Patrimoine breton en péril (3/6) : manoirs et immeubles remarquables

Enquete publié le 3/02/12 20:01 dans Patrimoine par Louis Bouveron pour Louis Bouveron
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Le château de Boishue près Nantes au début du XXe siècle.
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L'immeuble KODAK à Quimper.

Nous continuons cette semaine le cycle consacré aux patrimoines breton en péril, menacés de démolition, de délaissement ou d'altération, par un article dédié aux châteaux, manoirs et immeubles remarquables.

Étant donné le nombre de monuments, nous ne pouvons faire l'inventaire exhaustif de tous les éléments de patrimoine de cette catégorie menacés et nous nous limiterons donc à quelques cas des plus représentatifs à travers la Bretagne.

Les châteaux et les manoirs : un bon niveau de protection malgré des cas flagrants de délaissement ou de ruine

Un patrimoine diversifié : du manoir médiéval à la maison de plaisance du XIXe

La noblesse bretonne était nombreuse et une paroisse pouvait compter trente ou quarante seigneuries dans son étendue. Cette noblesse, très concentrée, était aussi majoritairement assez pauvre, et de nombreux nobles ne se distinguaient du peuple que par la possession d'un manoir, d'une fuie ou d'un colombier, de droits banaux ou de garenne, du droit de chasse. Douze mille manoirs auraient été recensés à travers les âges (voir le site) de nombreux ont depuis été détruits ou transformés en ferme, certains subsistent de façon alterée comme celui de Bâtine en CAMPBON (Loire-Atlantique).

La littérature bretonne et étrangère du XIXe et du XXe siècle a suffisamment encensé le manoir breton pour qu'il soit aujourd'hui apprécié des acheteurs et des amoureux du patrimoine. Le meilleur allié du château ou du manoir en Bretagne est, comme ailleurs et peut-être plus qu'ailleurs, l'immobilier et l'image du manoir breton en granit avec des hortensias bleus abrités contre ses murs. C'est pourquoi l'essentiel de ce patrimoine est plutôt en bon état.

Des châteaux sont construits au XVIIIe et sont les résidences de campagne des marchands enrichis des villes portuaires. Ce sont notamment les « folies » nantaises sur les bords de Loire et de l'Erdre et les malouinières dans le pays de Saint-Malo. Certaines de ces constructions sont classées et ce sont leurs abords qui doivent être protégés contre l'expansion des villes et des projets industriels.

Les châteaux reconstruits au XIXe siècle sont un autre pan de ce patrimoine : assez nombreux, surtout en Loire-Atlantique, dans le Morbihan et près des côtes, ils sont parfois construits sur le site de châteaux qu'ils remplacent, notamment suite aux destructions révolutionnaires. Ainsi, le logis de la Violaye en FAY dont la chapelle est en mauvais état (voir notre article) est du XIXe. A CESSON-SEVIGNÉ, le château de la Vallée est reconstruit au XIXe, de même que plusieurs autres dans la commune. Souvent même, sur le site d'anciens châteaux, seule la chapelle, parfois les communs, sont antérieurs au XIXe et permettent de se faire une idée de l'ancien château. C'est le cas par exemple à Casso (commune de PONTCHATEAU) ou encore à Coislin (CAMPBON) dont le logis actuel, construit en 1892, remplace un précédent construit vers 1820 (voir le site) sur le site de l'ancien château. Seuls restent de cette époque quelques parties des murs médiévaux de la motte et des communs du XVIIe siècle, datés 1633.

Enfin, il y a des créations nouvelles au XIXe, petits châteaux ou maisons de plaisances, villas d'industriels enrichis, de bourgeois des villes, ces constructions du XIXe s'implantent parfois auprès de châteaux anciens ou dans des sites paysagers intéressants. Ainsi, les beaux châteaux de Carheil en PLESSÉ ou de Pont-Piétin en BLAIN qui ont disparu mais ont laissé tous deux leurs chapelles (voir le site) Ces châteaux du XIXe construits assez rapidement connaissent l'évolution technique de l'époque : ils peuvent parfois bien résister aux outrages du temps, mais sont souvent, comme l'ensemble de la construction au XIXe, fragiles. En Haute-Bretagne, nombreux sont les manoirs à avoir été construits avec des matériaux étrangers à la Bretagne et à la rudesse de son climat, comme le tuffeau d'Anjou, gélif et peu résistant à l'humidité.

