A l'occasion des cinquante ans de l'Union démocratique bretonne, l'Institut d'études politiques de Rennes a organisé, les 4 et 5 avril 2013, un colloque international intitulé « L'UDB, un parti autonomiste dans un Etat unitaire ». Les communications présentées lors de ce colloque viennent d'être publiées dans un ouvrage paru aux Presses Universitaires de Rennes (1).
Plutôt qu'un compte-rendu du colloque et de l'ouvrage, on trouvera ci-dessous quelques réflexions sur les différences entre l'espace politique du régionalisme et l'espace politique du nationalisme.
Spécialiste du régionalisme et des partis régionalistes en Europe Occidentale, Lieven de Winter de l'Université catholique de Louvain, qui signe la préface de l'ouvrage, a mis en avant l'existence, à côté d'un ensemble de paradigmes attestés, d'une abondance d'approches théoriques et d'une pléthore de concepts, indicateurs de la faible scientificité actuelle du champ de recherches. Publications et thèses sont assez nombreuses malgré l'absence de revues scientifiques du domaine (2).
Cependant, il est plus inquiétant de constater l'absence de consensus quant à l'objet même des recherches. Doit-on parler de régionalisme ou de nationalisme ou (ce qui semble être à la mode mais qui n'est pas sans soulever des craintes de communautarisme) d'ethno-régionalisme ou d'ethno-nationalisme ? « Ethno-régionalisme » semble avoir la faveur de Lieven de Winter. Romain Pasquier privilégie, quant à lui, l'intitulé « régionalisme ». Mais, le concept d'ethno-nationalisme est préféré par d'autres chercheur(e)s comme Edina Szöcsik de l'ETH de Zurich et Walter Connor de la Boston University qui n'étaient pas présents à Rennes.
On peut s'interroger sur la pertinence pour la Bretagne du concept de régionalisme (ou d'ethno-régionalisme) en lieu et place du concept de nationalisme (ou d'ethno-nationalisme). Il y a en Bretagne une forte identité collective bretonne. Il y a chez les gens un fort attachement émotionnel et des composantes culturelles et linguistiques fortes. Or, la région, en France, c'est une construction administrative bureaucratique, résultat d'une dissection géographique, jeu de l'esprit de quelques hauts fonctionnaires. Prisonniers de la géographie administrative, après avoir disséqué la France en ses départements à noms de rivière, ces mêmes arithméticiens se sont mis à les agréger dans des ensembles régionaux humainement incohérents. Sans tenir compte de l'irréductible originalité d'ensembles territoriaux à la personnalité fondée historiquement et possédant souvent, par surcroît, une homogénéité géographique (3). La raison d'être de la régionalisation à la française est d'abord de favoriser le développement économique, les développements culturels et linguistiques étant secondaires. C'est l'une des premières retombées attendues de cette fameuse décentralisation en plusieurs actes, le dernier devant s'ouvrir en mai prochain.
Le concept de régionalisme, même ethnicisé, est de ce fait un concept sans saveur scientifique. Et d'ailleurs doit-on l'ethniciser ! On peut se poser la question quand on voit l'usage qui en est fait dans la région administrative des Pays de la Loire pour forger à coup de millions d'euros une identité « ligérienne », quand on voit la récupération communautariste qu'en fait la religion musulmane en Europe sous la houlette de T. Ramadan (4). Le régionalisme qui, on le voit, sert d'appui à ce genre de manipulation territoriale en France est aussi mobilisé en Europe pour associer les nouvelles identités religieuses européennes en quête de territoires. R. Pasquier a tenté pourtant dans sa communication de trouver un cadre d'analyse au régionalisme en France. Pour conclure que cette notion n'avait qu'un impact très limité.
La confusion terminologique évoquée ci-dessus peut s'expliquer par la volonté à ne pas reconnaître le nationalisme pour ce qui l'est. « La littérature en Europe de l'Ouest, comme ailleurs, a eu tendance à employer les termes de nation et d'Etat de façon interchangeable. Par extension, le nationalisme est utilisé (et est donc perçu) comme décrivant la loyauté envers l'Etat, et non au groupe national. La nécessité de trouver un autre terme que le terme nationalisme pour décrire la fidélité aux nations Alsacienne, Basque, Bretonne, Corse ou Flamande a conduit à utiliser un nombre de termes de substitution, comme par exemple, les loyautés infranationales, le pluralisme ethnique et bien sûr le régionalisme. Une telle terminologie peut naturellement entraver l'analyse. Décrire des mouvements nationaux comme étant des «régionalismes» est donc très pernicieux» (5).
(1) T. Kernalegenn, R. Pasquier- L'Union démocratique bretonne, un parti autonomiste dans un Etat unitaire – PUR, Collection Histoire, Rennes - 2014
(2) Il existe un intéressant projet archivistique pour la recherche comparative transnationale sur les mouvements nationaux en Europe , NISE (National movements & intermediary structures in Europe) (voir le site)
(3) R. Chartier – Science sociale et découpage régional – Actes de la recherche en sciences sociales – 35, 1980.
(4) Voir la conférence de Londres d'octobre 2008 sur « European identities : regionalism, nationalism and religion » - (voir le site)
(5) W. Connor – Ethnonationalism in the first world – in Ethnic conflict in the western world – Ed. M.J. Esman – Cornell university press, 1977
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Le nationalisme est lié à l'existence d'une nation qui dans sa définition élémentaire se rapporte à un peuple identifié, possédant généralement sa propre langue sur un territoire propre et reconnu par les autres.
Ce terme a été galvaudé, par la révolution française puis en Europe par le 19ème siècle, pour des raisons tant d'idéologie que de pouvoir : pour être le plus puissant militairement il fallait une population importante, d'où la prétention d'appeler «nation» l'ensemble des peuples vivant sous la gouvernance d'un état (le fameux état nation).
Cette vision grandement Républicaine, nous a valu les guerres napoléonienne, 1870, la 1GM et la 2GM, dans un crescendo toujours plus meurtrier pour les populations civiles.
L'Europe a largement fait le deuil de cette vision idéologique, reste l'état français qui est toujours bloqué à la fin du 18ème siècle : centralisme à tout va, 1 langue officielle, 1 peuple officiel, 1 frontière officielle. Elle consomme le nationalisme d'état à tout va : police nationale, assemblée nationale, marine nationale, et des francisques comme symbole douteux toujours plus visible.
L'expérience (indochine, algérie, afrique française) prouve qu'on ne peut sortir de ce système que par un conflit, violence contre violence, un acte perdant-perdant assumé.
Alors, en Bretagne, régionalisme ou nationalisme...?
La réponse n'est que trop évidente, mais tant que l'Etat français ne reviendra pas sur son idéologie «l'état fait l'identité et donc la nation», toute affirmation nationale non étatique française est un risque d'exclusion pour ceux qui l'évoque.
L'UDB a fait le choix d'être «acceptable» (régionaliste français) en noyant le désespoir de son choix dans une idéologie complémentaire (la gôôôche à la française... bête et méchante!)