L’aide à la fin de vie est un sujet extrêmement clivant dans la société française, mais également dans nombreuses autres sociétés démocratiques. Ne serait-ce que dans les termes employés pour évoquer cette problématique, puisqu’il faut sans cesse user de périphrase afin de ne pas heurter.
Cette question de l’aide à mourir, une manière plus crue mais plus réaliste de présenter la question, ramène en effet à des questions philosophiques autant qu’éthiques. Mais surtout elle nous rappelle, chacun d’entre nous, aux peurs les plus intimes qui nous ont accompagné toute notre vie. Un face-à-face avec la fin de vie, ou fin d’un cycle pour certains, qui ne peut être réglé paradoxalement seul, puisque les problèmes liés à ce passage impliquent de nombreux acteurs extérieurs dans un dilemme pourtant on ne peut plus intime. Ainsi, à l’échelle de la société, et d’un point de vue pratique et légal à l’échelle d’un pays, la question ne peut être réglée sans une participation du corps médical, des instances légiférantes, mais aussi, même si c’est en filigrane, des autorités spirituelles et religieuses.
On notera que cette question du droit à mourir dans la dignité, car c’est bien de cela qu’il s’agit au final, n’a commencé à se poser de manière récurrente que depuis les années 1970. C’est pourquoi l’humanité d’une manière générale est si peu préparée face à ce questionnement. Le choix de maintenir en vie ne s’offrait en effet pas avant que n’existe tous les équipements que l’on trouve principalement dans les unités de soins intensifs : respirateurs artificiels, appareils de dialyse, sans parler des défibrillateurs et d’une manière générale de toutes les avancées récentes de la médecine, qui font que le passage de vie à trépas n’est absolument plus défini par les mêmes limites intangibles que l’on connaissait jusqu’à il y a encore une quarantaine d’année. La limite entre vie et mort étant devenue beaucoup moins abrupte avec l’arrivée de tous ces progrès.
D’où un retard à rattraper pour nos sociétés qui pose énormément de problèmes. Et particulièrement en France où le poids de l’église ou de toute autre instance religieuse, dans un pays prétendument laïque, est bien plus prompt à clore le débat que dans des pays d’éducation protestante par exemple.
Le retard pris par la France est également lié au fait que cette aide à la fin de vie ne peut se faire sans le concours de substances, telles des opiacés entre autres, et que là aussi, l’extrême conservatisme français s’en est trouvé incommodé. La question s’est de fait posée également de savoir si les traitements contre la douleur permettaient éventuellement de prolonger la vie, ou s’ils contribuaient à l’abréger. Là encore, plutôt que de débattre sans cesse, n’est-il pas temps que le désir du patient soit réellement pris en compte ?
Devant les avancées dans le domaine, conquises dans les pays voisins, mais surtout grâce à une démarche focalisée sur la souffrance des patients en fin de vie, une approche beaucoup moins clivante, des avancées décisives ont été validées dans certaines, et en Belgique en particulier. Un pays où l’euthanasie est légalisée sous certaines conditions, une loi que le médecin belge Yves de Locht ramène à l’idée de «donner le dernier soin». Ce médecin belge, qui pratique l’euthanasie outre-quiévrain, ajoute même, dans un ouvrage poignant intitulé «Docteur, rendez-moi la liberté», que «bien mourir, c’est encore un peu bien vivre».
Cette approche libérée de la mort implique que le médecin soit capable de se mettre vraiment à la place du malade, et de faire abstraction de ses propres appréhensions et de toute clause de conscience. Ce qui revient, comme le dit encore le Docteur de Locht, à : donner la possibilité à chacun d’imprimer une signification personnelle à sa fin de vie.
En France, il a été pour l’instant impossible d’aborder le débat sous cet angle responsabilisant pour le patient, et au final fondamentalement humaniste, et le rapprochement récent du président Macron avec les autorités ecclésiastiques ne devrait pas permettre d’accélérer l’évolution de la situation.
Un état des lieux que le député français Olivier Falorni analyse comme reflétant à la fois « la suffisance et l’insuffisance » de la France dans le domaine.
Cependant, dans l’Hexagone, personne ne pouvait durablement s’opposer à limier la douleur et la souffrance d’un mourant : les législateurs français ont fini par faire évoluer le cadre législatif sur la question. D’abord en 1986 avec la circulaire Laroque, puis surtout en 1999, quand sous l’impulsion des recommandations du Conseil de l’Europe, la France s’est dotée d’une loi ouvrant accès à de soins palliatifs pour toute personne le nécessitant. De novelles avancées ont ensuite été déterminantes dans l’Hexagone, avec les lois Leonetti de 2005, et Leonetti-Claeys de 2016. Mais tout cela reste en deçà, en termes de responsabilisation du patient, de ce qui est pratiqué dans d’autres pays européens, ou certains états constitutifs des USA.
