Rencontre avec Bernard Le Nail, auteur du nouveau livre Des Bretons au Mexique

Interview publié le 10/04/09 16:06 dans Cultures par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch

Bernard Le Nail est un auteur et un acteur important de la promotion de la Bretagne et de son Histoire. Il a initié la publication de nombreux ouvrages, seul ou en collaboration, ainsi qu'un grand nombre d'articles ayant pour thèmes principaux : le rayonnement de la Bretagne et des Bretons dans le monde, les voyages de découverte des Bretons, l'émigration bretonne, les étrangers en Bretagne et leur contribution à la vie de la Bretagne, les relations entre les pays celtiques. Après avoir été secrétaire du CELIB, puis directeur de l'Institut Culturel, Bernard Le Nail, qui est aussi un contributeur régulier de l' Agence Bretagne Presse, a créé une maison d'édition : Les Portes du Large qui publie un livre dont il est l'auteur : «Des Bretons au Mexique».

ABP : Bernard Le Nail, vous venez de faire paraître un nouveau livre qui a pour titre «Des Bretons au Mexique», dont vous êtes à la fois l'auteur et l'éditeur. Pourquoi un tel livre ? A priori, on ne s'attendrait pas à un tel livre. On n'a jamais entendu parler nulle part de Bretons qui seraient allés au Mexique. Des Bretons aux États-Unis, au Canada, aux Antilles, oui, mais franchement pas au Mexique...

Bernard Le Nail : C'est vrai. Ce n'est pas un sujet qui s'impose d'emblée comme évident. Certains seront tentés de croire qu'il s'agit d'un livre «ultra-pointu», d'un livre érudit, montant en épingle des faits tout à fait microscopiques... Certains de mes amis me taquinent d'ailleurs parfois en me disant que, partout où je vais, je trouve la trace de Bretons, un peu comme si je les inventais. Ils prétendent en riant que je serais bien capable d'en trouver au milieu du Sahara ou au fin fond de la Sibérie...

En voyant les précédents livres que j'ai fait paraître sur des Bretons au Brésil, au Vietnam, en Russie, en Australie, en Californie, au Sénégal, en Louisiane, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, beaucoup de gens en Bretagne hochent la tête et me disent, non sans une certaine fierté :«Les Bretons sont des grands voyageurs. Ils ont été partout...» C'est largement vrai, mais, s'agissant du Mexique, les lecteurs de ce livre verront que le rôle joué par des Bretons dans ce pays n'a pas été marginal ou anecdotique. Des Bretons et descendants de Bretons y ont joué un rôle réellement important et certains y ont même vécu des destins extraordinaires qui méritent d'être connus. Je crois que ce livre sera une vraie découverte pour beaucoup de lecteurs. Curieusement d'ailleurs, ce livre est le premier travail général sur les Bretons au Mexique. Il y a certes eu dans le passé beaucoup d'ouvrages publiés en France sur le Mexique, dans lesquels il était parfois question de Bretons, mais de manière discrète et marginale. Ce livre est vraiment la première étude d'ensemble sur la question. Même dans la très riche production des sociétés savantes des cinq départements bretons depuis un siècle et demi, je n'ai quasiment rien trouvé : pas un seul article sur des milliers parus dans leurs bulletins... C'est étonnant.

ABP : Mais, vous-même, vous connaissez le Mexique ?

Bernard Le Nail: Oui, pour autant que l'on puisse jamais connaître un pays aussi vaste et d'une telle diversité. Ce pays est un univers... Ma connaissance du Mexique est bien limitée, mais j'y ai vécu tout de même durant deux années entières, je l'ai sillonné en tous sens et je n'ai cessé depuis de m'y intéresser, de suivre son évolution et d'approfondir mes connaissances sur son histoire. Ceci dit, je n'en suis aucunement un spécialiste et ne prétends absolument pas l'être, mais je suis resté très attaché à ce pays et à ses habitants.

