Le bien commun est à la mode. Auparavant, il était de bon ton d’évoquer la liberté individuelle d’une part, la lutte des classes d’autre part. Dans les deux cas, le bien commun était considéré comme une fiction.
Aujourd'hui, plus rien ne peut être entrepris sans susciter des oppositions, au nom de la préservation d’un bien commun. Ce bien commun à préserver peut être une espèce en danger, la qualité de l’eau, le silence de la campagne, la protection sociale, le service public.
Qu’on me comprenne bien. Je suis très favorable à la préservation de toutes ces «conquêtes sociales». Je suis seulement étonné de constater à la fois la montée des égoïsmes, individuels ou collectifs, et la revendication du bien commun.
Le bien commun, c’est comme la diversité. Tout le monde est pour, mais on la supporte de moins en moins. La diversité politique, en Bretagne ou en France, est ressentie comme une agression insupportable. Celui qui ne pense pas comme-il-faut est forcément un salaud, un anti-républicain.
La diversité culturelle ou ethnique est devenue un fantasme. Elle est, soit niée, soit exagérée.
Est-ce le grand retour du romantisme ? Oui. À droite, le roman national. À gauche, le roman social.
Pour les uns, à droite, le mythe de la Gaule, qui n’est en rien la préfiguration de la France. Le mythe de Jeanne d’Arc qui, si elle avait existé dans un autre pays, aurait attiré l’incrédulité et les sarcasmes de tous les Français. Le mythe de la Révolution française, qui fut le modèle assumé par les totalitarismes du XXe siècle. Le mythe de la Résistance, qui n’a en réalité mobilisé qu’à peine 2 % de la population (voir le site) .
Le mythe de l’unité française fait rêver les nostalgiques, les sang-mêlés et les tard-venus.
Pour les autres, à gauche, le mythe de Voltaire, qui fut le capitaliste le plus immoral de son temps et accumula une des plus grandes fortunes de France. Le mythe de 1789, pourtant analysée comme une révolution typiquement bourgeoise par Marx. Le mythe de la révolte des Canuts, travailleurs indépendants (poujadistes ?) de la soie. Le mythe des grèves de 1936, qui mobilisaient les travailleurs du privé («esclaves» dirait Mélenchon, «illettrés» dirait Macron). Ils appuyaient des réformes assez consensuelles menées par un gouvernement qu’ils soutenaient.
Le mythe de la classe ouvrière fait rêver ceux qui n'en font pas partie.
J’observe que ceux qui étaient nos aînés, nos compagnons de route ou nos frères de combat se considèrent désormais comme des agences de notation. Si je dis un mot de travers sur la réunification (ne jamais dire «Bretagne» sans parler de Nantes !), le breton (surtout ne pas oublier le gallo !) ou Anne de Bretagne (une sainte !), je perds mon triple A.
Nous sommes partout confrontés à des gardiens de la norme. Les projets collectifs, qui rassemblent des gens de tous bords, ne sont plus à l’ordre du jour ; il faut être conforme à une identité et utiliser les bons codes de langage. Alors que le monde change à grande vitesse, le militantisme traditionnel est le refuge de vérités éternelles, figées dans un granit idéologique.
L’exemple le plus frappant de la bien-pensance est le «fascisme». Vos ancêtres ont eu des comportements douteux pendant la guerre et vous vous sentez coupables ? Vous voulez leur rédemption ? Alors, participez au remake d’une guerre achevée il y a plus de 70 ans ! Soyez antifascistes !
On traite de «fascistes» des attitudes qui n’ont rien à voir avec une nostalgie de 39-45. Les attitudes actuelles de repli ou de violence naissent de la mondialisation folle, du chômage de masse, des ivresses de la révolution culturelle et technologique, de la fin de l’État-Providence. Elles affectent les mouvements sociaux. À chacun ses djihadistes politiques, syndicaux, écologistes ou religieux.
Comme leurs prédécesseurs, ils prétendent eux aussi détenir une vérité éternelle. Ils veulent revenir aux sources de l’Islam, du communisme ou du nationalisme. Le mouvement breton a aussi ses fondamentalistes. Comment les traiter ? C’est de la paresse de les analyser avec un logiciel qui a une révolution de retard, quand ce n’est pas deux. Nous ne sommes pas des résistants gaullistes ou communistes, encore moins des sans-culottes !
