Pierre-Jakez Hélias: l'homme et l'oeuvre

Agenda publié le 14/08/14 15:52 dans Littérature par Luc Lefranc pour Luc Lefranc
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"Bretonne", acrylique de Nathalie Romengas. Contact: nath@atelierdelacite.com

«Pierre-Jakez Hélias : l'homme et l'œ½uvre», par Pascal Rannou

Publié en 1997 aux éditions An Here par Martial Ménard, «Inventaire d'un héritage» était la première étude approfondie jamais consacrée à l'œ½uvre de Pierre-Jakez Hélias. Pascal Rannou y décrivait avec les outils du spécialiste de l'analyse littéraire le théâtre, la poésie, les romans et les chroniques de l'auteur du «Cheval d'orgueil». On n'a souvent retenu de cet ouvrage que les reproches émis par P. Rannou envers un écrivain peut-être trop vite proclamé défenseur de la langue et de la culture bretonnes. En effet, Hélias a formé de 1945 à 1975 à l'École normale de Quimper des instituteurs dont la mission était d'alphabétiser les populations en français tout en leur retirant de la bouche le goût de leur langue maternelle : Xavier Grall et Jean Rohou ont, eux aussi, signalé ce «paradoxe». Des millions que «Le Cheval d'orgueil» lui a rapportés, il n'a pas donné un centime à Diwan, ni jamais participé à une manifestation en faveur de la langue bretonne ou de la réunification.

Pascal Rannou montre donc que, malgré une œ½uvre abondante et généreuse dans laquelle il a souvent en effet magnifié la matière de Bretagne, P.-J. Hélias s'est résigné à la disparition de sa langue maternelle, bien qu'il ait parfaitement compris qui était responsable de son déclin. Aussi cet ouvrage montre-t-il la « déchirure secrète » de P.-J. Hélias. D'apparence placide, l'auteur bigouden dissimulait une angoisse existentielle liée à la perte identitaire, et à son incapacité à dénoncer les bourreaux de sa culture, auxquels il pensait devoir sa réussite. Pour lui comme pour Jean Rohou et bien d'autres, le français ne pouvait être que la seule langue de promotion sociale possible : forcément, c'était le seul choix possible. Interdite à l'école, dans l'administration, aux concours, le breton s'est cantonné à un usage rural et familial parce qu'il n'a pas eu le droit de s'exprimer ailleurs, ses locuteurs étant punis ou humiliés dès qu'il l'utilisaient à l'école ou dans l'administration. Or, on peut tout dire et écrire en breton, et on aurait pu et dû promouvoir les bretonnants de jadis en les alphabétisant dans les deux langues : cela, P.-J. Hélias l'a pourtant compris, mais il a accepté avec fatalisme un ethnocide qui, dans le fond, le désespérait. Sa poésie puissante et tourmentée reflète cette situation en porte-à-faux d'homme entre deux époques, souffrant de quitter le passé et résigné à vivre un présent qui ne le satisfaisait pas. Mais le roman «L'Herbe d'or» et la «valeur refuge» (Xavier Grall) du conte lui permettent d'accéder à une sérénité communicative.

Cet essai se veut, en effet, l'inventaire non manichéen d'une oeœuvre complexe où s'expriment les abîmes d'un écrivain souvent attachant, parfois agaçant, toujours incontournable. L'auteur l'a revu et augmenté en tenant compte des ouvrages parus depuis 1997 sur P.-J. Hélias. Une préface stimulante rappelle les attaques virulentes dont P. Rannou a été l'objet de la part des admirateurs d'Hélias. Ceux-ci, en effet, ne tolèrent pas qu'on égratigne leur idole, notamment quand on rappelle qu'il n'a jamais été agrégé des lettres en 1945, comme on le lit sur les jaquettes de presque tous ses livres, mais que ce titre lui a été offert en 1974, sans qu'il en passe les épreuves, ce qui est moins glorieux. Il ne s'agit pas là de «calomnie» (Jean Malaurie), mais de dire une vérité en rectifiant un mensonge. L'agrégation était pour Hélias le bâton de maréchal qui ponctuait une relation d'ordre mystique ente lui et l'Éducation nationale à qui il disait tout devoir. On ne peut critiquer Hélias sans être aussitôt mis dans la catégorie des « nationalistes » par ses zélateurs, ce qui discrédite d'emblée à leurs yeux tout argument visant à nuancer les nombreux éloges que Rannou fait à l'écrivain. Il rappelle aussi la teneur de la polémique qui l'opposa à X. Grall, en faisant la part des choses : Grall a injustement qualifié Hélias de bourgeois tranquille, même s'il a souligné avec pertinence certaines de ses ambiguïtés.

Aux éditions Les montagnes Noires, Gourin, diffusion Coop-Breizh,168 p., 14,90¤

Né en 1958, Pascal Rannou est agrégé des lettres modernes et docteur en littérature. Sa thèse «De Corbière à Tristan» (2006) a obtenu le prix Henri de Régnier de l'Académie française. Spécialiste de littérature bretonne, il a publié «Guillevic : du poème au menhir» (1991) et «Visages de Tristan Corbière» (1995) ainsi que de nombreux articles sur Julien Gracq, Villiers de l'Isle-Adam, Michel Mohrt... et trois romans : «Sentinelles de la mémoire» (1999), «Un Tyran du bocage» (2002), «Noire, la neige» (2008). Ce dernier ouvrage est inspiré de la vie de la chanteuse et trompettiste Valaida Snow, à qui la collection BDjazz a ensuite consacré un volume. Pascal Rannou collabore à la revue «Hopala »! et est un des principaux contributeurs de «L'Encyclopédie de la Bretagne», parue aux éditions Dumane.


Vos commentaires :
Marie-Josée Christien
Vendredi 22 novembre 2024
J'avais lu et apprécié «Inventaire d'un héritage», et écrit quelques articles sur l'ouvrage, qui m'avait à l'époque valu quelques inimitiés.
Des années plus tard, son étude reste pertinente et exhaustive. Sa réédition est bienvenue. Les esprits sont-ils à présent plus éclairés pour la recevoir ? Espérons-le.

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