J’ai reçu un certain nombre de sollicitations, plus ou moins polies, sur la loi travail. Les premières pour m’inciter ou me sommer de voter contre, les secondes pour me demander ou m’intimer l’ordre de voter la motion de censure portée par le centre et la droite. En fait, j’ai surtout reçu des messages types qui étaient peu argumentés. Je vais donc tenter une synthèse sur ce sujet important qui agite la société.
Il est vrai qu’il est difficile de s’y retrouver dans cette loi. Entre l’avant-projet de loi, et celle présentée à l’Assemblée nationale, de nombreux changements furent apportés. La dernière version elle-même, 54 articles et 222 pages, fut modifiée par l’intégration de plus de 450 amendements, essentiellement rédactionnels, mais pas seulement. Il faut noter que cette loi divise la gauche mais également le monde du travail puisque certains syndicats se sont dits satisfaits à la suite des négociations faites avec le Gouvernement.
Alors, j’ai relu la dernière mouture de la loi dans le détail.
On me parle de détricotage du Code du travail. Quels sont donc les thèmes concernés par la loi ? Il s’agit des heures supplémentaires, de leur calcul et de leur rémunération car la semaine de travail reste à 35h et non pas à 39h comme le propose la droite. Il s’agit aussi du travail de nuit et de sa rémunération, de certains congés et de certaines causes de licenciements. Les articles concernant les dommages et intérêts en cas de licenciement, ont quant à eux été supprimés.
Ce qui inquiète le plus, c’est « l’inversion des normes ».
Le terme est en lui-même relativement sibyllin. Je vais donc tenter de l’expliquer. Dans le droit du travail, il existe 3 niveaux. Le premier est du ressort de la loi, par exemple, le travail hebdomadaire est fixé à 35 h. Ensuite, vous avez des accords de branche ou conventions collectives qui donnent des droits supplémentaires. Enfin, il existe les accords d’entreprises qui sont plus avantageux encore.
Cette loi propose que les accords d’entreprise puissent s’écarter des accords de branche pour définir leur propre accord d’entreprise. Je cite les messages type reçus : « L’extension des accords de compétitivité va généraliser le chantage à l’emploi et permettre, par accord d’entreprise, de remettre en cause les clauses de notre contrat de travail (temps de travail, mobilité,..) » ou encore « le salarié se retrouvera sous la coupe du patron qui imposera ses vues ; le salarié sera obligé de plier ou de se faire licencier. » Nous sommes là dans la vision « lutte des classes », le salarié est le gentil et le patron le méchant, le voyou de l’affaire. Je conviens volontiers que des patrons voyous cela existe, mais ne généralisons pas.
La réalité est un peu plus complexe. J’ai été salarié pendant 24 ans mais j’ai aussi été président d’association et donc patron, avec 5 salariés pendant 10 ans. Pour avoir justement réalisé dans l’association dont j’étais président un accord d’annualisation du temps de travail, j’ai eu la chance d’avoir un accord de branche qui cadrait avec notre activité et qui fut signé sans aucun problème car il convenait parfaitement à la fois au Conseil d’administration et aux salariés. Par contre, si l’accord de branche n’avait pas été satisfaisant nous n’aurions pas pu faire d’accord. Je ne suis donc pas opposé par principe à l’accord d’entreprise même s’il s’écarte un peu de la convention collective, à partir du moment où l’accord est validé majoritairement dans l’entreprise. Ces accords sont validés si une majorité des salariés le vote ou par consultation des salariés à la demande de syndicats représentant 30 % des suffrages. Certains m’ont dit que ce type de validation équivalait à la Loi Le Chapelier qui interdisait les syndicats. Question d’appréciation sans doute, que je ne partage pas. Les salariés ne sont pas des imbéciles et peuvent, doivent même, avoir les conseils, entre autres, des syndicats. D’ailleurs les accords d’entreprises sont extrêmement nombreux et 80 % sont validés, même par les syndicats les plus revendicatifs.
Pour autant, le risque de tomber sur un patron indélicat existe. La solution aurait été à mon sens de faire valider cet accord par les représentants de la branche. Nous aurions évité à mon sens les problèmes et les logiques de dumping social de certains patrons.La solution choisie par le Gouvernement ne me semble pas à la hauteur de l’enjeu.Je regrette évidemment l’usage du 49-3, entre autre pour ce point. Nous avions d’ailleurs déposé des amendements dans ce sens. Je précise que le droit du travail reste le socle minimum et qu’aucun accord ne peut lui être opposé.
Autre précision car certaines interpellations n’étaient pas claires : le temps de travail n’est pas concerné par cette loi mais il s’agit de la rémunération des heures supplémentaires et des accords d’annualisation, ce qui n’est pas la durée légale du travail.