C'est un peu le hasard qui m'a amené au Mexique. À la fin de mes études, comme beaucoup de jeunes gens de ma génération, j'ai eu le choix entre un service militaire d'un an ou un départ en coopération d'une durée un peu plus longue, deux années scolaires dans le cas d'un enseignant. J'ai opté pour cette dernière formule. J'aurais aussi bien pu me retrouver au Cambodge ou en Haute-Volta. J'ai été envoyé comme enseignant d'économie et de gestion à l'Institut technologique franco-mexicain de Mexico, lycée professionnel où j'ai eu comme élèves des jeunes ayant entre 16 et 20 ans - je n'étais pas beaucoup plus âgé que certains d'entre eux - mexicains pour la plupart, mais aussi quelques Français, quelques Franco-Mexicains et des jeunes d'autres nationalités. La plupart, dont le français n'était pas la langue maternelle, avaient suivi auparavant un enseignement intensif de français pendant deux ans. Ces jeunes gens étaient très attachants et j'ai beaucoup aimé cette expérience de l'enseignement. J'ai essayé de faire de mon mieux pour les faire tous vraiment progresser au cours de ces deux années... Je me suis même trouvé mobilisé pour faire passer des oraux du bac à Mexico, bien entendu à d'autres que mes élèves...

ABP : Vous parliez espagnol ?

Bernard Le Nail : Non, pas du tout. Enfin, pas avant de savoir que je partirais dans ce pays. Dès que j'ai appris que j'allais partir à Mexico, je me suis mis à étudier sérieusement l'espagnol. Je crois que cela avait été le cas aussi pour Jean-Marie Gustave Le Clézio qui a fait, lui aussi, son service national à Mexico dans le cadre de la coopération, quelques années avant moi, mais lui dans le cadre de l'Institut Français d'Amérique Latine (l'IFAL)... J'ai surtout appris l'espagnol «sur le tas» en écoutant beaucoup la radio, en lisant un quotidien chaque matin, en parlant le plus possible avec les gens et en faisant aussi un stage intensif de castillan pendant des vacances scolaires. Très vite, je me suis mis aussi à lire des «classiques» sur l'histoire du pays comme «El Aguila y la serpiente» de Jésus Silva Herzog et des œuvres littéraires comme «El Laberinto de la Soledad» d'Octavio Paz ou «El llano en llamas» de Juan Rulfo. J'ai un accent sûrement épouvantable et je fais sans doute bien des fautes de grammaire, mais je le lis sans problème, je le comprends bien aussi à l'oral et j'arrive toujours à me faire comprendre partout où je vais. Cela m'a bien servi quand, après ces deux années d'enseignement à Mexico, je suis parti avec un sac sur le dos faire seul tout le tour de l'Amérique Latine pendant cinq mois jusqu'à Ushuaia, en Terre de Feu. Mais cela est une autre histoire...

ABP : Vous avez fait aussi de la haute montagne au Mexique ?

Bernard Le Nail : Oui, j'ai eu également cette chance. Le Mexique est un pays très montagneux, un pays où l'on trouve réunis de très nombreux climats, un pays de volcans qui sont loin d'être tous éteints, et où il se produit de temps à autre des éruptions et des secousses sismiques, voire de graves tremblements de terre. La capitale, Mexico, dont l'agglomération est aujourd'hui la troisième du monde avec près de 22 millions d'habitants, occupe une immense cuvette située entre 2 200 et 2 300 m d'altitude et entourée de montagnes plus élevées, dont un massif qui s'élève à plus de 5 000 m, dominé par le mythique Popocatepetl (5 452 m) et l'Iztaccihuatl (5 286 m). Le premier ressemble un peu au Fujiyama par sa forme régulière, tandis que l'Iztaccihuatl fait un peu penser au corps d'une femme et il est d'ailleurs supposé être une princesse endormie auprès de laquelle son amant, un guerrier aztèque, monte la garde pour l'éternité. Tous deux sont couverts de neiges éternelles qui forment même des petits glaciers. Entre eux, il y a un col, le Paso de Cortez, jusqu'auquel monte une route asphaltée. Mais le plus haut sommet du Mexique, qui a 800 m de plus que le Mont Blanc et que les marins aperçoivent de loin, en mer, avant même de distinguer la côte de la région de Veracruz, c'est le Citlatepetl ou Pico de Orizaba qui culmine majestueusement à 5 611 m d'altitude. C'est le troisième plus haut sommet d'Amérique du Nord.

