Au fil de son périple en France, Mortimer, un voyageur américain, croise de mystérieux personnages, de l’Indien des plaines dans le musée du Quai Branly à l'Ankoù pendant le festival interceltique à Lorient, et bien d’autres encore.
Chaque rencontre est une pièce d’un puzzle qui conduit le voyageur dans le paysage et dans l’histoire. Mortimer découvre un pays en crise identitaire, multiple et complexe, urbain et rural, profane et sacré...
Mortimer va se laisser guider et inspirer par une série de rencontres pittoresques.
A la suite d’un étrange accident, il va prendre des chemins de traverse et mettre ses pas dans ceux des grands marcheurs, Robert-Louis Stevenson entre autres, et pèlerins d’antan. Des événements inattendus jalonnent son périple. Un autre monde s’ouvre à lui. Mortimer acquiert la faculté de voir et de communiquer avec des êtres de l’au-delà. Le séjour touristique se transforme en un voyage initiatique et erratique.
Cette quête conduit Mortimer dans des lieux insoupçonnés. L’Américain apprend à regarder le monde autrement. Il découvre un univers subtil où tout est relié : mondes extérieurs et mondes intérieurs, visibles et invisibles, passé et présent.
Les coïncidences deviennent alors des évidences. Les échanges et les rencontres conduisent naturellement à la frontière des mondes. Les portes s’ouvrent. Le voyage se mue en un cheminement spirituel. Chaque épreuve rencontrée sur la route de Mortimer prend un sens et déclenche un enchaînement de circonstances rocambolesques, ce que les spécialistes de la physique quantique appellent le hasard objectif !
Finalement Mortimer découvre ce qu’il était venu chercher : un supplément d’âme. Il va pouvoir tenir la promesse qu’il a faite à un Indien mort.
Voilà un roman onirique, mystérieux et d'une rare érudition qui n’est pas sans accointance avec l’oeuvre d’Umberto Eco (Le Nom de la Rose, Le Pendule de Foucault, l’Île du jour d’avant) et celle de Henri Vincenot (Le Pape des escargots, La Billebaude, Les Étoiles de Compostelle).
Nous retrouvons l’érudition sauvage et joyeuse du mage bourguignon dans l’évocation des chapiteaux des églises qui jalonnent l’itinéraire de Mortimer, tandis que le brouillage spatio-temporel où il évolue rappelle le cryptage ésotérique du Nom de la Rose.
Avec une écriture ciselée, Tomàs Turner crée une ambiance magnétique au sein de laquelle il fait exploser les idées reçues. Au-delà du regard iconoclaste et éclectique qu’il porte sur la France, il réenchante un monde où tout devient possible ! À l’instar d’un magicien, c’est à un voyage dans un autre univers qu’il nous convie.
Le voyage de Mortimer, Tomàs Turner, éd. Balland, 30 mars 2017, 340 pages, 20 euros
Auteur du roman « Le voyage de Mortimer », extrait du dossier de presse.
L’auteur réinventerait-il le monde, serait-il déconnecté de notre réalité ?
Tomàs Turner : Pendant que j’écrivais ce roman, l’actualité me rappelait tragiquement un épisode de mon livre, que j’avais commencé à écrire avant les attentats islamiques de Paris et de Nice. Le monde extérieur est comme un écho que je perçois, et je m’en tiens à distance, le considérant comme une réalité fluctuante et non une certitude intangible. Le brouhaha médiatique brouille notre perception du dehors. L’intuition est le terreau de mon inspiration. À l’origine de ce roman : un homme peut-il fonder ses choix sur autre chose qu’un discours publicitaire ? Peut-il vivre ailleurs que dans trois ou quatre quartiers new-yorkais, londoniens ou parisiens ? Peut-il échapper à la ville, à la norme, au milieu ambiant, à tout ce qui compose la société moderne occidentale? La réponse appartient à mon personnage esseulé, abîmé et paumé. Mortimer va apprendre à marcher et à penser par lui-même en s’aventurant « innocemment » dans les paysages et les histoires de France.
Pourquoi employez-vous le pluriel ?