Sur les motifs de licenciement : je cite certains messages types reçus : « La réforme des licenciements économiques, qui permet à une entreprise de licencier sans réels problèmes économiques, va légaliser les licenciements boursiers », ou « une entreprise peut faire un plan social sans avoir de difficultés économiques». Le texte précise au contraire, selon la taille de l’entreprise, les difficultés et la durée au bout de laquelle les entreprises peuvent procéder à des licenciements économiques. De plus, l’amendement adopté du rapporteur (nous avions le même), oblige à prendre en compte la situation entière d’un groupe international et pas seulement sa branche française. Je pense que dans ce cas, il s’agit d’un progrès. Je ne vois donc pas en quoi cet article 30, le seul qui parle de licenciement, est de nature à légaliser les licenciements boursiers ?
Je remarque également que les aspects positifs de la loi sont passés sous silence. Pourtant, il en existe, comme le compte personnel d’activité qui a été considérablement remanié sous l’influence de différents partenaires. La garantie jeune; le droit à la déconnexion dans le cadre du télétravail et le renforcement de la lutte contre le travail détaché. Enfin les toutes petites entreprises auront un accompagnement particulier. Cela reste très modeste mais on ne peut en effet pas mettre sur le même plan un artisan où c’est souvent son épouse qui fait la comptabilité et qui gère le personnel, avec un grand groupe bardé d’avocats.
Sans doute cette loi fut-elle mal préparée mais elle a été profondément modifiée et de nombreux acteurs l’ont reconnu. De même, les syndicats réformistes l’ont validée. L’aurais-je votée ? Il est toujours facile après la bataille de le dire. Je suppose qu’aujourd’hui si l’on demande aux Français s’ils seraient dans la Résistance ou la collaboration, ils diraient tous : « la Résistance ». Pourtant à l’époque ils étaient très divisés sur le sujet. Je pense aussi que les débats et la discussion aurait éclairé ma lanterne.
C’est pourquoi le 49-3 ne plaît pas du tout, et je rejoins les nombreuses interpellations reçues sur un sentiment de déni de démocratie.
En effet, cet outil qui permet de faire adopter un texte de loi sur lequel le Gouvernement n’est pas sûr d’obtenir la majorité, est une entorse au principe de respect de la séparation des pouvoirs au détriment du pouvoir législatif représenté par le Parlement. Favorable à une véritable démocratie parlementaire, ce que n’est pas la France avec la Constitution de la Vè République de De Gaulle qui souhaitait un régime avec un pouvoir exécutif fort en la personne du Président de la République élu au suffrage universel, je ne peux que dénoncer l’usage et même l’existence de cet article.
J’en veux pour autant, tant au Gouvernement qu’à certains députés qui ont utilisés l’usage de cet article à des fins de posture politiciennes plutôt que de chercher où était l’intérêt commun. Il est vrai que nous sommes à un an de la présidentielle. En tout cas, le vote de notre amendement sur le contrôle des accords d’entreprises par les branches aurait été de nature à influencer mon vote.
Une question demeure : pourquoi n’ai-je pas voté la motion de censure ?
Sur le fond, je ne me suis retrouvé ni dans le fait que cette loi était un bon outil ni qu’elle était la catastrophe sociale que certains ont voulu nous faire croire depuis le début. Je pense qu’une partie de leur lutte dépasse largement la loi travail. Il s’agissait de faire tomber ce Gouvernement ? Pourquoi faire ? Pour quelle politique, avec quelle majorité et quelles réalités dans un monde dont nous connaissons fort bien les limites mais aussi les marges de manœuvres qui sont les nôtres? Faire tomber ce Gouvernement en votant avec la droite ? Il suffit de lire leur programme ultralibéral pour avoir une petite idée de ce qui nous attend : 39 heures de travail hebdomadaire ; 45 ans de cotisation ; retraite à 65 ans minimum ; suppression de l’ISF et baisse de l’impôt sur le revenu, surtout pour les riches. Cela continue de plus belle : 85 milliards d’économies sur les cotisations sociales ; les déficits repartiront à la hausse ; baisse de 300 000 fonctionnaires. Très peu pour moi.
Il n’est toutefois pas inutile de rappeler que les baisses d’impôts que nous avons réalisées sont pour les plus faibles. Par ailleurs, la lutte contre l’évasion fiscale nous a permis l’année dernière de récupérer 12 milliards. Ce sont plus de 70 mesures prises à la fois par la loi et par le Gouvernement sur cette dernière question. Personne ne le dit. Je constate aussi que l’assurance vieillesse est à l’équilibre et que le déficit de la sécurité sociale a été divisé par trois. Cela permet de montrer que ce Gouvernement qui n’a pas que des avantages, préserve notre système social et que des réformes ne sont plus nécessaires sur ces points.
Ce texte d’explication, dont vous excuserez la longueur, montre la difficulté de la définition de l’intérêt général et du travail de parlementaire au-delà des postures politiciennes. On a aussi compris que pour certains la campagne des présidentielles était ouverte et que pour d’autres, elle est le moyen d’exprimer leur opposition au monde et au pays dans lequel ils vivent. Pourtant, il n’est guère difficile de trouver pire ailleurs, hélas ! Il n’empêche, nous nous devons de continuer à agir en vue d’une amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens, impératif que je place au centre de mon mandat depuis le début de celui-ci, en espérant faire comprendre mon point de vue le plus clairement possible.
■