45:35
CD « La promesse du baiser » :
Parution : octobre 2018.
Co-production : «On tour in prod» et «Avant-premières». (voir le site)
Distribution : «Avant-premières» (voir le site)
© Culture et Celtie
■