Bien sûr le nom même de province est contestable et contesté puisqu'il signifie en latin «le pays des vaincus». Il est toutefois à noter que si ces peuples initiaux ont été vaincus par les Romains à des moments et des endroits différents c'est qu'ils formaient déjà des identités et des territoires distincts. Revenir à ces régions est inévitable pour trois raisons de taille : ce sont des entités bien plus anciennes que les départements ; ce sont des territoires à forte identité et finalement ce sont les unités de base de la future république européenne.
Alors que les départements n'existent que depuis 230 ans, la pluspart des provinces de l'ancien régime ont plus de 1000 ans. Certaines même ont 2500 ans et remontent directement à une peuplade celtique arrivée au 5e siècle av. J.-C. comme la Saintonge-Aunis qui correspond au territoire qu'occupait la tribu gauloise des Santons, comme d'ailleurs le Poitou, ancien territoire des Pictons, ou l'Auvergne, ancien territoire des Arvernes. On peut faire remonter d'autres territoires à leur constitution en tant que royaume indépendant comme la Bretagne en 849 ou la Provence en 855, ou en duché comme la Normandie en 911 ou l'Orléanais, voire en comté comme Nice ou le comté de Foix. Beaucoup de ces territoires ont été indépendants à un moment ou à un autre de leur histoire. Certains ont appartenu à certains moments à différents états ou royaumes comme l'Alsace, la Lorraine, la Corse, la Savoie, l'Aquitaine, la Normandie ou le comté de Nice.
Il est maintenant reconnu par toutes sortes d'études au niveau international que les économies les plus dynamiques sont intrinsèquement liées à une identité forte. L’identité a fait son entrée dans l’analyse économique depuis une dizaine d’années. Des travaux pionniers tels que ceux d’Alesina, Baqir et Easterly (1999) ont ainsi mis en avant le rôle de l’identité ethnique dans la fourniture de biens publics aux Etats-Unis, et ont depuis été suivis par de nombreuses études. L' étude théorique majeure qui analyse les conséquences de l’introduction de l’identité dans le mode de raisonnement économique est une collaboration de plus de dix ans entre les économistes américains George Akerlof (prix Nobel en économie) et Rachel Kranton (PhD), résumée dans leur livre Identity Economics (2011). En Bretagne, le professeur d'économie Joseph Le Bihan a organise depuis 25 ans des conférences sur le sujet de la nécessité d'enraciner l'économie dans l'identité. Ces réflexions ont débouché sur la création de Produit en Bretagne.
En France, et en général en Europe, les identités les plus fortes se retrouvent dans les anciennes provinces. Même si elles sont souvent ancrées dans des parlers, composantes de ces identités, comme le breton et le gallo en Bretagne, le poitevin en Poitou, l'alemanique en Alsace, ces identités dépassent le plus souvent les aires linguistiques. D'ailleurs des régions comme la Provence , le Languedoc et l'Aquitaine partagent l'occitan. Le poids d'une histoire et d'une identité communes semble l'emporter sur les différences linguistiques bien que la langue reste dans certains cas une arme politique contre l'uniformisation et l'assimilation hep brezhoneg, Breizh ebet. disent les Bretons (sans le breton, pas de Bretagne).
L'identité de ces anciennes provinces est constituée non seulement de personnes partageant un héritage culturel, d'une faune et d'une flore, et de paysages spécifiques, mais aussi d'un savoir faire unique. On dit un «baudet du Poitou», une «vache normande», un boeuf limousin, une «choucroute alsacienne», une «salade niçoise», un «bleu d'Auvergne», du «boeuf bourguignon», une «carbonade flamande», une fondue savoyarde, ou un «homard breton» ou encore un «Épagneul breton» et non pas un «baudet des deux-sèvres», une «choucroute du bas-Rhin», un épagneul coastarmoricain ou un «homard finistérien» ! Il n'y a pas «de vin de la Marne» mais du «Champagne», pas de «Maine-et-Loire» mais des «vins d'Anjou» comme des «rosés de Provence» ou des «vins d'Alsace». A part une ou deux exceptions comme la Vendée, les départements ne sont ni des terroirs, ni des pays, encore moins des appellations contrôlées connues mondialement.
Le projet de diviser la France en départements commença avant la révolution. Il s'agissait au début de simplifier la fiscalité, mais la révolution reprit le concept et pensa par la même occasion faire table rase du passé et d'identités millénaires en quadrillant le territoire comme un jeu de dames. C'est un échec comme le sera le nouveau découpage régional arbitraire issu de la réforme territoriale de 2014.