Le modèle du révolutionnaire en retard d’une révolution est Gambetta. Il se prenait pour Robespierre. Il traitait de «Chouans» les Bretons de 1870, prolétarisés par la Révolution industrielle. Pendant la guerre de 1870, il se croyait en 1792. Il exerça, selon Rochefort, la dictature de l’incapacité. Son «Grand ministère», installé en 1881, n’a duré que 74 jours. Son progressisme décalé a été sanctionné par les députés de l’époque, qui ne voulaient pas sombrer dans le ridicule.
Les positions des autonomistes bretons des années 20 n’étaient plus valables dans les années 70. La guerre 39-45 était passée par là. Les positions des années 70 ne sont plus pertinentes aujourd'hui. La globalisation est passée par là.
La dernière manifestation de Bretagne Réunie a vu éclater le seul rassemblement consensuel. Une vingtaine de jeunes braillards a suffi. On peut s’en étonner ou s’en attrister, mais c’est ainsi.
Ce qui a éclaté du même coup, c’est la légitimité que les militants bretons traditionnels revendiquent. Ils n’auront plus d’estrade, les pauvres. Ils nous gonflaient avec le nombre d’élus ou d’associations qu’ils représentent. Entre rien et ces pourcentages minables, il n’y a que la différence entre l’insuffisance et l’incapacité.
Que les jeunes prennent les choses en main ! Ils ne doivent pas tenir compte des calculs des vieux apothicaires… Le problème est que les jeunes sont brouillons, immatures, irresponsables, ignorants des codes de la tradition d'après-guerre. Ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à la respectabilité du mouvement breton.
C’est triste. Ils gâchent tout.
Tant pis. Nous étions pareils à leur âge.
■Le mouvement breton est de toute façon éclaté et part dans toutes les directions, de sorte qu'il ne va nulle part, encore heureux s'il ne régresse pas.
Les jacobins aussi sont éclatés, mais ils alternent au pouvoir : république, empire, royauté, Vichy, droite, gauche, tout cela s'oppose et se combat, mais à chaque fois que l'un arrive au pouvoir, c'est toujours un jacobin, de sorte que le jacobinisme règne sans discontinuité depuis la révolution française.
Il n'est pourtant pas invincible. Il repose sur une idéologie. Pour abattre le jacobinisme, il faut déconstruire et abattre cette idéologie. C'est le but du «Tractatus-politico-philosophicus»
et du livre «La domination française» :
L'avenir appartient aux audacieux.
@ Jean-Pierre Le Mat :
« (…) Ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à la respectabilité du mouvement breton. (…) »
La Bretagne en crèverait-elle de cette respectabilité ?
« Respectabilité » aux yeux de qui ? De nos adversaires / ennemis ou de l’opinion bretonne ?
Cette dernière étant privée de sa propre Histoire et d’une presse quotidienne bretonne sur son territoire, parler en son nom n’est, certes, pas chose aisé. C’est un peu comme vouloir soigner un malade qui n’a pas conscience de l’être ou vouloir libérer un esclave qui n’a pas conscience de l’être et qui plus est, heureux et satisfait de sa condition…
Une question : La voie de la « respectabilité » concernant les revendications (2) bretonnes (réunification, politique linguistique, enseignement de notre Histoire à l’école, dévolution politique et autogestion fiscal etc.) ces 30 dernières années à t-elle aboutie à des résultats satisfaisant ?
@ Jack,
Merci pour votre excellent commentaire.
@ tous (dans le prolongement du commentaire de Jack),
En ce qui me concerne, je pense que tant que nous ne serons pas capables d'affirmer que nous sommes une nation (dans les 5 « départements » bretons), le plus naturellement du monde dans une conversation avec des membres de sa famille, des amis, des collègues, des inconnus dans la rue ou sur internet, la Bretagne pourra continuer de crever. C'est aussi concret et pragmatique que ça. L'avenir est sombre pour les Bretons même si je suis convaincu paradoxalement que la période n'a jamais été aussi favorable, eut égard à l’état catastrophique de la France, pour la promotion de l'opinion indépendantiste bretonne (3). Il faut «juste» que nous cessions d'être intellectuellement et idéologiquement émasculés, ennuquise', dévirilisé. Ce que ne sont pas les Corses…
Nous avons oublié que le monde fonctionne sur le rapport de force (4). Pendant des siècles c'est lui qui a garanti notre indépendance...
