Saint Matthieu l'évangéliste, et la Bretagne …

Papier publié le 30/09/12 17:26 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean
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St Matthieu

La Bretagne est une terre de légendes. Nous y sommes tellement habitués qu'évoquer l'abbaye de saint-Matthieu et les reliques du saint qu'elle posséda passe presque pour un mythe. Pourtant, que cette abbaye ait pu détenir les restes de l'évangéliste serait EXTRAORDINAIRE, pour les croyants aussi bien que pour les historiens.

Saint Matthieu est né en Galilée, Jésus lui dit un jour «Suis-moi ! Et, se levant, il le suivit». Il devint l'un des douze apôtres, et l'un des quatre évangélistes. Il prêcha en Palestine et en Syrie et sera martyrisé en Éthiopie en l'an 61. Son corps fut enseveli à Tarrium.

L'histoire de la translation des reliques de saint Matthieu en Bretagne, composée par un évêque de Léon du Xe siècle, appelé Mabbo, Paulin ou Paulinien, est connue par le résumé qu'en donne Le Baud. D'après lui, en 419, des marins bretons auraient apporté en Bretagne les reliques de l'apôtre saint Mathieu, enseveli à Tarrium ou au Caire. Le voyage de ces commerçants prend habituellement trois mois. « Celle gent du Caire », dit Le Baud, « laissa la foi de Jésus-Christ et s'adonna aux concupiscences charnelles et ainsi que ces choses se faisaient, aucuns mariniers bretons appliquèrent à ladite cité du Caire, ainsi qu'ils avaient accoutumé, pour cause de marchandise, auxquels le benoist Mathieu s'apparut». Ils emportèrent avec eux les reliques du saint et vinrent aborder aux côtes de Léon.

Pour certains, la translation du corps de saint Matthieu en Bretagne, se fit au IXème siècle, sous le règne de Salomon, plus tard assassiné, c'est-à-dire de 857 à 875, comme l'attesteraient la Chronique de Bretagne, … et encore celles de Quimperlé et du Mont-Saint-Michel (Note : Ph. Labbe Mss t. 1, p. 349 ; Baluze ; Miscell., t. 1, p. 520, et D. Bouquet, Recueil des historiens de France, t. VII, p. 273). Voir Infobretagne

Pour La Borderie, les reliques du saint furent apportées du temps de Salomon, mais il y eut plusieurs Salomon d'après la chronique de saint Brieuc, au 5e et au 9e siècle. D'après Léon Fleuriot il s'agirait d'un Salomon du 5e siècle. Albert Le Grand raconte lui-même ces faits qui donnèrent lieu à la fondation de l'abbaye.

C'était sans compter sur les Normands. Ce sont eux qui, dans une de leurs incursions en Bretagne, auraient enlevé le corps de saint Matthieu. Dans le XIème siècle, on voyait les reliques de l'apôtre dans la cathédrale de Salerne en Campanie, où les Normands les avaient apportées. Ce fait est attesté par une lettre que le pape Grégoire VII écrivait, en 1080, à l'évêque de cette ville. Voici comment s'exprime Gabriel Du Moulin dans Conquestes et trophées des Normands-François aux royaumes de Naples et de Sicile, 1658 …, « Salerne estant venue en la possession des Normands après un siège de sept mois (1075), le duc Robert Guiscard, … fait bastir un chasteau sur la mer avec un temple superbe qu'il fit dédier sous le nom de l'apostre saint Matthieu par la déposition solennelle des reliques de ce bienheureux apostre, retenant pour soy et ses enfants un des os de son bras ». Bruzen de La Martinière, dans son Grand Dictionnaire géographique, publié en 1768, dit de son côté, « L'église cathédrale (de Salerne) est sous l'invocation de saint Matthieu, dont on y conserve le corps dans une chasse très-riche, au-dessous de son grand autel ». Notons que Guiscard, Normand du Cotentin, il y a peu sous la domination des Bretons, se fit aider par nombre de mercenaires bretons pour conquérir l'Italie méridionale et la Sicile. Le «livre des faits d'Arthur» indique aussi que les reliques sont à Salerne. D'autres sources disent que des marins auraient porté sa dépouille des côtes éthiopiennes à Velia, ancienne Elée, en Campanie. Le corps aurait été transporté en Lucanie, puis à Salerne. C'est le roi lombard Gisulfo (946-977) qui l'aurait fait venir en l'année 954.

Mais saint Matthieu ne devait pas dormir en paix. En effet Hervé Ier, vicomte de Léon, rapporte le Chef de saint Matthieu, à son retour de la Palestine, en 1206. Par ailleurs dans la vie de saint Goueznou, il est dit que des reliques du saint sont ramenées en Bretagne grâce à l'évêque Eudon ou Eon, en 1012.

