Au cours de l'été, le président de la République et des membres de son gouvernement se sont saisi de plusieurs faits divers gravissimes pour stigmatiser les Roms, les gens du voyage et les « Français d'origine étrangère », dans une surenchère verbale qui ne peut que contribuer à dissoudre un peu plus le corps social et civique. Cette dérive, d'autant plus choquante et inquiétante qu'elle vient des plus hautes sphères de l'État, a conduit de nombreuses associations et organisations syndicales ou politiques à lancer un appel à manifester dans toute la France le 4 septembre. L'Union démocratique bretonne (UDB) s'est associée à cet appel et manifestera dans de nombreuses villes bretonnes.
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Par ailleurs, depuis quelques années la Bretagne a connu une évolution préoccupante sur le terrain de l'intolérance : insultes répétées à l'encontre de sportifs amateurs de couleur, dégradations de locaux professionnels tenus par des commerçants ou des artisans d'une origine autre qu'européenne. Si ces manifestations d'intolérance ne sont pas le propre de la Bretagne et restent ici encore l'exception, elles ne doivent pas être minorées par les responsables publics pour autant, tant il est vrai que l'ouverture à l'étranger ou à des expressions culturelles différentes qui a caractérisé les Bretons jusqu'à présent n'est pas une attitude innée. Cet esprit d'ouverture n'est pas tombé du ciel, il est le résultat à la fois :
- d'une histoire (le coût humain de deux guerres mondiales nées d'un nationalisme agressif ou d'une idéologie de haine, une émigration bretonne massive pour des raisons économiques vers Paris ou les Amériques jusqu'aux années 60) mais dont la mémoire tend à s'effacer,
- d'une géographie maritime (les ports sont par essence des lieux d'échanges) mais dont l'originalité tend à s'estomper avec la globalisation économique,
- et d'une reconquête culturelle tournée vers les autres (les artisans de l'emsav culturel de la seconde moitié du 20e siècle ont fondé leur démarche créatrice sur la redécouverte et la transmission du patrimoine breton autant que sur le dialogue interculturel) mais qui reste très fragile en l'absence de relais institutionnels forts comme peuvent en connaître l'Écosse, la Catalogne ou le Pays de Galles.
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Puisque l'école de la république, tout comme l'enseignement confessionnel d'ailleurs, s'obstine à refuser d'enseigner l'histoire, la géographie et la civilisation bretonnes, la transmission de cet esprit d'ouverture qui caractérise souvent les Bretons repose sur les seules épaules du mouvement associatif, lequel est mis en péril par la politique budgétaire de l'État.
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Au cours de mon mandat de vice-président aux Affaires européennes et internationales du Conseil régional, entre 2004 et 2010, j'ai eu l'opportunité de mesurer combien notre pays gagnerait à mettre en lumière et à valoriser le rôle des migrations dans une internationalisation solidaire et durable de la Bretagne. J'ai donc ouvert aux associations de migrants la coordination permanente des acteurs bretons de la solidarité internationale (ABCIS) que j'avais créée en 2005. J'ai consacré la 2e édition des biennales de la solidarité internationale en Bretagne, en 2007, au rôle des migrants dans les projets de solidarité internationale. J'ai aussi apporté le soutien financier et politique de la Région à la recherche-action conduite par la Maison internationale de Rennes (MIR) sur le rôle des immigrés dans le développement économique, social et civique de la Bretagne. Mais l'essentiel reste à faire car la contribution des migrants à la construction de la Bretagne d'aujourd'hui et son potentiel pour demain restent encore largement ignorés.
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Longtemps terre d'émigration, la Bretagne tend à devenir une terre d'immigration. Si le phénomène demeure encore assez marginal (les immigrés représentent 2% de la population bretonne), il s'amplifie et se développera inévitablement, sous l'effet notamment des conséquences du changement climatique (l'ONU prévoit 200 millions de réfugiés climatiques d'ici 2050) et des inégalités entre les peuples (la faim touche plus d'un milliard d'êtres humains). La Bretagne doit s'y préparer de façon positive et dynamique. Comment ? Il faut permettre aux migrants de devenir des relais efficaces entre leur pays d'origine et leur pays d'adoption, autrement dit les acteurs de terrain d'une internationalisation solidaire et durable de la Bretagne. Et cela vaut tant pour les migrants installés en Bretagne que pour les Bretons expatriés. J'ai d'ailleurs créé, en 2006, le premier dispositif de soutien aux initiatives des associations de Bretons expatriés, le dispositif « Bretons à travers le monde ».
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A l'occasion des récentes élections régionales j'avais convaincu Europe Écologie Bretagne d'intégrer dans son programme la proposition de créer « une Conférence régionale des migrations ouverte aux associations de migrants installés en Bretagne, aux associations de Bretons expatriés, à des représentants des collectivités bretonnes et à des membres du CESR (devenu CESER) ». Avec pour mission de « favoriser l'insertion civique, sociale et professionnelle des migrants en Bretagne et de tirer parti de l'expérience des Bretons expatriés pour une internationalisation durable et solidaire de la Bretagne » (1). La création d'un tel lieu de rencontres, d'échanges et de construction partagée d'une Bretagne capable de maîtriser son internationalisation est plus que jamais nécessaire.
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La Bretagne a souvent fait la preuve de ses capacités d'innovation. Aujourd'hui elle doit montrer le chemin vers une approche positive du fait migratoire. Au carrefour des civilisations celte, latine et anglo-saxonne, la Bretagne est une terre de syncrétisme depuis près de deux millénaires. Elle a fondé l'originalité de son identité culturelle sur ce syncrétisme. Elle n'a donc aucune raison de craindre de nouveaux apports extérieurs qui lui permettront d'enrichir sa personnalité collective. Encore faut-il que les responsables publics bretons assurent le lien entre le passé et l'avenir, mettent ce lien en évidence aux yeux du plus grand nombre et construisent des ponts entre pays d'origine et pays d'adoption des migrants. Les élus bretons doivent assumer pleinement cette responsabilité.
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(1) Le contrat écologiste pour la Bretagne – Ar gevrat ekologel evit Breizh, pages 118 et 119.
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Christian Guyonvarc'h, conseiller régional de Bretagne>/b>, Kuzulier-rannvro Breizh, ancien vice-président du Conseil régional
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