Je suis arrivé au Mexique en même temps qu'une dizaine d'autres «coopérants» et, parmi eux, il y avait un professeur de maths de Marseille, Jacques Kelle, qui était un mordu d'alpinisme, aspirant guide de Chamonix et bien décidé à faire l'ascension des principaux sommets du pays. Il a naturellement très vite cherché des volontaires pour l'accompagner. Je n'avais jamais fait d'alpinisme, mais j'avais fait pas mal de sport pendant mes études, j'avais une excellente condition physique et j'ai été tout de suite partant avec quelques autres. On trouve à Mexico quelques magasins qui vendent du matériel : chaussures, piolets, cordes, crampons, etc.

Pendant ces deux années, j'ai ainsi pu faire de très belles courses et réaliser l'ascension des plus hauts sommets du pays : le Citlatepetl, le Popocatepetl, l'Iztaccihuatl, le Nevado de Toluca et d'autres moins élevés. Je conserve un souvenir ébloui de ces longues courses. La plupart des itinéraires ne présentent aucune difficulté technique, mais demandent seulement de l'endurance. Il faut parfois marcher assez longtemps dans de grandes étendues de cendres volcaniques (comme dans des dunes de sable), ce qui est assez pénible quand on porte sur son dos une lourde charge, l'air devient plus rare au-dessus de 5 000 m, il y a surtout d'énormes et brutales variations de température; elle peut chuter de 25 à 30° en quelques minutes...

Il existe quelques refuges, assez sommaires, vers 4 000 m, mais, là où n'en existait pas, il nous a fallu parfois camper et je garde le souvenir d'une nuit affreuse à plus de 5 000 m sur un glacier, à grelotter de froid, emmitouflés de tous nos vêtements et serrés les uns contre les autres avec - 10° dehors... Mais l'extraordinaire beauté des levers (et des couchers) de soleil faisait tout oublier.

ABP : Et vous avez fait flotter le «Gwenn-ha-du »sur ces sommets ?

Bernard Le Nail : Oui, j'avais emporté avec moi un drapeau breton, qui m'a d'ailleurs servi aussi plus tard pour faire du stop lors de mon grand tour d'Amérique Latine, par exemple au Chili... Nous étions plusieurs Bretons dans ces courses en haute montagne, dont Françoise Moal qui a poursuivi une carrière d'enseignante à l'étranger - je crois qu'elle a longtemps été au lycée français de Londres - et Jean-Noël Salomon, dont les ancêtres étaient de la région de Gouarec et qui a fait une belle carrière universitaire - c'est un des grands spécialistes des karsts en géographie physique - et il a longtemps enseigné à l'Université de Bordeaux, où il a aussi dirigé pendant un temps les presses de l'Université. Nous avons fait flotter le Gwenn-ha-du sur les plus hauts sommets du Mexique et, à l'époque, Ouest-France a reproduit une photo de notre cordée avec le drapeau breton...

ABP : Il y avait beaucoup de Bretons à Mexico ?

Bernard Le Nail : Certainement, mais il n'y avait pas d'amicale bretonne à l'époque, à ma connaissance. Le dynamique directeur de l'Institut technologique franco-mexicain s'appelait Jean-Pierre Le Gouhir et son épouse, également originaire de Bretagne, enseignait au lycée. L'intendant du lycée, Guy Larivain, était lui aussi breton. Il y avait encore Joseph Darsel, fils d'un grand érudit breton, qui enseignait l'histoire-géographie, André Bléno, de Quimper, qui enseignait en primaire, et j'en oublie sûrement. J'ai aussi rencontré plusieurs fois Goulven Éliès, qui enseignait le dessin au lycée franco-mexicain et qui était déjà un artiste assez connu. Né à Saint-Brieuc en 1929 - il aura 80 ans dans quelques semaines - il était le fils cadet du grand écrivain de langue bretonne Fañch Elies Abeozen, professeur agrégé de lettres, proche de François Vallée AbHerve et de Meven Mordiern, ami et collaborateur de Roparz Hemon. Sa carrière fut brisée à la Libération à cause de ses engagements bretons, alors qu'il s'agissait d'un homme de gauche, grand ami de Louis Guilloux, proche lui aussi du Parti communiste et militant antifasciste...

