Il y en avait du monde, aux Domaines, paisible hameau de Notre-Dame des Landes, pour accueillir le juge de l'expropriation et la petite troupe de policiers et de gardes mobiles en tenue affectées à sa protection. L'occasion faisait le cortège, c'était la première fois que le juge estimait des bâtiments d'exploitation, dont une ferme aux Domaines où se sont succédé 7 générations d'agriculteurs de la même famille.
Dans les environs immédiats de la Vache rit, grand hangar en bois et tôle sur la route de Fay à Vigneux, il y avait donc en ce clair matin, pas loin de 10 heures, heure H du point presse, soixante-quinze paires de bottes. Dont celles de cinq petits jeunes d'un lycée agricole rennais venus apporter le soutien de leur bretonne solidarité. Mais aussi d'agriculteurs du voisinage, de membres de l'ACIPA et de journalistes. Deux voitures de gendarmerie passaient et repassaient sur la route, et comme la France est un gai pays où l'on peut se réunir à 75 dans un hangar sans que personne n'y trouve à redire, il y avait aussi deux agents des renseignements généraux plantés dans le hameau, et grandement occupés à relever les têtes et les immatriculations.
Votre dévoué serviteur pouvait s'estimer heureux d'être venu à vélo. A dix heures, point de presse improvisé sous la nef du hangar. Explication de texte de l'accord signé suite à la grève de la faim et imposé par François Hollande à son futur Premier ministre, également maire de Nantes et porteur du projet aéroportuaire c'est un sursis pour les locataires agricoles ou les habitants le temps que s'épuisent tous les recours juridiques. C'est une première victoire. Nous allons gagner, mais on ne veut pas gagner trop tard ; cet accord multiplie les refuges : à chaque ferme, un point de résistance.
Mais la ZAD, zone d'aménagement différé qui est l'assiette du projet d'aéroport est autre chose encore : une Zone à Défendre, 1600 hectares dont les nombreuses habitations délaissées ont été investies ça et là par des squatteurs. Illégaux aux yeux de la loi, légitimes pour la cause, ils se sont installés fermement dans tout ce qui a été délaissé. Activistes de la lutte, des luttes, ils sont assez inquiets par cet accord et ont tenu à le faire savoir en plein point presse. Interrogée après, l'une des militantes nous a déclaré sous couvert d'anonymat nous craignons que les paysans ne fassent leur compte de leur côté, alors que nous resterons sur le bord du chemin puis serons délogés de gré ou de force.
L'accord a été signé par trois collectivités territoriales, et même si les doutes subsistent quant à sa valeur juridique, qui a de grandes chances d'être nulle, et politique, après les législatives, on ne préjuge de rien, il est là. La conférence de presse avait aussi pour objet d'expliciter la résistance autour de la Vache Rit, QG de la résistance et de la réflexion à l'aéroport, et d'exposer le questionnaire que les militants de l'ACIPA vont envoyer aux candidats aux législatives en Loire-Atlantique.
Car la force, et même la prérogative de puissance publique, à Notre-Dame des Landes, il est très courant de la voir, même si, comme le confie un agriculteur exploitant, on ne s'habitue jamais. Chaque mardi, le juge chargé d'estimer débarque dans la ZAD, avec un calendrier établi par le constructeur, AGO (Aéroports du Grand Ouest). Et pour la première fois qu'il estimait des bâtiments, il a commencé au pas de course aux Rochettes, à l'est en venant par la route de la Paquelais, puis au Liminbout en bordure au nord-ouest de la ZAD (et de la piste nord projetée), amorçant une manœuvre tournante autour de la Vacherie, le temps de laisser se disperser le comité d'accueil. Finalement à 13 h 30, on vit très loin les chemises bleues des gendarmes qui arrivaient à l'orée de l'exploitation de Sylvain Fresneau, aux Domaines. Tambour battant, protégé par une dizaine de gendarmes venus de loin (Châteaubriant) et de gardes mobiles d'encore plus loin (Châteauroux pour certains), le juge a vu les hangars à vaches, les deux maisons du hameau et une grange, avant de débouler suivi des greffières, des avocats de l'AGO et des paysans et d'une dizaine supplémentaire de gardes mobiles, dans la cour de la Vache Rit. Au carrefour des Ardilières, un camion militaire balisait la bifurcation vers Vigneux-de-Bretagne. Dans le tournant de la route avant les Domaines, dix camions militaires pleins de gardes mobiles et plusieurs voitures de gendarmerie étaient parées à tout débordement intempestif. Il y a même eu le passage d'un hélicoptère vers midi. Dire que c'est grosso modo comme ça tous les mardis ! Avant que le premier coup de tracto-pelle soit donné, le budget de cet aéroport sera épuisé par le coût de tous les déplacements de militaires qui auront été nécessaires pour conquérir pied à pied ces 1600 hectares de prés.
A 15 h 45, sous le hangar, assis sur plusieurs rangs derrière des banderoles flottant au vent, les jeunes Rennais debout au fond, les gens scandent on va gagner et Ayrault dégage. Un petit air de printemps arabe flotte quand Philippe Champigny improvise un discours la visite du juge se limite à l'extérieur de la Vache Rit, ici on n'estime rien. Nous souhaitons l'arrêt du projet, et j'ose dire, vous êtes au bord du volcan. C'est ici le point central d'organisation, de réflexion, de croisement des gens qui résistent, c'est notre barricade du faubourg Saint-Antoine, il n'est pas question que vous entriez, si vous voulez pénétrez ici, vous vous en donnez les moyens de le faire. Nouvelle salve d'Ayrault dégage, poignée de main entre le juge et Philippe, et le cortège repart visiter les bâtiments de l'exploitation. D'une ferme où plusieurs générations de Fresneau se sont succédé sur la même terre. Certains agriculteurs et proches de la famille dans l'assistance ont les larmes aux yeux.
La Belgique était passée maîtresse en la matière des ponts qui n'aboutissent nulle part (voir le site) des métros inutilisés ou inachevés, les tuyaux restés vides (voir le site) , les bâtiments construits mais délaissés et autres grands gaspillages. Tout porte à croire qu'entre le projet aéroportuaire et le super-périphérique nantais la France veut entraîner la Bretagne sur le même chemin, malgré l'exemple préventif de l'aéroport d'affaires d'Ancenis ouvert en 1998 (voir le site) qui empoisonne à hauteur de 250.000 € par an le budget de la communauté de communes du pays d'Ancenis (COMPA) avec sa piste trop petite pour l'aviation d'affaires (voir le site) Ce gouffre à subventions a depuis été repris par Vinci pour y baser les aéroclubs actuellement installés autour de Nantes-Atlantique. Et trouver enfin un profit au premier émule breton de Montréal-Mirabel (voir le site) Mardi prochain, et chaque semaine, le juge revient pour continuer à estimer les bâtiments et les prés de Notre-Dame des Landes.
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