Pour l’illustrer, voici deux exemples issus de deux interviews de personnalités ayant de bonnes connaissances en géopolitique :
Pierre Verluise, Directeur de Diploweb.com, dans une interview faite par Buno Ripoche, fait cette remarque très pertinente : « L’Union Européenne n’a pas ou plus de culture de l’affrontement. Nous sommes tellement marqués par les deux Guerres mondiales. Dans son ADN, l’UE est un projet de paix. C’est tout à fait vertueux et respectable. IL Y A NÉANMOINS UN PROBLÈME : LE RESTE DU MONDE FONCTIONNE SUR LE RAPPORT DE FORCE. Nous sommes inhibés, les Russes n’ont aucune réticence à l’emploi de la force. (…) » (Source : O-F du lundi 3 mars 2014).
De même, le Général Martinez A. lors une interview récente dans laquelle il nous fait partager ses réflexions, tient le propos suivant :
« (…) Cela dit, indéniablement, la France n’est plus considérée comme une grande puissance mais comme une puissance moyenne parmi d’autres. Pourtant, elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ce qui lui confère un certain nombre d’obligations. Mais NOS ÉLITES POLITIQUES PEU PORTÉES SUR LA CULTURE MILITAIRE ET GÉOPOLITIQUE, N’ONT PAS COMPRIS QUE LES RELATIONS ENTRE LES ÉTATS, OU GROUPES D’ÉTATS, ET DONC LES RELATIONS INTERNATIONALES, SONT BASÉES SUR LES RAPPORTS DE FORCES. En effet, lorsqu’il veut défendre ses intérêts et peser sur les affaires du monde, ou du moins faire partie des pays que l’on respecte et qui peuvent avoir une influence sur le cours des événements, un grand pays dispose de deux outils indispensables, complémentaires et indissociables : la diplomatie et la force armée, avec des moyens correspondants à ses ambitions pour garantir ses intérêts dans une crise, en permettant à la première de conduire la négociation, accompagnée de la menace dans certains cas, et à la seconde d’exercer la pression, la gesticulation pendant la phase de négociation, voire l’emploi de la violence en cas d’échec. L’Union européenne ne dispose ni de l’une ni de l’autre. (…)» (Source : Général Martinez Antoine (interviewé par Cassen Pierre), « Il faut des mesures radicales de désislamisation de notre pays », www.ripostelaique.com , le 20 décembre 2015).
C’est clair, c’est net et c’est limpide. Et nous pourrions multiplier les exemples.
L’État français ne fait pas (ou n’a pas fait) exception et lui aussi ne reconnait que le rapport de force. En effet :
- Quel contexte préalable à permis en 1977, l’adoption de la Chartre culturelle de Bretagne ? - Quel contexte préalable à permis en 1982, l’adoption des lois du 2 mars et 30 juillet donnant un statut particulier à la Corse et l’élection de la première Assemblée de Corse élue au suffrage universel direct le 8 août ?
- Quel contexte préalable à permis en 1988 pour la Nouvelle-Calédonie, la signature des Accords de Matignon, le 26 juin 1988 ? Etc.
Plus nous serons timorés _ comme le sont généralement les Bretons, mouvement éphémère des Bonnets Rouges excepté, qui a beaucoup plus impressionné à Paris qu’on ne le pense _ plus les politiques français seront agressifs pour nous soumettre et nous « pacifier » (comme les Amérindiens, ce qui est déjà fait malheureusement) définitivement.
« Les Bretons, avaient horreur de la servitude comme ils voyaient qu’elle régnait en France. Ils aimaient mieux mourir en guerre que de se mettre, eux et leur pays, en servitude avec leurs descendants. »
Guillaume de Saint-André, conseiller du duc Jean IV de Bretagne et chroniqueur à la fin du XIVe siècle.
« J’observe en effet que tous les êtres humains obtiennent le respect de leurs droits en proportion de la force dont ils disposent. »
Démosthène (-384-322 av. notre ère).
Notes :
(1) Slogan étrange car évidemment Nantes est en Bretagne mais pas ADMINISTRATIVEMENT… J’explique pourquoi ce slogan est contre-productif dans mon commentaire du jeudi 17 mars 2016 ici Voir le site
(2) Ce terme « revendication » qui nous fait mendier à nos maîtres ce qui nous est dû légitimement, est effarant.
