La gauche française n’est pas particulièrement bienveillante envers les nations de l’Hexagone. Robespierre, le saint patron de la gauche républicaine, ne voulait voir en France que des citoyens obéissants, avec tous le même cerveau. Le jacobinisme, cette curieuse alliance de caporalisme, de bureaucratie et de nivellement, est un héritage que la gauche française n’a jamais renié.
Pour comprendre l’ancrage à gauche du mouvement breton d’après-guerre, il faut observer les stratégies de libération nationale durant le XXème siècle.
L'exemple irlandais
Les Irlandais ont popularisé l’idée que les ennemis de nos ennemis sont des amis potentiels. Ils ont collaboré avec les Allemands pendant la première guerre mondiale. Sir Roger Casement a payé de sa vie cet engagement. Cette idée, à la fois simple et forte, a accompagné l’insurrection de 1916 et la guerre d’indépendance irlandaise.
De 1911 à 1945, les Bretons ont adopté la même stratégie. La revendication bretonne a sollicité les ennemis de la France. Quand Hitler est parvenu au pouvoir, l’Allemagne a propagé une idéologie nationale-socialiste. Le vernis idéologique a été adopté sans trop d’états d’âme, à partir de l’idée qu’une nation est beaucoup plus durable qu’une idéologie.
Les Bretons n’ont pas été les seuls à faire ce choix. Les radios de minorités nationales localisées à Berlin entre 1939 et 1944 ont émis en 54 langues différentes. On ne s’attendrait pas à trouver une telle tolérance à la diversité dans une dictature. La plupart des peuples en lutte contre l’impérialisme s’y retrouvent : irlandais, indiens, palestiniens, mais aussi slovaques, ukrainiens, tchétchènes.
Après la guerre 39-45, le monde a basculé dans un autre dualisme, qui s’est cru universel : droite contre gauche. D’un côté les Etats-Unis et de l’autre l’URSS. La guerre froide entre deux puissances était à la fois politique, économique, idéologique et culturelle. Le vernis idéologique qui recouvrait cet antagonisme était le libéralisme pour les uns, le communisme pour les autres.
Les peuples en phase de décolonisation ont naturellement considéré que l’ennemi de leur ennemi était un ami potentiel. Les guerres d’Algérie, puis celle d’Indochine, ont particulièrement frappé les jeunes militants bretons de l’époque. Par mimétisme, ils ont adopté l’idéologie liée aux guerres de libération de cette période. Ils ont adopté les codes de langage estampillés de «gauche». L’avantage était indéniable. Même si le grand frère soviétique ne s’intéressait pas à eux, les proximités idéologiques permettaient de faire partie d’une famille, de ne plus être seul. Les Bretons pouvaient se sentir proches des Algériens, des Palestiniens, des Basques, des Irlandais. Si les nationalistes bretons de l’époque se contentaient de cette fraternité de gauche, d’autres étaient plus pragmatiques. L’IRA achetait des armes en Tchécoslovaquie et les faisait transiter par la Lybie. Seuls de rares militants bretons, pas forcément convaincus par l’idéologie d’ailleurs, ont cherché à négocier des aides concrètes auprès des états communistes. Cette période est aussi une période de relèvement économique de la Bretagne, donc peu favorable à une guerre ouverte.
Le monde a changé avec la chute du communisme
Il est devenu multipolaire et la prospérité économique de l’Europe n’est plus assurée. Pourtant, les vieilles habitudes perdurent. Elles permettent toujours de ne pas se sentir isolés. Les Bretons utilisent les mêmes codes de langage que les Irlandais, les Basques ou les Palestiniens. Les militants bretons peuvent vivre les exploits ou les tragédies des autres, comme s'ils en étaient les héros.
Je comprends l’agacement des jeunes nationalistes devant des postures idéologiques qui leur semblent aujourd'hui absurdes. Mais il faut qu’ils comprennent. Être de droite, parce que la gauche ne fonctionne plus, n’est pas la solution. La droite ne fonctionne pas mieux. Le dualisme qui s’est construit pendant la guerre froide est inadapté à un monde multipolaire et incertain.
Le maintien des vieux schémas s’explique par le fait que l’idéologie, avec le temps, est devenue une identité. Une identité est plus stable. Elle est moins sensible à la raison. Ainsi vont aussi les identités françaises ou bretonnes. Ainsi va le monde dans lequel nous vivons depuis la fin de l’après-guerre : moins raisonnable et plus identitaire.
Jeunes nationalistes, vous ne changerez pas les vieux. Si vous voulez les remplacer, vous devez les comprendre.
Que faire, puisque le monde a changé ?
Rien qu’en France et en Europe, vous devez identifier nos alliés potentiels. Les uns comprennent l’importance de la diversité, les autres lui préfèrent l’uniformité, plus rassurante.
Au-delà de l’Europe, nous devons faire connaître les intérêts nationaux bretons aux diplomates de Russie, d’Iran, des pays arabes, des Etats-Unis, de Chine.
Nous devons comprendre les choix diplomatiques et leurs évolutions, en particulier ceux de la France. Ils ne se font plus dans le cadre d’une alternative, mais d’un positionnement. Faire des choix idéologiques n’a plus aucun sens. L’Iran, les pays arabes, la Chine sont-ils de droite ou de gauche ? Les choix bretons ne se feront plus, eux non plus, sous forme d’une alternative, mais d’un positionnement au sein d’un réseau de puissances internationales.
Il faut que le positionnement de la Bretagne soit différent de celui de la France. Il faut aussi que cette différence soit visible au niveau international par les décideurs économiques et par les décideurs politiques. Cela s’appelle une stratégie de différenciation. Les programmes politiques des partis bretons sont destinés à des électeurs. L’enjeu pour les jeunes nationalistes est de construire une stratégie, destinée non pas à des électeurs mais à des partenaires internationaux.
Jean Pierre LE MAT
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