Résister à l'extension de l'urbanisation et protéger les abords contre les projets industriels

Un élément de patrimoine nécessite souvent deux protections : une concernent le monument lui-même, le bâti, et l'autre qui vise à sauvegarder ses abords, à empêcher par exemple la modification des perspectives qui s'ouvrent sur lui ou que la vue sur un manoir du XVIe soit complètement masquée par des silos ou une usine.

C'est pourtant ce qu'il risque d'arriver au manoir de Kermorus, à SAINT-POL de LEON dans le Finistère. Le bulletin Sites et Monuments, publié par la SPPEF rapporte en 2010 que le manoir était menacé par un ensemble d'habitations qui devait être créé à sa place. Il semble y avoir échappé, mais le bel édifice et sa cheminée octogonale du XVIe sont maintenant face à un projet de regroupement des stations de la SICA qui risque d'altérer sensiblement ses abords (voir le site) Le groupe horticole projette d'édifier des bâtiments jusqu'à 16 mètres de haut. Un dossier de demande de protection a été déposé à la DRAC et une association de défense a été créée (voir le site) et un recours en référé devant le tribunal administratif de Rennes déposé contre le permis de construire accordé au groupe SICA.

A Saint-Malo, la construction d'une zone d'activités de soixante-dix hectares a été réalisée sans l'accord de l'Architecte des Bâtiments de France en ce qui concerne la protection des abords de la jolie malouinière du XVIIIe du Puits-Sauvage, au hameau de Saint-Etienne. Un bulletin de la SPPEF de 2011 indique que des procès-verbaux d'infraction ont été établis sur place en janvier 2011. La malouinière est aussi concernée par un projet d'implantation de centrale photovoltaïque à ciel ouvert, à côté de cette même zone industrielle, dont la construction est assurée par l'agglomération de Saint-Malo.

A DONGES, où s'arrêtera l'expansion de TOTAL ?

Enfin, le sujet le plus épineux est constitué par l'expansion de TOTAL à Donges. La raffinerie s'est installée au lendemain de la 2e guerre mondiale à la place du bourg, reconstruit à l'intérieur des terres. Elle s'est étendue au fil des années, en avalant autour d'elle tous les hameaux dont seules les vieilles cartes rappellent les noms. Disparus les Sables, les Faux ou encore la Vacherie. La raffinerie s'étend maintenant sur plusieurs kilomètres de long, d'ouest en est, et des bassins de stockage ont remplacé les vertes prairies de jadis.

Un nouveau plan de prévention des risques industriels (PPRI) a été établi et touche la moitié de la population dongeoise, bourg y compris. La commune concentre en effet la raffinerie Total, le dépôt SFDM et le centre d'emplisseur de GPL Antar. Les maisons situées au plus près des sites industriels dangereux doivent être soit délaissées, soit connaître de lourds travaux de mise en sécurité aux frais des propriétaires. D'où leur courroux ainsi que celui des dongeois qui ne veulent ni payer ni partir et se demandent si une fois encore, la raffinerie n'expulsera pas le bourg et ne passera pas la RD 100, qui sert actuellement de limite presque sacrée aux installations de la raffinerie. Les Domaines rachètent les maisons dans le périmètre de délaissement, à la Hélardière à l'ouest et à Bonne Nouvelle à l'est, ou encore à la Hennetière. Au Haut Gas, face à la raffinerie, de lourds travaux de renforcement sont imposés… et tout cela pour une bonne cause, à savoir éviter des morts en cas de sinistre « type AZF » à la raffinerie. Mais à quel prix ?

Pris dans le périmètre de délaissement, une chapelle, celle de Bonne Nouvelle, et plusieurs manoirs, notamment celui de la Hélardière (voir le site) dont la propriétaire se bat contre sa mise en délaissement, après l'avoir entièrement restauré. Le château de Martigné, au nord de la RD 100, côté bourg, a été racheté par Total après des années de délaissement. Le manoir de la Rovenais est lui aussi tombé aux mains de Total, comme celui de Condé qui lui a été rasé. (voir le site) Une pétition circule actuellement pour que le préfet signe enfin l'arrêté de classement du manoir.

Des ruines romantiques et des restaurations à petits moyens

Un autre problème pour les châteaux est lié à leur restauration. Il y a deux cas de figure. Le premier se résume ainsi : un château est détruit suite à un sinistre. Ses propriétaires n'ont pas les moyens. Donc il est laissé se dégrader et se transforme peu à peu en ruine romantique. Il y a des cas du genre un peu partout, par exemple le château de Boishue au nord de NANTES qui a brûlé dans les années 1990 et se dégrade rapidement, après avoir été laissé en l'état. Idem, le château de la Verrie à Saint-Père en Retz, dont seuls les murs restent, et forment une belle ruine. Ou encore le château de Briord à Port-saint-Père, qui se dégrade peu à peu à cause du manque d'entretien.

