Régis Huiban et l'Ensemble des imaginaires "Waiting for tea time"

Chronique publié le 22/02/22 10:15 dans Musique par Gérard SIMON pour Gérard SIMON
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Jaquette du CD de Régis HUIBAN "Waiting for tea time"
Régis HUIBAN - Le second voyage d'Henri Bugais CD régis HUIBAN "Waiting for tea time"

Henri Bugais… Vous connaissez ? Pas plus que nous, sans doute !

Et pourtant, vous allez le suivre, comme un guide et, ainsi, au travers des étapes de son parcours, partiellement, le percevoir, puisque ce « fictionnaire » grand voyageur imprime de son mystérieux pas le cheminement artistique de ce nouvel enregistrement.

« Henri Bugais est un personnage inventé qui pourrait être l’un d’entre nous. Chacun peut voyager sans bouger de chez lui en écoutant de la musique. On pourrait se dire qu’il est inspiré de Leatherman (L’homme de cuir), dont l’intrigue me porte ! », précisait, dans Ouest-France, le musicien et compositeur breton Régis Huiban, auteur de ce nouvel opus, intitulé « Waiting for tea time - En attendant l’heure du thé », appellation pour laquelle, au sein du même « papier », l’artiste ajoute : « Quant au titre, Waiting for tea time, j’aime bien garder le mystère… ».

Faut-il l’interpréter comme une attente de jours meilleurs ?...

En contraste avec ce, décidément, énigmatique, contexte, nous n’avons que pour seule certitude : Leatherman, ce vagabond habillé de vêtements de cuir qu’il collectait, a bien vécu aux États-Unis, au XIXe siècle.

En effet, pendant une trentaine d’années, selon une périodicité de cinq semaines, ce personnage atypique suivait un parcours régulier le menant, à chaque fois, dans les mêmes villes.

Au cours de ce présent itinéraire musical, son quasi clone, Henri Bugais qui est, plus particulièrement, visible au cœur de trois plages, de trois voyages, nous apparaîtra donc, entre rêve et réalité, comme un personnage poétique qui semble se nourrir d’un imaginaire collectif favorisant la cohérence d’un projet mélodique et rythmique « multicolore », en solidifiant le lien, déjà bien existant, entre chanteurs bretons et instrumentistes venus de tous horizons.

La notion de création collective est, ici, majeure, puisque pour ce disque, Régis Huiban (accordéon accordina et voix), qui semble puiser son inspiration entre abstraction et réel, s’est entouré de l’Ensemble des imaginaires, une formation de cordes, bois, cuivres et percussions, constituant, de fait, un ensemble de musique de chambre contemporaine.

Celui-ci est, composé de Mathilde CHEVREL (violoncelle), Philippe GLOAGUEN (guitares), Jérôme KERIHUEL (percussions), Geoffroy TAMISIER (trompette) et Patrick TARDIVEL (contrebasse et ‘ngomi (1).

Au-delà de plusieurs opus parus sous le seul nom de Régis Huiban, « Waiting for tea time » est donc le premier album où son nom est associé à ce collectif.

Régis Huiban, on le connaît pour sa présence, entre bien d’autres formations, dans SKOLVAN, WIPIDOUP, avec Roland BECKER ou en duo, trio, quartet, avec des musiciens, dont certains d’entre eux constituent, par ailleurs, cet Ensemble des imaginaires.

Hormis pour deux thèmes traditionnels, les pièces proposées sont des compositions du musicien d’origine morbihannaise.

C’est seul, en sa maison du sud Finistère, que l’artiste a créé, à l’accordéon, mais aussi, parfois, au piano, la fondatrice et solide base des morceaux qui composent ce programme.

Apportant ses mélodies pour les répétitions, l’endroit devient vite un véritable laboratoire musical. Chaque musicien s’exprime largement et apporte son expérience technique, sa sensibilité et son esprit créatif pour enrichir les mélodies et créer ou peaufiner les arrangements.

Fruit d’une très belle et efficace collaboration, concrétisé et produit par la Compagnie des possibles, sise dans le Morbihan, l’album, paru fin novembre 2021, a été réalisé en février 2021, à la Salle Cap Caval de, à Penmarc’h (29) et en avril 2021, au studio du Millier à Beuzec-Cap-Sizun (29), sous la houlette de Julien Le Vu, pour la prise de son et le mixage.

Le mastering a été assuré par Olivier Renet, au Studio de la Barrique, à Peillac (56).

10 titres, dont 7 instrumentaux et 3 vocaux, vous proposent plus de 50 minutes de totale évasion, dans des univers très variés, parfois improbables, toujours esthétiques, où se conjuguent notes classiques, musique bretonne, musique du monde, liées par un vocabulaire commun… le jazz !

Pour donner, plus encore, de corps à ce triptyque stylistique, World - Trad - Jazz, Régis Huiban et l’Ensemble des imaginaires ont invité des musiciens que l’on croise, régulièrement, sur nos pages, dans des projets protéiformes que l’on peut qualifier, en quelque sorte, de néo-world celtique.

