La seule chose que l'on devrait retenir du marxisme, c'est le matérialisme historique. Marx et Engels considéraient que le développement historique des sociétés humaines est principalement influencé par les forces économiques et matérielles et donc par les inventions. Contrairement à ce que les gens pensent, la standardisation des langues n'est pas un phénomène purement politique, il est le résultat direct de la découverte de l'imprimerie en 1450 par Johannes Gutenberg. L'édit de François Ier de 1534, faisant du français la langue officielle du royaume, n'est qu'une conséquence de l'invention de Gutenberg.
C'est cette invention qui va modifier les rapports sociaux et finalement la langue parlée par beaucoup. Les éditeurs se sont empressés de standardiser la langue écrite pour tirer le plus d'ouvrages possible en évitant de multiples publications, laborieuses et coûteuses, dans les différents dialectes du pays. Quand Martin Luther publie sa Bible en allemand en 1534, il choisit minutieusement ses mots pour qu'ils soient compris des 13 dialectes du haut allemand et des trois du bas-allemand.
Depuis quelques mois, il existe une controverse au sujet de la traduction bretonne Bezhin glas, an istor difennet publiée par Le Temps Éditeur et l'auteure, Inès Léraud, de la BD originale en français Les algues vertes, une histoire interdite. Mme Léraud, l'association Splann ! et le premier traducteur, Tugdual Carluer, ont mis en demeure l'éditeur pour avoir modifié la traduction proposée sans en avertir le traducteur.
En fait, derrière cette querelle entre le breton de nos grands parents et celui de nos petits enfants, ce sont deux conceptions et deux combats pour la Bretagne qui se disputent. Le respect du passé versus le respect de l'avenir. Jean-Pierre Le Mat (historien et auteur)
L'éditeur Thierry Jamet a fait la même chose que Martin Luther. Il a donné la priorité à l'écrit pour que le breton du texte soit compris par le plus de Brittophones possible, même si des mots, il faut l'admettre, sont du breton moderne qui n'est pas compris par tous. La contradiction se trouve donc là : il faut standardiser le breton mais en même temps, si on veut être compris par tous, il faudrait éviter des traductions systématiques. Éviter de chercher un mot breton coûte que coûte ? Le breton a été standardisé, toutes les langues européennes ont été standardisées, mais en même temps le breton doit accepter d'emprunter des mots au français et surtout à l'anglais qui est devenu la langue scientifique internationale.
On peut être d'accord avec Tugdual Carluer, l'auteur de la première traduction, quand il dit que les langues doivent emprunter et que l'anglais scientifique serait bien pauvre sans l'apport du français (voir notre article). Les académiciens français ont inventé «courrier électronique» alors que tout le monde utilise email ou mail, et que, pire, le mot anglais mail vient du français «malle», la malle que l'on montait sur les carrosses et les diligences du far-west. Le breton propose skinwel pour télévision alors que l'anglais et le français et de nombreuses langues du monde utilisent «télévision». Et que dire des mots gallos qui sont les mêmes que les mots français mais dont l'orthographe a été systématiquement changée ! Tugdual Carluer avait en partie raison d'utiliser des formes orales du breton car la BD, par définition, n'est pas du texte pur, c'est un médium entre le livre et le cinéma sauf qu'il n'a pas respecté le texte d'origine en français. Il semble qu'il aurait fallu définir dès le départ si on voulait faire du Tintin et Milou ou un reportage avec images dessinées et de l'info genre AFP purement informationnelle et ceci dans l'édition en français et non pas dans la traduction. Ce qu'on peut dire, c'est que la version française n'est pas du Tintin et Milou.
Pour Thierry Jamet l'éditeur du Temps, ils ont simplement traduit le texte français en breton et donc corrigé la première traduction de Tugdual Carluer quand elle s'éloignait trop du texte original. Comme le rappelle Thierry Jamet dans le communiqué du Temps ci-dessous, le Temps a signé un contrat avec l'éditeur de la version française Les éditions Delcourt, et non pas avec l'auteur de la BD, Mme Inès Léraud. Le contrat signifie clairement : «L'éditeur s'engage à faire une traduction fidèle, sans coupures, ni modifications, ni adjonctions». Tout est dit. Le contrat spécifie aussi que le traducteur sera Tugdual Carluer, le traducteur choisi par Inès Léraud, donc l'éditeur était obligé d'inscrire son nom sur la couverture alors que le texte avait été modifié. L'éditeur comme Inès Léraud ont donné leur accord pour imprimer ce texte, le fameux BAT ou "bon à tirer'.
La mise en demeure de Splann ! et d’Inès Léraud, comme nous leur avons signifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, est sans fondement, puisque nous avons tenu tous nos engagements contractuels. Pour cette raison, les exemplaires continueront à être commercialisés et nous ne rééditerons pas la version souhaitée par Inès Léraud et Splann, qui, faut-il le rappeler, entre autres problèmes, mais non le moindre, est non conforme au contrat signé. Pour pouvoir publier cette version, il nous faudrait demander et signer un autre contrat de cession de droits qui serait non pas une traduction de Algues vertes, l’histoire interdite en breton mais une adaptation de ce même ouvrage en 'un breton accessible au plus grand nombre ancré dans le Trégor et le Centre Bretagne'. Et bien entendu, nous n’avons aucune intention d’en faire la demande et nous n’en avons (heureusement !) pas l’obligation - Thierry Jamet
La maison d'édition Le Temps s'en est tenue au contrat avec l'éditeur. Elle a donc eu raison de choisir un breton écrit plutôt qu'un breton oral empruntant des expressions locales du Trégor ou d'ailleurs. Elle n'avait pas le choix de faire autrement selon le contrat. Le Temps a trop bretonnisé la langue ? Là c'est la tendance des linguistes du breton, et non pas la faute de la maison d'édition Le Temps, de tout vouloir traduire. Certes en France on dit OTAN et pas NATO et le breton peut à la rigueur inventer un acronyme pour NATO, mais le breton s'enrichirait d'emprunter plus. Pourquoi ne pas emprunter les mots du numérique et de l'informatique américaine comme web, mail, corpus, script, post, troller, convolution, hash, patch, tags, data, etc . Les mots français de la gastronomie, d'ailleurs largement adoptés par les Américains, comme casserole, soufflé, velouté, bisque, bouquet garni, consommé, farce, pourraient aussi être adoptés par la langue bretonne. Sans même parler des termes militaires français adoptés par toute l'Europe, du caporal au maréchal en passant par l'aide de camp ou la baïonnette ou même le coup d'État...
Pour en revenir au matérialisme historique, le futur nous réserve des surprises car la révolution internet et celle de l'intelligence artificielle auront des conséquences sur l'usage des langues que nous ne percevons pas encore. L'écrit va probablement à nouveau se diversifier en quittant en partie le support papier. Les langues minoritaires et les dialectes, une fois numérisés avec un corpus suffisant pour être traduits en temps réel, ont sans doute un futur inespéré avec l'apparition de traducteurs ultra-performants basés sur les réseaux de neurones de l'intelligence artificielle. (voir notre article)
■0Réjouissons-nous de pourvoir encore lire du brezhoneg ou du Gallo en 2023 !
Mais le pire, c'est que personne ne remarque le SCANDALE de ces algues «gwer» (vert pas naturel) et de la responsabilité de acteurs agro-économiques et politique en Bretagne.
Cette polémique pue «l'anti-Bretagne».
Atavisme, quand tu nous tiens...