Parfois, une collectivité peut être propriétaire d'un château et ne pas faire les travaux sur les bâtiments par manque de ressources ou parce qu'ils ne sont pas importants. Ainsi, les intérieurs du château du Grand Blottereau à NANTES se dégradent, alors que les jardins sont très utiles à la collectivité et au lycée horticole voisin.

Bâtiments remarquables : le recensement et la valorisation du patrimoine du XXe à la peine

Le patrimoine des XIXe et XXe siècle commence à être connu et recensé grâce aux efforts des sociétés historiques locales ou des services de l'Inventaire dépendant des administrations de la culture et du patrimoine (DRAC).En revanche, si le patrimoine du XIXe est reconnu à sa juste valeur en Bretagne, notamment parce qu'il est parfois le vestige le plus ancien du passé, d'avant les bombardements (Saint-Nazaire, Brest, Lorient), on ne peut pas en dire autant du patrimoine du XXe siècle.

Tous les maires et décideurs de Bretagne n'ont tout de même pas, au sujet de l'architecture du XXe, l'opinion de certains maires du centre de la France (voir le site) Cependant, les égards qui sont faits à la Cité Radieuse de Rezé ou au Hangar à Bananes peuvent être étendus à l'art des Seiz Breur, dont le nazairien René-Yves CRESTON a présidé l'association (voir le site) Le mouvement comptait plusieurs architectes, notamment Olier Mordrelle, qui réalisa en 1933 l'immeuble Ty Kodak aux n°33-35 boulevard Amiral de Kerguelen à QUIMPER. Ce témoin précieux du mouvement des Seiz Breur a été classé Monument Historique il y a quelques années. En face, l'ancien garage Renault aussi construit par Mordrelle abrite la correspondance locale d'Ouest-France. A SAINT-NAZAIRE l'école de musique est un ancien pavillon de l'hôpital, construit en 1938-39 par l'architecte André BATILLAT des Seiz Breur. A NANTES la protection des immeubles de la période Art Déco (1920-1940) s'est améliorée depuis les années 1970. A l'époque, une longue querelle avait opposé partisans et opposants de la démolition d'un garage Citroën typique de l'architecture industrielle de l'époque, garage qui avait fini par être détruit. L'immeuble de la Caisse Générale rue Racine (voir le site) est témoin de cette époque. La seule menace qui pèse sur ce genre d'immeubles est la méconnaissance de leur importance dans l'histoire architecturale. Pour des villas en revanche, la densification urbaine que connaissent nos grandes villes est une réelle menace. C'est ainsi que des villas nantaises du début du siècle, typiques de l'Art Nouveau, sont maintenant de plus en plus souvent détruites au nord et au nord-ouest de la ville pour être remplacées par des immeubles. La villa Jeannette, sur le boulevard des Anglais, est pour l'instant tranquille (voir le site) ; la Côte connait le même problème avec l'urbanisation littorale, par exemple à La Baule où presque tout ce qui pouvait être construit l'a été; mais la municipalité actuelle fait de rééls efforts pour sauvegarder la richesse architecturale de la ville. A Saint-Nazaire en revanche, l'urbanisation menace la cohérence architecturale du bâti sur le front de me et la Corniche, où se trouvent de nombreuses maisons rescapées des bombardements.

Autre patrimoine injustement méconnu : les églises polyvalentes. Ce sont des églises qui pouvaient se transformer en gymnase, en salle de concert ou de sport, afin de faire de l'édifice un lieu central dans la vie du quartier, adapté aux évolutions de la société. La ville de Nantes compte trois églises construites dans ce mouvement, Saint-Michel de la Croix Bonneau et Saint-Etienne de Bellevue, toutes deux converties en église «classique» et Saint-Luc de Carcouët (1967), que l'architecte Pierre PINSARD a doté de cloisons mobiles pour permettre les séparations et transformations de l'église, salle au cœur du quartier. Cette église, dont les mécanismes des cloisons auraient besoin de travaux, a reçu le label Patrimoine du XXe siècle.

Nous appelons nos lecteurs à nous signaler tout élément de patrimoine qui est menacé de destruction ou d'altération de ses abords.


La semaine prochaine

Un article consacré aux patrimoines du génie civil en péril : le patrimoine ferroviaire, le patrimoine industriel et les phares et balises.


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