Il y avait sûrement beaucoup d'autres Bretons dans l'immense agglomération de Mexico, en particulier parmi les cadres des nombreuses entreprises françaises installées dans le pays, mais je n'en ai pas connus personnellement. En revanche, dans le cadre de la paroisse française, j'ai connu des «Barcelonnettes», c'est-à-dire des Franco-Mexicains, descendant de ces immigrants courageux venus de la vallée de l'Ubaye, dans les Alpes de Haute Provence, à partir des années 1820, et qui développèrent de nombreux commerces au Mexique, y créant notamment les premiers grands magasins comme El Palacio de Hierro et La Ciudad de Londres. Cette communauté reste toujours vivante et attachée à sa double culture, française et mexicaine...

Un jour, je suis allé déjeuner avec des camarades coopérants dans une «crêperie bretonne». Elle devait faire partie d'une chaîne comptant plusieurs crêperies dans cette immense agglomération de Mexico, chaîne peut-être créée à l'origine par un Breton. Pour autant que je puisse m'en souvenir, les crêpes servies n'étaient pas fabuleuses. Mais ce qui était assez étonnant, c'étaient les serveuses, des jeunes Mexicaines très basanées, au type vraiment indien, qui étaient affublées d'une tenue rappelant vaguement un costume breton et portant une coiffe bizarre n'ayant qu'un rapport bien lointain avec les diverses coiffes portées en Bretagne...

Ce que je regrette beaucoup rétrospectivement, c'est de ne pas avoir rencontré à l'époque des descendants de Bretons comme les Keratry, les Kelegand ou encore Alice Rahon-Paalen, Alice Philippot de son nom de jeune fille, artiste surréaliste qui clamait haut et fort son origine bretonne (son père était de la région de Saint-Brieuc).

ABP : Il y a donc des Keratry au Mexique ?

Bernard Le Nail : Oui, mais je ne l'ai su que bien après être revenu en Europe. Et le plus fort, c'est que le président du Mexique, quand j'y étais, Luis Echeverria Alvarez, avait pour beau-frère un certain Ernesto de Keratry, arrière-arrière-petit-fils d'Ernest de Keratry, frère d'Émile, le fameux général qui commanda l'Armée de Bretagne et qui affronta Gambetta à propos du sort pitoyable des soldats bretons parqués au Camp de Conlie. Ernesto aurait sans doute eu des choses passionnantes à raconter. Il est mort, il y a quelques années, ainsi sans doute que son épouse Estela qui était, paraît-il, une femme remarquable. J'ai essayé plus récemment d'entrer en relation avec d'autres membres de la famille Keratry d'Amérique du Nord (plusieurs descendants d'Ernest sont aujourd'hui établi aux États-Uni, notamment au Texas), en paticulier par internet, mais sans succès jusqu'à présent...

Ce qui est piquant, c'est que le nom de Keratry est en train de s'éteindre de ce côté-ci de l'océan Atlantique. Les deux dernières descendantes du général Émile de Keratry qui ont porté de nom avant leur mariage, sont des dames aujourd'hui très âgées qui n'ont pas souhaité que le nom soit relevé par un de leurs enfants ou petits-enfants comme la loi le leur aurait permis... Je dois dire que j'ai un peu connu au début des années 1980 le commandant Pierre Guillaume, ce baroudeur extraordinaire qui inspira au romancier et cinéaste Pierre Schoendoerffer le personnage du «Crabe-Tambour». La mère du commandant Guillaume était une Keratry et il en était fier. Le commandant Guillaume est mort à Saint-Malo en décembre 2002, mais sa veuve, qui est une personne également remarquable (et qui est elle aussi bretonne), avait rencontré les «cousins» Keratry du Mexique lors de leurs voyages en France sur les traces de leurs ancêtres bretons et elle m'a donné beaucoup de précieuses informations... Je raconte tout cela dans mon livre.

ABP : Vous y parlez aussi des Limantour ?