Des marins bretons en Orient

La Bretagne est connue des Grecs depuis le voyage du massaliote Pythéas, au 4e siècle avant JC, Un statère d'or de Cyrénaïque a été découvert près de l'aber Benoit et daté de cette époque. Des céramiques antiques de Tarse (Asie Mineure), de Rhodes, d'Egypte et d'Ethiopie ont été découvertes à l'ouest de la grande Bretagne; le culte des sept dormants d'Ephèse au Vieux-marché, dans le Trégor; l'étole de soie de saint Paul de Léon, d'origine orientale, les voyages au Ve siècle de marins bretons à Ostie (saint Jérôme)… tout cela indique des relations anciennes entre les Bretons, la Méditerranée et l'Orient. De plus, en théorie, il était encore possible, avant le 8e siècle, d'atteindre la mer Rouge par le canal de Néchao qui n'était pas encore ensablé. Un voyage de marins bretons en Ethiopie n'était donc pas extravagant. Il l'est encore moins si cette Ethiopie dont on parle se trouve en Asie Mineure ! (Turquie).

De quelle Ethiopie s'agit-il ?

Les lieux présumés des actes et du martyr de Matthieu sont nombreux : Syrie, Perse, Parthie, Ethiopie. saint Ambroise et saint Paulin pensent qu'il prêcha en Perse ou en Parthie. Florentinius dit qu'il mourut à Luch dans le pays de Sennar, en Nubie. Fortunat le fait mourir à Naddaver en Ethiopie; Naddauer (Nadavre) selon Ortélius. Mais pour Dorothée il est enterré à Hiérapolis en Parthie. Le Martyrologe Hiéronymien situe le martyr de Matthieu en Perse, à Tarseum ou Tarrium (Tarse ?). Florus situe son martyr en Perse, dans la ville de Tharim; et Raban Maur parle de l'Ethiopie. Tarrium, Tharim sont donc peut être à rapprocher de Tarse en Asie Mineure. La ville de Tarrum en Mauritanie césarienne est probablement à exclure.

Mais pour les anciens, l'Ethiopie se situe aussi bien en Afrique qu'en Asie, et l'Inde s'appelait parfois Ethiopie ! Héliodore, Lucain et Pausanias parlent de l'Ethiopie asiatique. Une «Éthiopie» fut par exemple la Colchide, sur le Pont-Euxin. D'après Dorothée, Saint Matthias prêcha la bonne parole dans cette Ethiopie où il fut crucifié. Hérodote dit qu'une partie de la population de Chypre était originaire d'Ethiopie et Homère la situait en Phénicie. Apollonios de Rhodes évoque les « Égyptiens » de Colchide. Amien Marcellin rapporte que Tarse fut fondé par les Ethiopiens. Il semble que ces Ethiopiens désignaient en réalité les Phéniciens.

Pour compliquer les choses, les toponymes évoqués dans la vie de Matthieu se retrouvent aussi bien en Ethiopie (Nubie) qu'en Asie. La Caramanie peut être aussi bien Kerma en Nubie, après la 3e cataracte, la Caramanie iranienne, ou celle de Galatie, fondée par les Gaulois Tectosages. Quant au pays de Kouch, est-ce le fameux royaume de Kouch de haute Egypte ou le kouch arménien ?

Par ailleurs, au cours de sa vie, Matthieu eut à combattre deux magiciens Arfaxas et Zaroes. Le deuxième personnage n'évoque t-il pas Zoroastre et le Zoroastrisme ? Cette religion monothéiste fondée au Ier millénaire avant JC fut prophétisée par Zarathoustra, transcrit en Zoroastre par les Grecs. Elle est devenue une des religions de l'empire Parthe. Cet épisode ne pouvait donc se produire en Ethiopie africaine.

L'Ethiopie africaine ne fut christianisée qu'au 4e siècle et il est bien probable que Matthieu, au lieu de rejoindre cette contrée en lisière du monde connu, alla en Asie Mineure, mieux achalandée, où officiaient ses coreligionnaires, apôtres et évangélistes.

Le berceau du christianisme

Selon les actes des Apôtres, c'est à Antioche, (Turquie actuelle), que des disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens. Saint Paul, Paul de Tarse (Tarsus), auteur de l'épitre aux Galates, visite l'Asie Mineure, Antioche, Ephèse, la Galatie occupée par des Celtes qui parlent encore breton. … Au IVe siècle, saint Jérôme rapporte que ce peuple use toujours le gaulois de Trèves. Saint Jean mourut à Ephèse, saint Pierre fut évêque d'Antioche. Saint Marc va à Pergé (siège du christianisme), Antioche puis Alexandrie, saint Philippe fut crucifié à Hiérapolis en Phrygie et saint Matthias en Colchide.

