On avait coutume dans les années 70 de parler de «renouveau» celtique, de redécouverte du patrimoine chanté, de la musique, de la danse et de la langue. Partout, dans les colonies françaises, en Angleterre, en Europe, et dans de nombreux pays, le collectage, les recherches ethnologiques se sont multipliées : le maloya à la Réunion n'était plus chanté que par une personne, Danyel Waro l'a tiré de l'oubli. En Bretagne Loeiz Roparz relançait les fest-noz, Stivell marchant sur les traces de Martin Carthy, relançait la musique celtique, les gwerz, le kan ha diskan ...
Et aujourd'hui ? Peut-on parler de renouveau avec Nolwenn Leroy et les Bretonnismes d'Hervé Lossec ?
«Relegoù ar brezhoneg» (les reliques de la langue bretonne), répond Jef Philippe récemment. Et si c'était plus profond, plus organisé, plus pensé ? Comme les Basques qui se disent nationalistes sans peur d'être taxés de «terroristes» (le nationalisme français, lui, n'est jamais critiqué alors qu'il s'étale tous les jours dans les médias...), les Bretons essaieront-ils un jour le terme de «réappropriation» ?
Terme emprunté là encore au vocabulaire politique (anarchiste, classe ouvrière), il est aussi la façon la plus simple de dire : «tes grands-parents parlaient breton, tu parles français, tes enfants parlent français. Acceptes-tu cet état de fait, ou désires-tu te réapproprier ce qui t'appartient, ce qui fait la richesse culturelle de ces lieux où te mènent tes pieds dans ce pays, ses noms indéchiffrables désormais pour toi, ses chants, sa création culturelle» ?
Réappropriation ou «récupération», comme si l'on allait récupérer quelque chose qui avait été volé, sans jamais parler de vol, par une civilisation tellement supérieure, tellement plus intelligente,...
Être l'acteur de la réappropriation culturelle, c'est favoriser les moments d'échange, la (re)découverte d'une culture musicale, littéraire, ... et l'apprentissage sérieux de la langue dans des lieux monolingues, une rigueur bienveillante (est-ce possible ?) pour que le niveau de langue (écrite, parlée, enseignée ...) s'élève. Mission impossible ? Tout dépend de la volonté des utilisateurs du mot «réappropriation».
Pour en savoir plus : Clés pour la récupération linguistique et identitaire, Garabide (texte complet dans la pièce jointe, Creative Commons)
■Le mot «récupération» n'a pas exactement le sens qu'on pourrait penser. Voici un passage du livre qui l'explique :
"La politique de Franco s'appliquait au Pays Basque Sud, mais au Pays Basque Nord, les bascophones subissaient une situation similaire. En effet, la politique du gouvernement français ne prenait nullement en considération la langue basque et elle instaura le français comme l'unique langue officielle. Victimes d'un complexe d'infériorité et d'un sentiment de honte, convaincus que l'avenir serait peut-être meilleur s'ils parlaient le français, de nombreux bascophones abandonnèrent progressivement le basque et ne transmirent aux générations suivantes que le français.
C'est ce qui se produisit dans la famille de Fermina Jauregi, de Ziburu (Lapurdi), qui apparaît dans le documentaire L'expérience du Basque. Les parents de Fermina étaient bascophones unilingues. Fermina et son mari étaient bascophones, et même s'ils se débrouillaient bien en français, entre eux, ils parlaient toujours en basque. Mais quand ils eurent des enfants, ils ne leur transmirent que le français, parce qu'ils croyaient qu'en maîtrisant bien cette langue, leur avenir serait meilleur.
L'interruption de la transmission du basque entraîna une perte considérable de locuteurs bascophones : au XIXe siècle, par exemple, 69 % des habitants des provinces d'Araba, Bizkaia et Gipuzkoa étaient bascophones. Cent ans plus tard, en 1981, 21,53 % seulement des habitants de ces trois provinces étaient bascophones
LE RêVE DE LA RéCUPéRATION
Pour les bascophones, voir leur langue en voie de disparition a été une expérience très traumatisante. Mais le fait d'être parvenus à une situation aussi extrême a accéléré la prise de conscience de cette perte et renforcé, dans la société basque, le message de la nécessité d'une récupération de la langue. C'est ainsi que ceux qui connaissaient la langue ont commencé à l'utiliser davantage et qu'une véritable motivation pour l'apprendre est apparue chez ceux qui ne la connaissaient pas.
La tension de rupture s'est produite dans cette génération, et à partir de là, il a fallu deux générations pour sortir la langue du déclin dans lequel elle était engagée..
Avant cela, il y eut aussi des initiatives de récupération, mais la plupart d'entre elles étaient des démarches individuelles. En revanche, les premiers efforts réalisés après la Guerre Civile d'Espagne ont été des démarches sociales, engagées par des collectifs et des groupes importants.
À cette époque, on s'est engagé avec fierté dans ce processus de récupération du basque, dans l'activité en faveur de cette langue. Cette génération a compris que l'euskara est le cœur qui donne vie au Pays Basque et que tant qu'il vivra, le Pays Basque vivra.