Bernard Le Nail : Oui, il s'agit de Bretons qui ont connu des destins absolument incroyables. J'attends avec impatience de voir paraître en librairie le livre «Le Breton qui possédait San Francisco», de Philippe Argouarc'h et Charles-Louis de Maud'huy. C'est Philippe Argouarc'h qui, le premier, il y a 10 ans, a révélé dans un article diffusé sur internet en 1999 sur le site Bretons.org qu'il avait créé en Californie, l'histoire incroyable du capitaine Joseph Yves Limantour, né en 1812 à Keryado (à l'époque en Plœmeur et aujourd'hui dans Lorient) et mort à Mexico en 1885, fabuleusement riche. Il y a eu ensuite une belle étude de Georges Quernin et Alain Terras dans les «Cahiers du Pays de Plœmeur», en décembre 2000, et un article captivant de Philippe Argouarc'h dans «ArMen» en 2002. Charles-Louis de Maud'huy est, lui, un descendant direct du capitaine Limantour. Le livre qui doit bientôt paraître, fera sûrement du bruit...

Limantour est un nom de famille breton dont l'origine géographique est bien circonscrite géographiquement. On le trouvait strictement concentré, il y a 200 ans, sur la région de Quimperlé et l'ouest de l'arrière-pays de Lorient. Cette terminaison en -our n'est pas très fréquente dans les noms de famille bretons, mais on trouve tout de même des Le Menthéour, Le Covéour, Priour... Aujourd'hui, ils ont essaimé et il y a des Limantour ailleurs en Bretagne et en France.

La vie des deux fils de Joseph Yves n'est pas moins intéressante, même si leurs liens avec la Bretagne furent plus distendus. Le cadet, Julio ou Jules, né à Mexico en 1863, fut un homme d'affaires important ayant des intérêts dans la banque, dans une fabrique de cigares, dans une grande brasserie, dans une grande entreprise de travaux publics et dans les chemins de fer. Il eut même, comme dans des films, une voiture de chemin de fer spécialement aménagée pour lui et nommée «Lolita». J'ai trouvé qu'il avait aussi été diplomate, ayant été en poste comme attaché à l'ambassade du Mexique à Paris durant plusieurs années. Il fut décoré de la Légion d'honneur pour avoir pris une part très active à la création du lycée français de Mexico.

Mais le plus remarquable des deux fils fut l'aîné, José Yves Limantour, né à Mexico en 1854. Ce fils d'immigré breton allait jouer un rôle capital dans la vie du Mexique. Son nom figure dans tous les ouvrages d'histoire qui traitent du «Porfiriato», c'est à dire de la longue période durant laquelle le général Porfirio Diaz fut le président du Mexique. Cette période fut une période de paix et de développement économique exceptionnelle, mais elle fut aussi marquée par l'aggravation des inégalités sociales, ce qui allait provoquer la Révolution mexicaine à partir de la fin de 1910 (on célébrera l'an prochain le centenaire de la Révolution mexicaine). D'une santé longtemps très fragile, José Yves fut un homme d'une intelligence et d'une capacité de travail tout à fait exceptionnelles. Il avait à peine 20 ans quand il obtint son diplôme d'avocat et 21 ans quand il fut nommé professeur d'économie politique. Élu conseiller municipal de Mexico en 1887 et bientôt député, il devint à 38 ans le président de la Chambre des députés du Mexique et, peur après, en mai 1893, le président Diaz l'appela au gouvernement lui confiant le porte-feuille de ministre des Finances et du Crédit, poste qu'il allait conservé pendant 18 ans, sans interruption. Ce ministre d'origine bretonne fit des prodiges : en l'espace de de deux ans, il parvint à résoudre le problème financier du pays, à rétablir l'équilibre des finances publiques, à faire du peso une monnaie convertible et à inspirer la confiance aux financiers du monde entier. Sous sa conduite éclairée, le Mexique connut une modernisation accélérée et, en particulier, un formidable développement de ses chemins de fer...

Je raconte l'histoire de ces deux fils dans le livre, mais j'espère bien qu'une biographie de José Yves Limantour pourra un jour être publiée en français. Le personnage le mérite vraiment...

ABP : Il est aussi beaucoup question dans le livre des Bretons qui ont combattu au Mexique. Ce n'est pas aussi glorieux que d'avoir combattu pour l'indépendance des Etats-Unis, mais il y aurait des témoignages intéressants ?