T. T. : Ah, oui, nous sommes en France ! Le pays de Descartes et de Napoléon ! Cela ne se fait pas d’utiliser le pluriel. La France serait une République une et indivisible, n’est-ce pas ? Or, je ne crois pas aux vérités révélées et inscrites dans le marbre. La France unique et éternelle n’existe pas plus que Old England, la Vieille Angleterre. Je me considère comme un spectateur. J’observe et j’essaie de comprendre ce qui se passe dans la rue et derrière les portes. La France est un pays paradoxal, qui se targue d’être le berceau de la Révolution. Peut-on dire que la Révolution française a été une rupture avec l’Ancien Régime ? La société française actuelle me paraît en effet calquée sur le fonctionnement de la Monarchie absolue. Les grands commis de l’État gouvernent et se cooptent sur l’échiquier politique depuis plus de deux siècles afin que perdure un système qui les sert, tandis que les petits commis manifestent et obtiennent les miettes du pouvoir. Quant à la majorité de la population, elle n’a pas d’existence et de justification autre que fiscale, exactement comme sous Louis XIV ! La France majoritaire et marginale abrite des gens ordinaires à qui le système impose ses lois. Cette soumission me semble apparente et fausse tout comme la misère culturelle dont on affuble ces « sans dents ». L’histoire du Dauphiné, ou celles de la Savoie, de la Saintonge, de la Bretagne ne commencent pas avec leurs annexions au royaume de France. L’avenir de ces territoires, la vie de ces peuples ne se décrètent pas par des ordonnances administratives. Il y a ce qui est publié dans les pages du journal officiel et ce qui s’écrit dans la marge. Pour un écrivain, ce décalage est une source bouillonnante et imprévisible d’où jaillit l’extraordinaire.
Ce décalage n’est-il pas une vue de l’esprit, une invention romanesque ?
T. T. : Le romancier a la faculté d’inventer, mais cette faculté serait vaine s’il se privait de son intuition. L’historien a besoin de documents et de méthode pour les interpréter tandis qu’un romancier peut pallier les trous de la mémoire, écrire les pages qui manquent et faire jouer la comédie par des personnages qu’il choisit sans en référer à aucune autorité.
Le personnage central de ce roman est un Américain moyen, pétri de préjugés, qui découvre un monde dont il ignore les codes. Comment aurait-il pu rencontrer des Français dans la vie quotidienne, si ce n’était en marchant vers eux, en abandonnant l’autoroute pour le chemin de terre ?
En quittant Denver, il aspire à devenir quelqu’un d’autre. Puis en quittant Paris, il entre en scène. Il devient acteur et il désapprend la leçon qu’il ânonne depuis sa naissance. C’est une aventure parmi les passants, les paysans, les moines, les exclus et les reclus, les fantômes et les sirènes.
L’idée m’a trotté dans la tête de décrire l’invraisemblable et l’extravagance. Mortimer est un protagoniste aux prises à la fois avec une société de surveillance, technicienne et intrusive, et avec une nature subtile et onirique ! Il est à la fois le comédien de sa vie, le scénariste et le réalisateur. C’est un héros autonome que le narcissisme et la folie guettent.
Ce roman donne parfois l’impression d’être un guide de voyage !
T. T. : Au fil de son périple, Mortimer croise des individus bizarres, atypiques, traverse des paysages déserts et arrive dans des lieux qui révèlent les richesses de la France dans le domaine des arts, de l’architecture ou encore de la gastronomie. J’ai voulu mettre en scène ce patrimoine français et plus encore lui donner un rôle primordial.
La nature est à mon avis agissante et entremetteuse. Il me fallait redonner de l’importance aux descriptions et aux impressions. Je me suis amusé à piloter Mortimer sur les chemins de France, à le perdre également. Je conçois que ce roman puisse déboussoler le lecteur, qui ne sait pas plus que Mortimer où il va. S’il a parfois l’impression de lire un guide de voyage, alors j’aurai en partie gagné mon pari en reconnectant la fiction et la réalité, en entraînant le lecteur dans une voie a priori erratique. Ce roman est un dépaysement, un voyage dans l’espace, dans la mémoire cachée du paysage et de ses habitants. Il y a un fil conducteur, une cohérence dans cette déambulation qui se distingue d’une divagation. Tout est lié, et il importe de prendre le temps pour relier les choses afin de leur donner un sens.
Ce voyage ne s’effectue donc pas par hasard...
T. T. : Le lecteur est sur le même plan que Mortimer. Il ne sait pas où il va. Il ne comprend pas tout ce qui se passe. Il n’entend pas, il ne voit pas. La seule chose que son thérapeute demande à Mortimer, c’est de se mettre en marche, c’est-à-dire de bouger son corps et son esprit. Une fois que le marcheur est sur le chemin, il ne se pose plus les mêmes questions et le point de vue change. Chaque détail devient signifiant. Une intrigue se révèle au fil des pages. Peu à peu, Mortimer va identifier les pièces d’un puzzle et un monde qui s’apparente à un labyrinthe. Il a la possibilité d’être une marionnette ou de jouer sa propre partition.
