Certain(e)s pourront trouver que c’est un comble de s’intéresser à un pays francophone, le Québec, objet de beaucoup de faveurs et d’intérêts de la part de la France (jusqu’à vouloir l’annexer pour en faire un département français). Comment est-il envisageable de s’intéresser à un pays qui défend la langue française, langue qui, cette fois, se trouve dominée par la langue anglaise ?
Parce que le problème est le même dans les deux cas : c’est celui de deux minorités nationales (deux nations sans Etat) i.e. de deux peuples vivant en situation minoritaire dans deux États, le Canada et la France. Et que si l’on est nationaliste, on est aussi internationaliste ! D’où l’intérêt d’aller voir ce qui se fait chez les autres minorités nationales.
A cet argument politique, on peut rajouter un argument linguistique, un peu anecdotique mais ô combien instructif. Les nationalistes français, pour déconsidérer la langue bretonne, évoquent le rôle jugé très néfaste du clergé breton dans la défense de la langue bretonne, par son usage continué un temps dans la liturgie en Bretagne : “Vous apprenez le breton : c’est la langue des curés !” Et bien, savez-vous que si les Canadiens français ont conservé la langue française alors que la langue dominante au Canada était fortement l’anglais, c’est grâce aussi à leurs curés ? “Vous apprenez le français : c’est la langue des curés !” . Celle en particulier d’un certain Abbé Grégoire, farouche partisan d'une universalisation de l'usage de la langue française et d'un anéantissement des patois.
Québec 1968, Bretagne 2000
A la fin des années 1960, le 11 octobre 1968 précisément, de l'autre côté de l'Atlantique, au Québec, province du Canada, le pari fait par un nouveau parti politique, le Parti Québécois (PQ), de l'émancipation du peuple québécois et d'une indépendance du Québec pouvait sembler utopique.
Dans les années 2000, en Bretagne, naissait le Parti Breton qui, de la même façon, faisait le pari tout aussi utopique de l’émancipation du peuple breton et d’une indépendance de la Bretagne. Là s’arrête l’analogie car si les Québécois ont pu réunir les deux conditions nécessaires à une réussite partielle de cette utopie, les Bretons ne les ont pas encore réunies.
Ces deux conditions sont une mutation identitaire et une alliance nationalitaire.
Première condition : la mutation identitaire
Alors que la province du Québec existait depuis longtemps dans un Canada fédéral (1867), les Canadiens de langue française continuaient de s'appeler « Canadiens Français ». Minoritaires dans l'ensemble canadien, les « nègres blancs d'Amérique » vivaient mal la domination anglo-saxonne qui faisait, par exemple, de Montréal la première ville française de langue anglaise au monde ! Et donc, comme dans toute lutte de libération nationale, naquirent des mouvements « souverainistes » non-violents et un mouvement indépendantiste qui eut sa branche armée, le Front de Libération du Québec (FLQ). L'assassinat du ministre du Travail de la province en octobre 1970 précipita la prise de conscience nationale au Québec et vit le Canadien Français ne plus vouloir s'appeler comme tel mais vouloir s'appeler Québécois. Avec en arrière-plan, bien entendu, le désir de se réaliser pleinement en allant vers l'indépendance d'avec le Canada, par des voies pacifiques.
En Bretagne, “Bretagne=Colonie”, naquirent aussi des mouvements autonomistes non-violents et un mouvement indépendantiste qui eut aussi sa branche armée, le Front de Libération de la Bretagne (FLB). Mais la colonisation des esprits par la doxa française était et est encore bien vive. Cette colonisation fait que tout Breton de Bretagne est Français et Breton i.e Franco-Breton. S’y rajoute aujourd’hui l’identité européenne. Mais il est surtout Français, Français dans sa culture, Français en société et Français en politique. Le Franco-Breton n'ose guère parler d'autonomie de la Bretagne. Alors qu'aujourd'hui, en Ecosse, en Catalogne, on parle sans fard d'indépendance, le Franco-Breton va évoquer pudiquement une possible émancipation politique, sociale et culturelle de la Bretagne. La mutation identitaire du Franco-Breton au Breton ne s’est pas faite.
Deuxième condition : l'alliance nationalitaire
Le Parti Québécois s'était construit en regroupant plusieurs mouvements souverainistes et indépendantistes qui étaient apparus une dizaine d'années auparavant quand la revendication identitaire avait vu le jour. Parti progressiste, il rassemblait majoritairement, en termes de sensibilité politique, ce qu'en France, on appelle les sociaux-démocrates de gauche et de droite : une sorte d'union des nationalitaires québécois, les «Péquistes ». La cohabitation était apparue indispensable pour gagner la « guerre» de l'indépendance. Une fois cette dernière obtenue, c'est-à-dire la « paix » gagnée, les deux sensibilités se seraient probablement séparées. Ce scénario n'a pas vu le jour car les deux référendums posant la question de l'indépendance ont rejeté cette option. Et le Parti est resté à l'identique et a malgré tout été en charge des destinées de la province pendant plusieurs mandatures. Son action s'est révélée très importante, redonnant aux Québécois la maîtrise de leur économie, de leur culture et en particulier de leur langue, le franco-québécois.
En Bretagne, le Parti Breton est le seul à avoir fait le même pari d'une coalition politique construite sur la même équation politique rassemblant les sociaux-démocrates bretons de gauche comme de droite. Le seul à avoir fait le pari d'un regroupement de toutes les forces démocratiques bretonnes acté par un pacte unitaire « pour aller faire la guerre aux Francs » ! et gagner la paix de l'indépendance. Avec jusqu’à présent peu de succès, l’échiquier politique breton restant encore majoritairement occupé par des partis français et les forces démocratiques bretonnes s’avérant incapables de se regrouper comme l’ont fait les Québécois.
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