Un des initiateurs de la protection de l’environnement, l’ingénieur forestier américain Aldo Leopold (1887-1948), nous recommande de «penser comme une montagne». En Bretagne, nous avons des monts sacrés. J’habite non loin de l’un d’entre eux, le Menez Hom. Un nationaliste breton à la manière d’Aldo Leopold devrait inciter à penser comme le Menez Hom, ou plutôt à penser en phase avec toutes les composantes de notre environnement. Vivre ensemble, ce n’est pas seulement gérer des interactions humaines, fussent-elles socialement justes et équilibrés. En Bretagne, il serait bon de penser comme une péninsule.
En voulant suivre Aldo Leopold, me suis-je égaré ? Non, je rejoins plutôt des précurseurs. Une personnalité légale a été attribuée en 2017 au Mont Taranaki, ainsi qu’au fleuve Whanganui, par l’État de Nouvelle-Zélande. Des éléments naturels sont ainsi reconnus comme faisant partie de la société néo-zélandaise, à moins que ce ne soit l’inverse. Bien des défenseurs de la nature – pas tous – sont proches des animistes, même s’ils n’osent se l’avouer.
«Objets inanimés, avez-vous donc une âme, qui s’attache à notre âme, et la force d’aimer ?» Ainsi s’interrogeait Alphonse de Lamartine. Le poète n’est pas le seul à éprouver ce type de complicité. On entend tous les jours un adulte dire qu’il «aime» sa maison, ou un enfant qu’il «aime» son ours en peluche. J’aime la Bretagne. Pour beaucoup d’entre nous, aimer est un sujet important, et même central. Des expériences troublantes ont été faites sur l’influence que nous pouvons avoir sur les objets de nos amours, y compris sur les objets inanimés.
En 1927, Joseph Banks Rhine (1895-1980), professeur à l’université de Durham en Caroline du Nord (USA), décide d’utiliser des méthodes statistiques pour tester la capacité de certains joueurs à biaiser le hasard dans un lancer de dés. Le test culmine à plus de 600 000 lancers ! Le désir du joueur a dévié le résultat attendu, avec une probabilité assez forte. Le test suscita de l’intérêt dans la communauté scientifique et Rhine fut rejoint par le physicien Helmut Schmidt (1). Celui-ci fabriqua un générateur aléatoire de nombres. La machine était très élaborée pour un résultat simplissime. Elle s’approchait du pur hasard pour générer, soit le nombre 1, soit le nombre 2. En dehors de la présence d’un observateur humain «désirant», l’appareil enregistrait un nombre à peu près égal de 1 et de 2. Entre 1967 et 1977, Schmidt a utilisé son générateur pour tester l’influence de l’homme sur le compteur. Les résultats ont été supérieurs à la simple attente du hasard, dont la probabilité était de 1 sur 10 000. Cela signifie que la probabilité que l’homme ait influencé la machine est extrêmement forte.
Ces expériences rejoignent celles de Rémy Chauvin (2) qui a expérimenté l’influence mentale de l’homme sur la désintégration radioactive de l’uranium.
A Nantes, pour sa thèse de doctorat (année 1985-1986), René Peoc'h (3) réalise des expérimentations qui viennent s’ajouter aux observations des pionniers de la psychophysique. Il utilise le tychoscope, un petit robot sur roulettes dont les trajets sont aléatoires. Il constate que la machine, qui peut rouler n’importe où dans l’espace qui lui est réservé, s’approche plus souvent que les lois du hasard ne l’ont prévu de celui qui cherche à l’attirer mentalement. L’expérience est réalisée avec plusieurs personnes, selon un protocole très strict.
René Peoc’h va plus loin dans son expérience de psychokinèse. Il prend comme expérimentateur des poussins, auxquels il a fixé une empreinte. Le tychoscope est le premier objet animé qu’ils voient en sortant de l’œuf ; les poussins considèrent alors le petit robot comme leur mère, ou du moins se comportent comme tel avec lui. Là encore, le petit robot est dévié d’un trajet aléatoire lorsque la cage des poussins est placée sur un des côtés de son parcours. Il est venu 2,5 fois plus souvent dans la moitié la plus proche des poussins. Lorsque le tychoscope est isolé, ou lorsque des poussins non conditionnés sont placés dans la cage près du petit robot, ses parcours sont aléatoires.
Les expériences de psychophysique que nous venons de passer en revue impliquent une influence du désir de l’être vivant, y compris sur la matière inerte. Cela signifie que l’environnement, qu’il soit vivant ou inanimé, qu’il soit naturel ou artificiel, ne peut être complètement séparé du sujet désirant. Nos désirs de Bretagne influent sur l'écosystème breton, péninsulaire, naturel et humain. Cette conclusion rejoint la réfutation qu’a élaborée Erwin Schrödinger de la séparation entre le sujet qui observe et l’objet observé. Le physicien quantique, inventeur du concept de fonction d’onde, nous chuchote à l’oreille : "Ce sont les mêmes éléments qui composent l’esprit et le monde. (…) Le sujet et l’objet ne font qu’un. On ne peut pas dire que la barrière entre eux a été brisée par suite d’une pratique récente dans les sciences physiques, puisque cette barrière n’existe pas »(4).
Nous avons pris l’habitude de faire du nationalisme breton ou de l’écologisme une revendication. Il faut interpeller, il faut s’indigner, il faut manifester. Le militant se doit de cocher les bonnes cases du militantisme politiquement correct. Profitons du bizarre été 2020, entre confinement, télétravail et relocalisation vacancière, pour réinitialiser notre rapport à l’écosystème breton. Aimez la Bretagne peut avoir des conséquences heureuses, quoique imprévisibles.
Jean Pierre Le Mat
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(1) Helmut Schmidt, Mental influence on random events, New Scientist and Science Journal, London, June 24, 1971
(2) Rémy Chauvin, Quand l’irrationnel rejoint la science, Ed Hachette, 1980
(3) La thèse de René Peoc’h est disponible sur internet :
(4) Erwin Schrödinger, « L’esprit et la matière », Ed Seuil, 2011
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