C’est ainsi que, Nolùen LE BUHÉ (chant breton), Vincent MASCART (saxophones), Sylvain BAROU (Duduk)( 2), Jeff ALLUIN (piano), Brian RUELLAN (bugle), Gildas LE BUHÉ (chant breton), interviennent sur une ou plusieurs pièces.

Le livret annexé au disque et illustré d’artistiques clichés griffés d’Eric LEGRET, Jean-Marc PIQUET et, principalement, de Serj PHILOUZE, contextualise les morceaux interprétés par des extraits littéraires et poétiques, d’Annie Proulx (Les Crimes de l’accordéon), de Stendhal (Vie de Henry Brulard), d’André Gide (Les nourritures terrestres), de Jack Kerouac (Sur la route), ou de l’écrivaine danoise, Siri Ranva Hjelm Jacobsen (Ile), voire des auteurs de Bande Dessinée, Michaël Le Galli et Arnaud Bétend, respectivement auteur et illustrateur de Batchalo. Le voyage, l’ailleurs, la quête de soi, de l’autre, parfois l’évocation d’instruments à vent, comme l’accordéon et l’orgue, y sont omniprésents.

Y figurent, aussi, les traductions, en français, des textes chantés en breton, par Nolùen LE BUHÉ ou par son frère, Gildas.

La lecture de ce substantiel document de 12 pages, par ailleurs, très utile aux non-locuteurs de la langue bretonne, pour la compréhension des titres chantés, prolonge l’escapade qui mène au rêve.

Nous aurions, par contre, souhaité une meilleure lisibilité, un bien plus franc contraste typographique de ces éléments textuels recherchés et, de ce fait, très intéressants.

Musicalement, sans exception, tous les titres de l’album sont fort attractifs de « L‘homme de cuir » à « Duhont àr ar manez - Là-bas sur la montagne ».

« L‘homme de cuir » ouvre l’opus en nous indiquant, avec sa prédominance de cuivres et de percussions sur lie d’accordéon, que le langage narratif sera jazz, free jazz et sera, ainsi, le principal véhicule utilisé pour notre voyage. Une ambiance sonore assez prospective qui, en son second « mouvement », sous-titré, « Er hantreour – Le vagabond », débouche sur la tradition écrite et chantée, en breton, par Gildas LE BUHÉ. Le texte précise, de fait, le thème de ce disque quasi-conceptuel.

« Kerhet e ran bamde pe

Kerhet e ran bamnoz

Doh ma vo me imur

Me zo er foetour-bro »

« Je marche chaque jour ou

Je marche chaque nuit

Selon mon humeur

Je suis le vagabond »

Quant au terme du voyage, ponctué de bruissements, frémissements, frottements de percussions, épousé par l’accordéon de Régis Huiban, puis soutenu par l’acrobatique et chaleureux bugle de Brian RUELLAN, c’est sur un thème traditionnel breton, déniché aux archives Dastum, que le chant de Nolùen LE BUHÉ nous narre l’histoire pastorale d’une bergère qui refuse de poursuivre son chant, pourtant fort apprécié du fils du roi, car elle s’inquiète de la mort de son frère, enrôlé dans l’armée.

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Duhont duhont àr ar manez, ez ur verjelenn

Berjerennig é c'houarn he deñved a sonas ur sonenn

Mabig ar roue é selaouet, hag he selaouet mat,

A dal ar fenestr uhelañ 'oa e palez e dad

Sonet, sonet, berjerennig, kar me ‘gav brav ho son

Ker lies gwerzh ma ho kelvan e ra joa ma c’halon

Ne pas, ne pas, denig yaouank, me ne sonin ket ken

Ur breur bihan ‘m eus en arme hag a ra din anken

Ouian ket eo beuzet er mor pe lazhet en arme …/…

Là-bas sur la montagne, il y a une bergère,

Une petite bergère qui garde ses moutons en chantant une chanson.

Le jeune fils du roi l'écoutait, l'écoutait attentivement depuis la plus

haute fenêtre du château de son père.

Chantez, chantez, petite bergère, car votre chanson me plaît

Et mon cœur se réjouit, chaque fois que je l’entends.

Non, jeune homme: je ne chanterai plus

Car j'ai un petit frère dans l'armée, et je m’inquiète pour lui

J’ignore s’il est noyé ou tué à la bataille …/…

La photo de Serj PHILOUZE qui illustre la jaquette et le Compact Disk, semble donner décor à cette séquence.

Nous connaissions cette même histoire, dans un breton quasi identique, mais sur la mélodie d’un hanter dro, grâce à Yann-Fañch KEMENER et Didier SQUIBAN qui l’avaient reprise, sous le titre « Duhont'ar ar Mane » en plage 4 du CD « Ile exil », paru en 1996.

Toujours est-il que, rien que par la présence ces deux chants qui « bornent » ce vaste vagabondage musical universel, la Bretagne ouverte sur le monde reste, pour le musicien, le point de départ et de retour à toute escapade sans frontière.