Bernard Le Nail : Effectivement ! Depuis le très grand succès, très mérité, des «Mémoires d'un paysan bas-breton», de Jean-Marie Déguignet, beaucoup de gens ont découvert que la France de Napoléon III avait fait la guerre au Mexique et que des Bretons y avaient pris part. En fait, la France et le Mexique ont été en guerre à deux reprises au XIXe siècle. À chaque fois, des Bretons y ont été mêlés. La première guerre a été limitée dans le temps et dans l'espace. Elle a eu lieu en 1838/1839. La seconde guerre a été beaucoup plus sérieuse et lourde de conséquences. Elle a duré plus de six ans, de 1862 à 1867, et Napoléon III y a engagé pas moins de 10% des effectifs de l'armée française (l'effectif maximal du corps expéditionnaire au Mexique s'est élevé à 35 270 hommes en décembre 1864). Cette guerre a fait au moins 50 000 morts, dont près de 7 000 du côté français, parmi lesquels près de 4 000 de maladie.

On peut estimer à près de 1 500 le nombre des Bretons qui ont péri au Mexique. Aucun monument ne rappelle leur souvenir. C'est pourquoi, à la fin du livre, je donne les noms de 300 d'entre eux avec leur dates et lieux de naissance et de mort.

Dans le livre, j'ai fait paraître de larges extraits de textes écrits par des Bretons qui ont participé à cette guerre absurde : Jean-Marie Déguignet bien sûr, mais aussi le capitaine Frélaut, futur général, qui était natif de Plœmeur, Émile de Keratry, qui quitta l'armée et devint un des plus farouches adversaires de la poursuite de cette guerre, et encore Léon Grimaud, médecin militaire, mais il y aurait sûrement d'autres témoignages à recueillir et à publier. Je souligne aussi le rôle capital que des Bretons ont joué dans cette aventure. Ainsi le général de Castagny, natif de Vannes, fut un des principaux généraux du corps expéditionnaire. Responsable du nord-ouest du Mexique, c'est lui qui repoussa l'armée de Benito Juarez vers le nord, jusqu'à la frontière des États-Unis... C'est un officier breton, Charles Loysel, de Rennes, qui fut le chef de cabinet militaire de l'empereur du Mexique, Maximilien. C'est encore un Breton, Alphonse Dano, de Vannes, qui fut le représentant de la France au Mexique pendant toute cette période, à la fois agent de Napoléon III et conseiller politique de l'infortuné Maximilien... Je relate beaucoup d'anecdotes concernant les uns et les autres... Mais il n'est pas possible de raconter tout le livre. Il faut le lire et je suis sûr que bien des lecteurs seront surpris par tout ce que des Bretons ont fait au Mexique.

ABP : Et aujourd'hui ?

Bernard Le Nail : Je pense qu'il reste encore énormément de choses à découvrir dans les archives à propos des Bretons qui ont été au Mexique dans les siècles passés, mais, évidemment, ce qui est le plus important, c'est le présent et l'avenir. En préparant ce livre, j'ai effectivement essayé d'en savoir plus sur les Bretons au Mexique aujourd'hui et je dois dire que j'ai été stupéfait de l'importance qu'ont prise depuis quelques années les relations entre la Bretagne et le Mexique dans les domaines les plus divers. Cela mérite d'être beaucoup mieux connu. J'y consacre la dernière parle du livre mais, si vous le voulez bien, nous pourrons en parler plus à fond lors d'un prochain entretien.

Ce qui est certain, c'est que l'on va beaucoup reparler du Mexique dans les mois et les années qui viennent. Le dimanche 18 octobre, la première course à la voile entrer la Bretagne et le Mexique, la «Solidaire du chocolat», prendra son départ de Saint-Nazaire à destination de Progreso dans le Yucatan et le départ de cette course sera précédé de nombreuses animations sur le thème du Mexique à Nantes et à Saint-Nazaire. L'an prochain, le Mexique célébrera à la fois le bicentenaire du début de son mouvement d'indépendance et le centenaire du début de sa révolution, et 2011 sera l'Année du Mexique en France. Déjà chez nous se prépare activement depuis plusieurs mois le programme Breizh-Mex d'échanges entre la Bretagne et le Mexique...

Philippe Argouarch


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