Alors, … la terre de Bretagne a-t-elle accueilli les reliques de saint Matthieu, rédacteur du premier évangile ? On a dit que la France est la fille aînée de l'église, en ce cas, la Bretagne en fut certainement la cadette, et le saint n'aurait pu trouver un foyer plus propice pour couler ses vieux jours et réchauffer ses os au milieu d'un peuple fervent. Mais ce n'est peut-être qu'une légende …

Références :

• - Pierre Le Baud, (1450,1505), histoire de la Bretagne.

• - Les vies des Saints par Adrien Baillet

• - Encyclopédie méthodique: Géographie ancienne, par Edme Mentelle

• - Les Origines de la Bretagne par Léon Fleuriot

• - Biographie bretonne: Volume 2 par Prosper Jean Levot

• - Le grand dictionnaire géographique et critique, Volume 2, par Antoine Augustin Bruzen de la Martinière

• - Martyrologe par Usuard

• - Mémoires d'archéologie comparée Asiatique, grecque et Etrusque, Volume 1 par Raoul-Rochette

• - Un statère d'or de Cyrénaïque découvert sur une plage bretonne et la route atlantique de l'étain P.-R Giot, J.-B. Colbert de Beaulieu Bulletin de la Société préhistorique de France

• - www.infobretagne.com


Vos commentaires :
Patrick Yves GIRARD
Vendredi 15 novembre 2024
Excellente approche des rapports commerciaux à l'aube du haut moyen-âge.

Eflamm CAOUISSIN
Vendredi 15 novembre 2024
Félicitations pour cet article, que je partage sur Voir le site
Au plaisir de vous relire

Maryvonne Cadiou
Vendredi 15 novembre 2024
Toujours si intéressants vos écrits monsieur Patay.
Il y a quelques manuscrits provenant de l'Abbaye de saint Mathieu dans le fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Brest...

Patrick Chevin
Vendredi 15 novembre 2024
Matthieu n'est pas le rédacteur de l'évangile qui porte son nom puisque celui-ci a été écrit vingt à trente ans après sa mort.
Tous les évangiles sont des compilations rédigées par des disciples des deuxième et troisième générations et par rajouts successifs, au moment où le christianisme se sépare du judaïsme et cherche à reconstituer la vie du Dieu chrétien incarné, mêlant témoignages rapportés des apôtres et éléments imaginaires répondant au besoin, pour les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), de prouver que Jésus est bien le messie annoncé par l'ancien testament (ascendance de jesus, voyage en Egypte, naissance à Bethléem etc.) et pour l'évangile de Jean (le dernier), au contraire, d'énoncer les principes d'une nouvelle doctrine distincte du judaïsme (compassion pour les pécheurs et critique de la loi). À cet égard, le protestantisme et l'islam sont un retour en arrière vers l'ancien testament et le dieu de justice plutôt que d'amour, c'est-à-dire le Bélier plutòt que les Poissons...

Caradec Daniel
Vendredi 15 novembre 2024
Merci Marc pour cette très belle page.
On frise le Fantastique!
Au présent, au passé comme au futur, l'imaginaire et la réalité s'entremêlent. Le souffle de l'Awen n'a pas de frontière.
Lorsqu'il était plus sûr de naviguer que de traverser les forêts, le peuple breton, marin par excellence, était ouvert à toutes les beautés du monde et à tous ses mystères. Le monde Celtique ne formait qu'une Nation, aussi réelle qu'imaginaire, irriguée par la houle d'ouest.
Moi, vieux marin breton, qui porte le nom d'un vieux Saint Breton ( dans son sens large, c'est à dire, de Galles, de Cornouailles, d'Irlande ou d'Armorique), vieux saint celtique dont la règle était la pérégrination, moi qui est navigué en Mer rouge, traversé les lacs amers, et le golfe d'Aquaba, je me retrouve pleinement dans cette belle page écrite par vos soins, et partage pleinement votre bonheur et cet engouement que nous portons tous dans nos gènes.
Merci pour ce très beau partage;
Avec ma fraternelle considération,
Bon vent!!!
PS: Sur la route de l'étain, Joseph d'Arimathie a également fréquenté nos côtes. Le Christ lui même aurait foulé notre belle terre de Bretagne(s). C'est ce que l'on prétend avec tant de générosité d'âme dans le Sommerset, le Pays de l'été, à Ynis Witrin, la légendaire Avalon…
Ne sentons nous pas cette grâce, lorsque nos «fronts brillants» perlent encore de cette eau crystalline, de la source rouge, là ou sommeille le Calice, au fond d'un puits.
Il est dit que la réalité peut dépasser la fiction. Il n'y a plus de limite. Voilà ce qui nous a toujours inspiré, nous peuple des mers.
Je me suis toujours demandé ce que pouvait ressentir un marin breton des temps anciens, un de nos Pères, à l'approche des côtes de Madagascar, d'Indes, ou d'Erythrée… Puissions nous garder cette même fraicheur d'esprit face à l'inconnu, face à l'Histoire, face à l'Avenir… Ce même Emerveillement.

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