L’application de la Loi 3DS, votée le 8 et le 9 février 2022, conduit de manière silencieuse à la débretonnisation de nos campagnes. Selon l’article 169 de cette loi : « Le Conseil municipal procède à la dénomination des voies et lieux-dits, y compris les voies privées ouvertes à la circulation », toutes les communes doivent dénommer les voies et les lieux-dits, donner un numéro à chaque usager et fournir l’adressage au format Base Adresse Locale dans la Base adresse nationale, selon les normes unilatéralement fixées par la Poste.
Or les campagnes bretonnes se caractérisent par un habitat dispersé au sein de hameaux ou de lieux-dits dénommés le plus souvent en langue bretonne. Au sein de ces lieux-dits, les ruelles ne portent pas de nom le plus souvent.
Les opérations d’adressage ont commencé et ne sont pas encore achevées pour les petites communes de moins de deux mille habitants, qui doivent rendre leurs travaux au premier juin 2024.
Les communes se trouvent dans l’obligation d’appliquer cette loi, en lien avec la Poste, choisissant souvent un nom français pour les voies qui ne comportaient pas de nom auparavant, mais conduisant à la disparition progressive du nom breton de nos lieux-dits.
Un nom de lieu-dit en langue bretonne qui ne forme plus une adresse postale est condamné à tomber en désuétude.
Pour des raisons techniques, il arrive que les lieux-dits disparaissent au moment de la saisie dans la Base Adresse Locale gérée par la Poste, ce qui a été dénoncé par l’adjoint au maire de la commune de Plouezoc’h : concernant les noms des lieux-dits, « dans la Base adresse locale, ça a disparu au moment de la saisie, ce qui n’était pas notre commande initiale », concède Jérôme Calmels. -Le Télégramme du 15 novembre 2023-
Les règles fixées par le logiciel informatique privilégient les noms de rue et prennent le pas sur une toponymie ancestrale en langue bretonne, occasionnant une perte inestimable.
La dénomination bretonne des lieux-dits est condamnée à tomber en désuétude, comme à Plouezoc’h avec les appellations Lansalut, Coat Quiff, Porz ar Prat, Kervec, Kerall, Leoc’hen désormais effacées de l’adressage. -Le Télégramme du 15 novembre 2023-
A Plouneour-Brignogan-plages, les habitants se plaignent des nouveaux noms de rues totalement hors-sol, choisis par la municipalité. Le maire, M. Pierre-Victor Charbonnet, a justifié ces nouveaux noms « pour une meilleure visibilité » -Le Télégramme 4 décembre 2023-
Cet exemple en dit long sur l’état d’esprit de nombreux maires.
A Telgruc sur mer, la municipalité avait accepté en 2019, à la demande de la poste, de donner un nom à 32 petites rues de hameaux, afin de faciliter l’adressage postal. La mairie leur avait donné des noms d’oiseaux, en langue française et souvent hors sol ou fantaisiste, et ce, sans consulter les habitants, ni les associations qui oeuvrent sur le sujet. (Yann-Ber Kemener « guide des noms de lieux bretons » Skol Vreizh 2022)
Face au tollé suscité par cette modification toponymique à la hussarde, la nouvelle municipalité de Telgruc a choisi de consulter la population sur le nom à donner à ces 32 rues. Si le plus souvent, c’est le nom patrimonial breton qui l’a emporté, il a été décidé de le traduire en langue française, ce qui présente un risque majeur de déperdition.
Les habitants qui parlent de moins en moins le breton, ou les nouveaux arrivants retiennent naturellement le nom en langue française.
Selon la logique fantaisiste encouragée par la loi 3DS, il n’existe plus aucun lien entre le nom et la parcelle de territoire ainsi nommée, alors que le nom en langue bretonne indique toujours une caractéristique liée à l’histoire du lieu, à la nature du sol ou à sa situation dans son environnement, ou bien encore à son utilité. Il en résulte une perte de connaissance évidente pour les habitants.
Cette toponymie traditionnelle a encore une importance aujourd’hui en ce qu’elle nous renseigne sur la nature du sol et peut donc orienter des décisions d’aménagement.
Certaines municipalités n’ont aucun sens de la valeur inestimable de la toponymie bretonne millénaire et qui fait partie du patrimoine immatériel de l’humanité.
Depuis les années 1960, de nombreuses municipalités ont donné à de nouveaux quartiers construits à la campagne des noms en langue française correspondant à des animaux, à des arbres ou à des fleurs alors qu’il aurait été possible de respecter la toponymie en langue bretonne du lieu figurant sur l’ancien cadastre.
Traditionnellement en Bretagne, chaque parcelle de terrain, chaque champ, chaque rocher émergé comportait un nom explicite en langue bretonne.