(3) Il n'est pas inintéressant de savoir qu'en Chine, l'idéogramme signifiant «crise» est quasi identique dans sa conception à celui signifiant «opportunité»...
(4) Il faut en finir DÉFINITIVEMENT avec cette croyance très ancrée chez les militants bretons qui consiste à croire que sous prétexte que notre cause est juste, notre «adversaire» (ou notre «ennemi», ce qui n'est pas la même chose) finira par l'admettre. L'emsav idéologiquement très à gauche (et intellectuellement très assimilé) est dans sa bulle de bisounours. Pour que la Bretagne ai un avenir, il faut un retour au réalisme (les micros trottoirs de la revue Bretons par exemple, remettent les pieds sur terre tout en témoignant de l'ampleur du lavage de cerveau accompli* et du travail à faire pour y remédier) et au pragmatisme. Pour la théorie et la stratégie, des individus possédant des connaissances pointues en polémologie et en psychologie sociale ne seront pas de trop....
* C'est à dire UN ETHNOCIDE dans sa phase ultime ou les aliénés sont devenus les victimes consentantes des aliénants. «L'aliénation, c'est être l'allié de ses propres fossoyeurs.» Milan Kundera.
« (…) Il [le jacobinisme] n'est pourtant pas invincible. Il repose sur une idéologie. Pour abattre le jacobinisme, il faut déconstruire et abattre cette idéologie. (…) »
Cher compatriote, permettez-moi d’y apporter ma petite contribution.
Voici ce que j’ai trouvé dans une interview de Serge Berstein (1), issue du site www.lesinrocks.com, 06/10/2014 :
« (…) POUR QU’IL Y AIT FASCISME, IL FAUT LA VOLONTÉ DE BOULVERSER COMPLÈTEMENT L’ORDRE ÉTABLI, VOULOIR CRÉER UN HOMME NOUVEAU. C’EST L’IDÉE FONDAMENTALE. IL FAUT POUR CELA EMPLOYER DES MÉTHODES TOTALITAIRES QUI PLIENT L’INDIVIDU À LA VOLONTÉ DES DIRIGEANTS DUDIT RÉGIME – la“statolâtrie” en Italie, la race en Allemagne – ET TOUT LE MONDE DOIT Y CROIRE. TOUT CE QUI EST EN DEHORS DOIT ÊTRE ÉLIMINÉ ET PAR CONSÉQUENT, IL S’AGIT D’UN RÉGIME DIRECTIF, POLICIER ET RÉPRESSIF, CONSTITUANT LE FASCISME. IL N’Y A PAS DE FASCISME SANS TOTALITARISME, SANS VOLONTÉ D’EXPANSION POUR AFFIRMER LA PRIMAUTÉ DE LA NATION SUR TOUTES LES AUTRES, PAR LA FORCE DES ARMES.
Le fascisme n’est pas le rêve des nationalistes français des années 1880 qui se réclament plutôt de la République, ni les conceptions de Sorel qui estime que la violence peut être l’accoucheuse d’un monde nouveau même si LA VIOLENCE EST EFFECTIVEMENT CONSUBSTANTIELLE AU FASCISME. L’un des éléments ne suffit pas à caractériser l’ensemble. (…) »
(Sources : Voir le site et repris par Voir le site ).
Ici tout y est.
La Révolution française et son fanatisme pour l’avènement de l’homme nouveau avec la Terreur dont le jacobinisme fut le vecteur ; l’égalitarisme révolutionnaire de la guillotine ; les massacres des Bretons et Vendéens ennemis de « l’intérieur » ; la guerre contre toute l’Europe ; le changement de calendrier faisant table rase du passé ; son produit dérivé, le premier Empire et les guerres napoléoniennes etc.
Le jacobinisme révolutionnaire fut un fascisme et aujourd’hui s’en revendiquer l’héritier pour une personnalité politique devrait être une honte, plus qu’une fierté, qui plus est si elle est bretonne.
Mes sincères salutations.
Note :
(1) Historien français du politique, spécialiste de la Troisième République. Docteur en lettres, il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Membre des conseils scientifiques de la Fondation Charles-de-Gaulle et de l'Institut François-Mitterrand, il est l'auteur de nombreux ouvrages.