Nous nous garderons bien d’effeuiller toutes les belles pages du disque, mais nous avons été, plus particulièrement happés, en plage 5, par « Le tout premier voyage d’Henri Bugais », durant lequel le serein et classique piano de Jeff ALLUIN, « s’enjazze », peu à peu, en pleins et en déliés. Su-perbe !

En plage 7, « Le second voyage d’Henri Bugais », ancré dans les Monts d’Arée, nous permet d’écouter une gavotte, dans une coloration swing musette, en référence à l’accordéoniste, compositeur populaire finistérien Yves MENEZ (1905 - 1983), créateur, dans les années 30, du « style accordéon gavotte ».

A noter que, extraite de la collection de l’atelier de l’accordéon (Thierry BEUZE) et réalisée par Zoé BEST, le livret présente, en sa page 7, une photo de l’accordéon chromatique, « Ranco Guglielmo », ayant, fort probablement, appartenu, à Yves MENEZ.

Sur chacun de ses albums, Régis Huiban a pris pour principe de jouer l’une des compositions de cet « assembleur de styles »

Après ce côté festif, voici un moment, cette fois, suspendu, très émouvant, grâce, au bourdonnement de gajdi (3) insufflé dans le huk (3) par Gildas LE BUHÉ et au duduk arménien de Sylvain BAROU, joué tout en élégantes arabesques, sur lesquelles viennent, au deux tiers de la composition, se lier les plaintes de l’accordéon de Régis. Ce « Huk, initiatik » gravé en piste 8, au-delà d’une description possible de cette région montagneuse du Caucase, par sa teneur poignante, peut nous faire, également, penser au génocide arménien. Ma-gni-fique composition !

Dans un climat d’une énergique sérénité et un vaste imaginaire, nous avons, sincèrement apprécié cet enregistrement, cette ode au vagabondage poétique, cet(te) hymne au nomadisme onirique, nourri de musiques du monde, de traditionnels européens, d’airs plus locaux et portés par la liberté interprétative qu’offre le jazz, surtout lorsque celui-ci est laissé aux notes d’un brillant compositeur et aux véloces et créatives interventions d’aussi excellents musiciens.

Parce qu’il est tellement spécifique, original en son genre, cet album est « déroutant », dans tous les sens du terme et surtout dans la plus noble signification quasi- étymologique que l’on peut attribuer au mot, en ce sens qu’au travers d’une multitude de timbres, il vous fait « changer de route » pour appréhender de nouveaux alliages mélodiques et rythmiques entre tradition et modernité, entre l’enraciné et le contemporain, entre les musiques de notre région armoricaine et les musiques du monde.

Et pourtant, pour ces dernières, ce sillon est, largement, labouré par grand nombre d’artistes ou de groupes. Régis Huiban parvient, encore, à y poser un regard nouveau qui n’appartient qu’à lui.

Le musicien, très inspiré, ose nous proposer un voyage (des voyages) qui peut apparaître, ça et là, comme un « Voyage en terre inconnue », avec un brassage soigné et très contrôlé d’influences diverses qui permet la cohérence d’un projet mûri depuis 3 ans, tout en préservant le mystère de l’assemblage.

Diffusé par L’Autre Distribution, le CD « Waiting for tea time » de Régis Huiban est disponible en magasin et sur le site internet de la FNAC, sur celui d’Amazon et, en version dématérialisée, sur Qobuz, Spotify, Deezer, YouTube Music, Apple music…

Pour les amoureux du vinyle, une version 33 tours a été éditée.

Avec cette musique garantie sans frontière géographique, instrumentale, stylistique, emportés par de captivantes mélodies, à l’invitation de l’excellent Régis HUIBAN, reliez-vous à l’imaginaire, à son imaginaire… à votre imaginaire !

Tout comme pour nous, « Waiting for tea time » sera, aussi, sans doute aucun, votre tasse de thé !

Gérard Simon

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1 - Le n'goni est la guitare traditionnelle malienne.

2 - Le Duduk est un hautbois (instrument à anche double), arménien.

3 - Le Gadji est une cornemuse originaire de Slovaquie du Nord - Le huk en est le bourdon.

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Illustration sonore de la page : Régis Huiban- Le second voyage d'Henri Bugais - Extrait de 00:59.

D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine. (Voir site)

Les titres du CD «Waiting for tea time» :

01. L'homme de cuir - 06:23.

02. El niño valiente - 03:48.

03. Waiting for tea time - 05:23.

04. Parus Major - 02:40.

05. Le tout premier voyage d'Henri Bugais - 06:58.

06. Gouren - 07:19.

07. Le second voyage d'Henri Bugais - 03:04

08. Huk, initiatik - 04:35.

09. Huk, le troisième voyage d'Henri Bugais - 03:45.

10. Duhont àr ar manez - 07:03.

CD «Waiting for tea time»

Régis Huiban et l'Ensemble des imaginaires.

Parution : 12 novembre 2021.

Production : La Compagnie des Possibles. (Voir site)

Distribution : L'autre distribution. (Voir site)

Réf : CP0005.

Le site Internet de Régis Huiban : (Voir site)

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