Comme l'affirment la politologue Ulrike Guérot (voir notre article) et le philosophe et politologue suisse Jean-François Billeter, la république européenne ne pourra se construire sur les états-nations trop peu désireux de partager leur pouvoir avec un gouvernement fédéral mais devra se construire à partir des régions, les anciennes divisions territoriales qui ont existé depuis la nuit des temps avant les États-nations. «le retour des régions en Europe est désormais irréversible» a déclaré Ulrike Guérot dans une tribune du Monde du 22/12/17. «L’Histoire politique de l’Europe butte sur l’idée de nations qui ne peuvent pas déléguer leur souveraineté car c'est dans leur essence d'être des États souverains» écrit Jean-François Billeter dans Demain l’Europe chez Allia éditions.
Ce qu'a parfaitement compris Ulrike Guérot c'est que construire une République européenne n'est pas plus difficile que de construire la République française en 1790 : une république où 90% des habitants ne parlaient pas le français ! Plus facile même, car il n'y aura, ni génocide vendéen, ni de Robespierre, ni de Bonaparte, juste la volonté des citoyens européens d'instaurer un droit européen universel et supra-national et une égalité devant ce droit. De Cervantes à Mozart, de Marco Polo à Jules Verne, de Copernic à Galilée, des mégalithes aux cathédrales, il s'agit d'abord d'assumer un héritage et une culture commune à tous les Européens. Ensuite, il s'agit d'entrevoir un futur commun dans un monde dominé par les États-Unis, la Fédération de Russie et la Chine.
Sans ce projet politique, l'Europe économique ne survivra pas. Pour créer une Europe politique, une république européenne confédérale, il faudra donc abandonner les États nationaux et helvétiser tout le continent. Les régions seront les cantons suisses avec les même droits. Ils seront représentés par un sénat comme les landers allemands ou les états américains.
Le seul fait que les états nationaux soient à l'origine de deux guerres mondiales ayant causé la mort de 40 millions de personnes uniquement sur ce continent est suffisant aux yeux de beaucoup, pour les discréditer à tout jamais.
■Pour rappel la Suisse est un petit Etat fédéral et multilingue, qui n'a pas adhéré à l'UE
Un sondage en Savoie donnait une majorité de personnes pour devenir un canton Suisse. On les comprend avec un SMIC à plus de 3000 € suivant les cantons, une autre manière de mesurer la performance des 2 systèmes.
Lu dans les commentaires :
Voir le site
Nous vivons déjà dans une République et nous voyons bien la limite de la chose pour ne pas dire la dérive de la chose...
L'important n'est pas dans quel système nous vivons mais quel est l'état d'esprit sont les gens qui y vivent....
Or ils semblent que nous rêvons de l'apparition d'un système salvateur, alors que le salut vient de nous...
J'y vois un manque de confiance en soi, un manque de confiance la communauté humaine que nous formons et que l'on appelle la nation bretonne...
La Démocratie, c'est ''le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple''.... Cela n'a jamais été ''un système miraculeux venant d'où on ne sait où et qui nous veut du bien et nous protégera...'' !
La solution est donc avant tout en nous!
Un premier pas a été fait avec les 105000 signature, il faut continuer et se réapproprier notre légitimité... c'est à dire notre démocratie!
@ Didier Lebars,
La Savoie aurait du être un canton suisse... s'il n'y avait pas eu tractation entre 2 puissances (Italie et France) pour ce partager le territoire de cette région... Le drapeau savoyard qui est le négatif du drapeau suisse n'est pas sans raison...
Ce n'est pas les 3000€ qui feront des Savoyards des Suisses, mais la logique historique et culturelle qui fait que c'est là leur place... si d'autres n'avaient pas décidé à leur place..!
Ces anciennes provinces n'ont rien d'historiques et ne sont pas plus légitimes que les départements ou régions actuelles. Elles sont le fruit des aléas de l'histoire et n'avaient rien de culturel. La Bretagne est issue d'invasion d'outre-manche puis de guerres de seigneurs qui voulaient agrandir leur fief sans aucune prise en compte de la culture des habitants. Ce que l'on appelle les Hautes et Basses Bretagne sont l'illustrations de cette construction artificielle. Autant prôner un retour aux évêchés ecclésiastiques où aux régions romaines de la gaules où aux limites des confédérations gauloises (qui seraient bien plus légitimes que les anciennes provinces).