Il y a un passage dans le roman, lorsque Mortimer découvre les sculptures du porche de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, qui illustre la situation de Mortimer :
« En acceptant de t’aventurer hors de ton pays natal et loin de ta famille, en acceptant de te laisser guider par le destin, tu te libères des pesanteurs personnelles qui ont causé ton surmenage professionnel. Tu possèdes les capacités à te protéger et à protéger, à rencontrer des maîtres et des âmes bienveillantes. Cette épreuve te montre la voie à suivre. Tu te rends compte de ta liberté à agir et de l’existence d’un autre monde. Tu es dans la situation de l’acrobate ».
Cet épisode amorce le retournement de Mortimer, sa mutation d’observateur en acteur. La figure de l’acrobate est récurrente dans les sanctuaires chrétiens de la période romane. Il symbolise la conscience de l’homme qui change sa perception du monde. C’est ce que j’appelle le retournement. L’individu se réveille et se retire du monde, il s’extrait de la matière. Il n’a plus les pieds sur terre, mais au ciel ! Par sa posture, l’acrobate représenté dans les églises indique au pèlerin la voie spirituelle à suivre.
Mortimer s’inscrit, comme nous tous, dans un cycle. Il en prend enfin conscience. Il existe des correspondances dans la vie, ce que les sceptiques appelleront des coïncidences. S’éveiller, sortir du chaos où vit l’homme moderne, suppose préalablement un choc, une prise de conscience. Mortimer est ce cadre compressé, abruti, qui, en s’en allant, réintègre le monde tel qu’il est et non pas tel qu’il est vendu par les agences de marketing. Il prend conscience d’avoir agi par ignorance. Il apprend non pas en s’instruisant par hasard, mais, comme Hercule, en éprouvant, en affrontant des monstres et en rencontrant des enseigneurs que le destin a placés sur son chemin. Ce n’est pas par vacuité qu’il effectue ce voyage en France. Il ne sait pas encore que l’accident dans la forêt de Fontainebleau est la première d’une série d’événements qui va le conduire à affronter ses peurs et à surmonter ses certitudes, à privilégier l’intuition à la raison.
Voulez-vous dire qu’il faudrait décrypter votre roman sur le modèle des douze travaux d’Hercule ?
T. T. : Il y a effectivement des événements qui s’enchaînent et qui ne sont pas anodins. Qu’est-ce qu’un mythe, sinon un enseignement allégorique? Mortimer ne possède pas la culture savante pour interpréter les Furies de Tours comme une métamorphose de l’Hydre à cinq têtes que combat Hercule-Héraklès. Ce qui importe n’est pas d’identifier les symboles, mais de les comprendre.
Que signifie cette altercation publique ? D’une part que Mortimer doit accepter d’être ce qu’il est, d’autre part qu’il ne doit pas se soumettre, ce qui serait une forme de lâcheté, qu’il doit affronter cette colère. Pour faire face à la colère, il importe de contrôler ses émotions. Il y a tout au long du voyage des événements qui peuvent correspondre à des épreuves symboliques. On peut ainsi identifier le nettoyage des écuries d’Augias, dans le cycle d’Hercule, à l’épisode du rangement de la bergerie en Auvergne ou au bain de boue à La Bourboule qui sont assimilables à des rites de purification. Le douzième et dernier travail d’Hercule n’est pas de cueillir la pomme d’or au paradis, dans le jardin des Hespérides, mais de descendre aux Enfers afin de capturer son gardien aux trois têtes, le chien Cerbère. Mortimer n’échappe pas à cette confrontation avec la mort, laquelle ne peut pas représenter la fin de son voyage. Il s’apparente à un héros herculéen, en quête d’amour et d’immortalité.
Ces immersions dans des lieux magiques, ces baignades dans des eaux telluriques, ces songes prémonitoires et ces visions surnaturelles, ces plaisirs de la table évoquent tous, à différents degrés, la permanence du Sacré et le passage de Mortimer dans une autre réalité. Laquelle ? Certainement pas un monde rationaliste et matérialiste.
Le voyage de Mortimer est une invitation à penser et à cheminer en toute liberté, au-delà du Visible et du Possible. Car l’univers ne s’est jamais limité à un monde physique. Il n’est pas nécessaire de tout nommer pour préserver la part mystérieuse de l’Homme.
Le voyage de Mortimer est celui que toute personne peut s’autoriser une fois dans sa vie. Une fois suffit, irrémédiablement et divinement.
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