La commission mixte paritaire mise en place pour finaliser la LPM2014-2019 s'est réunie le mercredi 15 juillet et a approuvé le texte proposé par la CMP. Une large place est faite aux futures associations professionnelles pour les militaires en activité et on ne peut que s'en féliciter. Les militaires qui servent la France dans des conditions difficiles, ne seront plus considérés comme des citoyens de second niveau. Un autre volet est consacré à la mise en place d'un service civique pour tenter de neutraliser l'oisiveté des jeunes des banlieues.
En revanche la commission a oublié d'évoquer le sort dramatique des vétérans des essais nucléaires qui souffrent de pathologies radio-induites suite à leur participation aux expérimentations réalisées entre 1960 et 1996 au Sahara puis en Polynésie française. Cet oubli qui témoigne de l'ingratitude de la représentation nationale est d'autant plus insupportable que le Premier ministre Manuel Valls s'était engagé devant les parlementaires Polynésiens, à assouplir le dispositif Morin lors de la discussion de la LPM2014-2019 devant le Sénat.
Après des décennies d'omerta et de secret défense, le ministre Hervé Morin a déposé un projet de loi intitulé Reconnaissance et indemnisation des victimes des essais nucléaires courant 2009. Le texte très clair reconnaissait le droit à indemnisation pour toute victime civile ou militaire remplissant les 3 conditions suivantes : souffrir d'une ou plusieurs pathologies reconnues radio-induites (21 cancers), avoir séjourné dans une zone géographique réputée contaminée pendant une période déterminée. Cette version claire, nette et précise a malheureusement été faussée par une précision perverse qui permet au CIVEN, sur la base d'éléments statistiques, d'estimer que le risque encouru par la victime peut être considéré comme négligeable (article 4 alinéa 2) Chacun connaît le résultat de cette disposition : depuis 5 ans, le CIVEN rejette régulièrement 98% des dossiers recevables qui lui sont présentés par les victimes. La notion de risque négligeable fonctionne à merveille comme un redoutable couperet de guillotine. Le 10 décembre 2009, sur le plateau de LCP animé par Céline Bittner, j'ai mis en garde contre les probables effets dévastateurs de cette disposition. Marisol Touraine a approuvé reprochant à son collègue, Philippe Folliot (Nouveau Centre) de reprendre d'une main ce qu'il a accordé de l'autre.
La conséquence directe, c'est que les victimes ne sont pas indemnisées alors que le budget de 10 millions est reconduit chaque année. Le seul recours possible doit se faire devant le tribunal administratif du domicile sans l'aide juridictionnelle totale et automatique. Seuls les demandeurs fortunés ou disposant d'une assurance défense et recours bien rédigée peuvent se lancer dans une procédure longue et pénible avec en prime, l'acharnement du ministère de la défense qui fait systématiquement appel de toute décision favorable rendue au profit de la victime. Certains dossiers traînent depuis 3 ou 4 ans en attendant le mémoire du ministère ou l'avis du Conseil d'Etat (juge de cassation)
Selon nos rares informations, le CIVEN, opaque qui fonctionne en vase clos, a examiné 912 dossiers et accordé 17 modestes indemnités allant de 16 000 euros à 115 000 euros. Depuis 2 ans c'est le silence radio sur toute la ligne ; Marisol Touraine en charge du dossier en remplacement de JY Le Drian, n'a pas désigné de collaborateur responsable de ce dossier forcément considéré comme mineur. Les associations représentatives sont dans le noir absolu en attendant la prochaine réunion de la commission consultative de suivi annoncée pour septembre 2015.
Sollicités par les victimes et veuves , nos honorables parlementaires savent trouver les formules pour gagner du temps. Combien de courriers encourageants ai-je reçus ? A vous tirer les larmes des yeux. Le bilan reste négatif à 100% Combien de questions écrites posées au ministre de la défense avec en retour, sous 3 ou 4 mois, les mêmes réponses insignifiantes. Du baratin inutile pour se donner bonne conscience et leurrer les victimes.
Un excellent rapport du Sénat (n° 856) a été rendu par Corinne Bouchoux et Jean-claude Lenoir. Un travail fouillé qui met en lumière l'inefficacité de la loi Morin. Hélas ! il manque la seule solution de nature à « débloquer » le processus d'indemnisation. Les rédacteurs n'ont pas été au bout de la réflexion et de l'engagement pour proposer la suppression du risque négligeable. Certes, les nombreuses interventions médiatisées de Corinne Bouchoux furent pertinentes mais sans effet sur la cause de la stérilité de la loi.
Début janvier 2014, David Assouline a organisé un joli débat au Sénat avec des interventions toutes favorables à la juste indemnisation des victimes, dont celle remarquable d'Aline Archimbault. Et puis plus rien. La routine a repris son cours.
En fin 2013, dans le cadre du débat sur la LPM2014-2019 initiale, de modestes améliorations ont été apportées à la loi Morin. On se réfèrera à l'article 53 de la loi 2013-1168 du 18 décembre 2013 qui élève le CIVEN au rang d'autorité administrative indépendante comme le Médiateur ou la CNIL. Denis Prieur a remplacé Marie Eve Aubin. Un médecin désigné par 3 associations siègera désormais au CIVEN ; aucune nouvelle du professeur Abraham Behar.
Le CIVEN devra justifier sa décision auprès de la victime… en usant et abusant du risque négligeable. Le Civen rendra un rapport d'activité annuel mais la date limite n'a pas été précisée. On attend avec impatience le rapport pour 2014.
Depuis 5 ans, les associations dites représentatives, dont certaines ne sont que des amicales de bons camarades, ont tenu leur place bien discrètement au sein de la commission consultative de suivi. L'ANVVEN a été la seule à avoir le courage de contester la méthodologie du CIVEN (logiciel NIOSH-IREP) allant même jusqu'à lancer une opération de boycott envers le CIVEN. Le Ministre Longuet s'agaça de cette initiative inopportune et Le Drian estima que cela risquait de pénaliser les victimes. Le médecin chef Poirrier et le colonel Moritz m'ont fait de sévères remontrances sur le perron du ministère. Les autres associations ont laissé faire en baissant les yeux. C'est vrai qu'elles ont sans doute des objectifs différents : octroi d'une subvention pour ériger un monument du souvenir au fin fond de la France, quota de médailles, joli drapeau brodé d'or pour Noël, tarifs préférentiels dans les établissements de l'IGESA…
L'association Tamarii Moruroa du Président Yannick Lowgreen a fini par ouvrir les yeux et comprendre que la situation présente était verrouillée par le risque négligeable. Dans les médias de Polynésie, il se prononce régulièrement en faveur de la seule riposte possible : le boycott du Civen.
Diverse propositions d'amendements visant à supprimer la notion scélérate de risque négligeable ont toutes été jugées irrecevables en application de l'article 40 de la Constitution. Un prétexte un peu facile et j'ai demandé des explications à Gilles Carrez le président de la commission Finances à l'AN. Pas de réponse à ce jour et je n'attends rien.
Après 5 années de lutte et d'interventions diverses auprès des parlementaires, il faut constater l'inefficacité chronique de la loi Morin. La CMP, en dépit des recommandations publiques de Manuel Valls, a ignoré le problème. La situation injuste faite à ceux qui ont le mieux servi le France va donc se poursuivre en attendant la mort du dernier vétéran. L'ANVVEN continue le combat avec un objectif majeur : organiser le boycott généralisé et médiatisé du CIVEN.
Je vous souhaite de passer d'excellentes vacances d'été.
Pierre Marhic
Président de l'ANVVEN (02 98 47 02 84)
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