Cordialement,
Jean-Pierre
Sinon il est bon de rappeler que l'on parle officiellement de Confédération Helvétique et non de Suisse. La Suisse est une simplification, en partant d'un canton originel, un peu comme la simplification «Hollande» quand on parle des Pays-Bas.
Mais, et ce n'est pas un hasard, le mot «France» n'est pas une simplification mais le nom officiel. Ainsi la France, c'est à dire l'Ile-de-France, a tout vampirisé. Transposé, le modèle hélvétique aurait conduit à une Confédération Gauloise (avec des cantons relativement proches du périmètre de nombreux départements) dont la Bretagne n'aurait d'ailleurs pas nécessairement fait partie.
Si des noms de «provinces se sont inscrits dans les mémoires collectives même après plus de deux siècles de négation par voie administrative républicaine (je n'ai pas dit démocratique), on peut penser qu'il y a des raisons à cela mais qu'elles sont-elles ? La première à mon humble avis est que ce qui succédèrent aux provinces n'ont pas d'histoire. Sur quel fondement peut-on écrire ce qui marqua l'histoire d'un département ?
On n'a jamais entendu dire que des sujets (citoyens pardon) se soient battus pour défendre un département. Ce sont des entités totalement abstraites qui n'ont éventuellement de réalité humaine que le rapport des gendarmes avec la préfecture (on dit que les dimensions se voulaient être dans les limites de parcours à cheval).
En ce qui concerne les »provinces", elles se rattachent à des possessions qui peuvent avoir été royaumes, duchés, comtés, évêchés, etc ...Il ne s'agit pas ici de donner une légitimité morale à leur existence. Elles étaient, c'est tout. Il y eut des guerres pour défendre les domaines et les pouvoirs qui y étaient attachés. Des gens mouraient pour cela, ils ne mouraient pas pour la gloire mais c''est ainsi que se sont écrites les pages d'histoire. Il ne viendrait à l'idée de personne de nier, par exemple l'histoire, de l'empire Ottoman sous prétexte que tout fut changé après la guerre 14-18. Les problèmes actuels du moyen Orient s'expliquent entr'autres, par la façon dont les vainqueurs se sont partagé les influences sur cette partie du monde. Ces histoires marquent les lieux de façon quasi indélébile parce qu'il y a quelque chose à raconter et on juge même utile de restaurer des ruines de fortifications marquant les anciennes frontières car on sait que les peuples qui perdent la mémoire du passé n'ont probablement pas d'avenir.
Tous les peuples gardent quand ils le peuvent les traces importantes de leur histoire. Tous les peuples ? Non pas tous ! Les Talibans (statues de Bouddha), Daech (Palmyre), Djihadistes maliens (Mausolée deToubouctou) etc... et les Français révolutionnaires qui détruisirent des quantité de monuments sous prétexte qu'ils étaient le symbole d'un ordre révolu. C'est au nom de cette volonté d'effacement de la mémoire qu'eurent été inventés les départements pour faire oublier ces fameuses anciennes provinces mais ça ne marche pas. Des gens se battent pour la Bretagne, l'Alsace, la Corse, etc mais jamais au nom d'un département en tant que tel..
Une chose est certaine, à part des intérêts bassement personnels de certains notables il n'y aura pas non plus de volontaires pour risquer de prendre une balle de LDB à défendre les PdL, PACA, Grand-Est, etc ...
Il y a à mon avis avec les départements plutôt une dimension «égalitariste» et «simplificatrice» (fin des enclaves, zones de marches, ou incongruités géographiques etc) qu'une dimension anti-mémorielle...il y a l'idée de territoire (relativement petits) de taille équivalente et de population assez équivalente aussi (le monde était rural et les différences beaucoup moins marquées qu'aujourd'hui) et de statuts équivalents, mais les anciennes proviennes en tant que tel n'étaient pas tant que ça reléguées aux oubliettes...dans notre cas par exemple les tracés orientaux de l'Ille-et-Vilaine et de la Loire-inférieure reprenaient quasi traits pour traits ceux du Duché de Bretagne. Les départements totalement hétéroclites sont assez rares au final.
Il y aurait beaucoup plus à dire avec les régions françaises qui elles aujourd'hui ont pour caractéristiques première la dimension anti-mémorielle. C'est à mon sens l'unique objectif de la réforme opérée par le PS...les régions ne servent à rien, uniquement effacer le passé en transformant la France en une sorte d'Etat colonial de l'Intérieur.