À chaque fois, il a fallu à Paris de longs débats, et surtout éviter le mot qui fâche, à savoir le terme euthanasie. La loi de 2005 a cependant permis des avancées, trouvant un équilibre entre le laisser mourir, et le faire mourir, qui reste proscrit. Ainsi la notion d’obstination déraisonnable dans les traitements est mentionnée, et condamnée par cette loi. Mais surtout la loi donne aux médecins le droit de juger de ce qui devient déraisonnable ou pas, et ils se trouvent ainsi protégés juridiquement, lors de la prise de ces décision extrêmement lourdes de conséquences, et relevant de l’intime conviction. Cette loi introduit également une avancée très importante à savoir le concept « des directives anticipées » (à condition qu’elles aient été formulées moins de 3 ans avant la perte de conscience), qui permettent au patient de guider la conduite à tenir de la part des équipes médicales lorsque lui-même ne sera plus en état de s’exprimer.
Après les promesses de François Hollande lors de sa campagne présidentielle de faire évoluer les choses pour amener la France dans les standards européens, la révision de la loi Leonetti est engagée en 2015. Mais le débat est houleux et le Sénat détricote le travail des députés, qui rejetteront les amendements des sénateurs. Ce qui montre bien que le sujet reste extrêmement sensible dans le pays.
La nouvelle loi (Leonetti Clayes) est cependant votée et promulguée, en deuxième lecture, début 2016 et elle rend les directives anticipées contraignantes (elles ne l’étaient pas jusque-là, l’avis du médecin restant auparavant prioritaire sur celui du patient) et ouvre le droit à une sédation « terminale » sur demande.
La loi ne faisant en cela que valider une pratique déjà courante depuis des années, à savoir que de nombreux services hospitaliers accélérent la fin de vie des malades en souffrance à l’aide de différentes substances. Et en se passant de l’avis des malades souvent, patients qui en général ne peuvent plus s’exprimer du fait de leur état. Il est donc plus que temps de dire les choses clairement, et de regarder les problèmes en face.
Ce sujet extrêmement sensible pour la société française montre également l’énorme décalage qui règne ici entre l’esprit et la lettre dans de nombreux domaines. Souvent parce que les personnes en charge n’arrivent à nommer correctement les choses. Sans préjuger de ce que voudrait la société bretonne plus tard, et en imaginant qu’un referendum local sur le sujet pourrait faire sens, après des débats ouverts, il faut savoir que l’euthanasie active est légale en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Colombie. Et que le suicide assisté est lui légal en Suisse et dans cinq états américains. Aucun de ces régimes n’est un régime totalitaire, il faut donc que toutes ces questions soient posées, sans jamais oublier que c’est la volonté du patient qui doit primer, et que chaque cas est un cas particulier. Mais on comprend que partout, cette question du rapport à la mort assistée, en dit beaucoup sur la capacité d’écoute et d’empathie d’une société.
Nous pensons à Breizh Europa que ce sujet éminemment clivant et fondamental à la fois, doit pour les Bretonnes et les Bretons être débattu à l’échelle de la Bretagne, tant il est lié aux aspirations intimes d’un peuple, quand ce débat fait référence à un rapport à la mort qui n’est absolument pas le même dans nos vieux pays celtiques que dans d’autres régions du monde. On remarquera également que la rapport à la mort est très différent entre le monde asiatique (Japon, Inde ou pays bouddhistes) et la plupart des pays à religion monothéiste.
La Bretagne est par ailleurs une des seules régions d’Europe où la mort a été personnifiée, l’Ankou, dans de nombreux contes et légendes, et ainsi personnifiée, voire apprivoisée d’une certaine manière. C’est un sujet de société qui nous appartient donc pleinement, et nous voulons à Breizh Europa que ce débat s’installe ici sans détour, et souhaitons que la Bretagne rejoigne les pays qui donnent la plus grande liberté à chacun dans ce choix à la fois fondamental et éminemment intime. En rappelant que ce débat doit essentiellement ramener au droit à mourir dans la dignité, d’une manière qui évite autant que possible la souffrance du patient, physique et morale.
Rappelons sur ce point que de nombreux patients français atteints de la maladie de Charcot par exemple, doivent aujourd’hui entreprendre des voyages très douloureux et compliqués vers la Belgique ou la Suisse pour faire entendre leur souffrance et entrevoir une délivrance. Ce n’est tout simplement plus admissible.
Loïc Denis, docteur en droit H.D.R., membre du Conseil de Breizh Europa
Frank Darcel, président de Breizh Europa
■Elle inclut l'aide médicale à mourir. Cette Loi a plus 45 mois de vie. Environ 4 000 finissant de la vie en ont bénéficié.
La France devrait s'inspirer de l'expérience réussie du Québec.
Soins de fin de vie est une terminologie inclusive et rassembleuse.