Avec la loi 3DS, et l’obligation faite à toutes les communes de donner un nom à toutes les rues, c’est l’aboutissement de la politique de francisation.
C’est tout un pays qui change de dénomination et donc de visage, de culture et d’identité, sous nos yeux. La francisation de nos campagnes bretonnes progresse et il est encore très difficile de mesurer l’étendue exacte des dégâts.
Pourtant, le mode d’habitat dispersé selon des lieux-dits dénommés en langue bretonne est typique du mode de vie et de la culture bretonne.
Le lieu-dit est bien plus qu’une adresse en Bretagne, en ce qu’il concourt traditionnellement à l’identification des habitants. Ainsi, c’est parfois moins le nom de famille qui permet d’identifier une personne à la campagne, que le prénom accolé au nom du lieu-dit où demeure l’intéressé.
Avec la Poste, c’est l’ensemble des services publics comme le syndicat mixte Mégalis Bretagne qui renforce la pression en rappelant l’urgence pour les communes de créer leur base d’adresse locale compatible avec la base nationale, « à défaut de ne pas permettre aux usagers un accès internet ». Comme exemple à ne pas suivre, ce syndicat mixte présente un seul lieu-dit avec plusieurs numéros. « 52 numéros associés au lieu-dit Pouldon » in Mégalis les bonnes pratiques de l’adressage »
Au cœur de ces mécanismes de rejet d’une langue et d’une culture, se trouve la déconsidération publique dont souffrent nos cultures minoritaires au sein d’un Etat français reposant sur le principe constitutionnel dangereux de « l’unicité du peuple français ». L’Etat français ne reconnaît pas de minorités sur son territoire.
L’Ecole de la République n’enseigne notre langue bretonne qu’à 4% de nos enfants et l’Etat français refuse de former massivement les enseignants à cette fin, comme il a pu le faire pour développer la langue corse. Le nombre d’enfants scolarisés en filière bilingue breton français n’augmente pas. Autant dire qu’à droits et moyens constants, notre langue bretonne est condamnée à une mort certaine. L’Unesco l’a placée à juste titre parmi les langues menacées de disparition.
Après la langue qui tombe en désuétude, faute d’enseignement, c’est le territoire que l’on vide de ses appellations et consonnances bretonnes traditionnelles, au mépris des engagements souscrits par l’Etat français dans le cadre des conventions pour la protection de la diversité et du patrimoine immatériel.
Le 2 mars 2024, l’association Koun Breizh a adressé une lettre ouverte au Président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, afin d’obtenir une forte réaction politique de sa part dans ce contexte difficile pour la sauvegarde de notre langue et de notre culture. Il est plus que temps d’agir et il serait toujours possible d’en appeler à la suspension de l’application de la loi 3DS.
A ce jour, nous n’avons toujours pas la moindre réponse, malgré des articles dans la presse, avec notamment un article du Figaro et un autre article du journal anglais « The times » sur la mise en péril de notre toponymie bretonne (29 mars 2024).
La situation est bien trop grave pour refuser d’agir au motif que les communes sont en charge la dénomination de leurs rues et qu’elles appliquent la loi.
Vu l’urgence extrême tirée de mise en application de la loi 3DS et de l’obligation faite aux petites communes de moins de 2000 habitants de fournir un nouvel adressage conforme à la loi, et en application de l’article 17-3 de la convention, l’association Koun Breizh a saisi l’UNESCO aux fins d’inscription de la toponymie en langue bretonne sur la liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente, en consultation avec l’Etat français signataire.
L’association Koun Breizh entend ainsi rappeler aux autorités françaises leur engagement de protéger la diversité culturelle et le patrimoine immatériel conformément aux conventions ratifiées et sollicite un moratoire sur l’application de la loi 3DS, le temps que l’on puisse dresser un bilan fiable et précis des atteintes infligés à notre toponymie bretonne millénaire.
L’association Koun Breizh demande que l’inventaire précis de la toponymie en langue bretonne soit enfin réalisé par les pouvoirs publics afin de pouvoir la protéger utilement.
Pour Koun Breizh
Yvon OLLIVIER
■«Les noms kanak des lieux seront recensés et rétablis.»
Cette disposition ne revêt pas un caractère dérogatoire par rapport au reste de la Constitution puisqu'un des engagements que la France envisageait de prendre en cas de ratification de la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires était de «permettre et ou d'encourager l'emploi ou l'adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires.» (article 10.2.g) et que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision de 1999, a considéré que les engagements concrets envisagés par la France (partie III de la Charte) n'étaient pas contraires à la Constitution, l'inconstitutionnalité de la Charte étant due, selon lui, au préambule et aux parties I et II de la Charte.
A galon, J-Y Kervarc’heg