Moi, Sékouana princesse Gauloise : un roman celtique à découvrir

Chronique publié le 3/10/23 11:51 dans Littérature par Maëlig Tredan pour Maëlig Tredan
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Nous avons rencontré Alain Chevalérias au quai du livre du Festival Interceltique de Lorient, en pleine dédicace de son dernier livre (et premier dans ce genre) : « Moi, Sékouana princesse Gauloise ».

L’auteur interpelle au premier abord par son profil atypique : journaliste et écrivain de profession, locuteur entre autres du persan, ayant partagé sa vie entre Troyes et le Moyen Orient, Alain Chevalerias a décidément plusieurs cordes à son arc (ou à sa lyre, c’est selon…).

La plongée dans son roman a été immédiate et convaincante. Dans la lignée de Jean-Philippe Jaworski (auteur de la série « Les rois du monde » sur le peuple Bituriges), de Matthieu Poux (archéologue et auteur du roman truculent « Gaulle-Orient Express ») ou encore de Yann Brekilien (dans un style plus romancé), Alain Chevalérias manie le style du roman celtique avec une grande aisance.

Nous suivons les pas de Vassus Sekouana (« servante de la déesse Sékouana »), princesses du peuple des Tricasses, qui occupaient jadis une grande partie du département de l’Aube et qui donnèrent leur nom à la ville de Troyes. L’intrigue débute au 6ème siècle avant notre ère sur les bords de la Sekouana (la Seine, dont le caractère sacré se fond dans la déesse du même nom), sur la route de l’étain, lui-même extrait des îles Britanniques et indispensable pour la fabrication du bronze. La jeune princesse louvoie entre alliances et complots politiques, décrivant au passage les us et coutumes des anciens celtes, à l’aube d’une révolution peut-être sans précédent pour eux et qui provoquera le passage de la culture de Hallstat à celle de La Tène. En cause : un refroidissement climatique, aujourd’hui bien décrit par les archéo-climatologues.

L’écriture est entrainante, efficace, enrichie de détails et d’anecdotes captivants pour tout lecteur qui voudrait découvrir ou réviser ses classiques sur le monde celte. Un premier tome d’une trilogie qui s’annonce donc prometteuse et qui mérite d’être connue…

Rencontre avec cet auteur d’un nouveau genre, qui non content d’écrire a également fondé la maison d’édition du Tricasse pour diffuser les auteurs de « romans celtiques » :

ABP : Alain Chevalerias, pourquoi avoir choisi la période du 6ème siècle avant JC en particulier ?

Alain Chevalerias : Car c’est la période charnière entre Hallstat et La Tène.

Les populations, entre autres de l’aire celtique, ont connu à cette époque un refroidissement climatique qui a entrainé des famines, des problèmes de récolte, engendrant des bouleversements sociaux majeurs qui ont eux-mêmes conduits à la destruction de cités, à des guerres intestines, à la mise à mort de rois… Et enfin à des migrations importantes.

Le système en vigueur à la période de Hallstat a été revu de fond en comble au 6ème siècle avant JC, pour aboutir à ce que l’on connait de La Tène. Si l’on devait donner une comparaison, je dirais que les changements qui se sont opérés à ce moment-là sont de l’ampleur de ceux qui ont été engendré, après des bouleversements équivalents, par la révolution française : changement de mode, d’art, de système et d’organisation politique… Avec des migrations en plus, qui vont s’étaler sur les siècles suivants.

C’est donc une période trépidante, dans laquelle il était passionnant de se plonger pour comprendre les mouvements de populations et les éléments culturels qui ont survécus, en dépit de tout.

Par ailleurs, l’ambition de vulgarisation qui était la mienne m’a poussé à écrire sur ces évènements, qui sont souvent balayés trop rapidement par les universitaires dans leurs écrits : les raisons du passage de la période de Hallstat à celle de La Tène sont rarement explicitées.

ABP : Les informations datant d’avant la conquête romaine (près de six siècles en l’occurrence ici) sur les peuples celtes sont difficiles à obtenir. Quelles ont été vos sources ?

AC : Toutes les sources universitaires disponibles (dont celles de Vanceslas Kruta), les rapports d’archéologie et de climatologie, pour en comprendre les variations. Car il n’y a pas que les sciences de l’histoire, mais également la science climatique auquel il faut s’intéresser lorsque l’on se lance dans ce genre d’écriture.

Pourquoi vous être intéressé au sujet des celtes et plus particulièrement aux Tricases ?

AC : J’habite à proximité de Troyes. Je me suis donc intéressé à l’histoire de ce secteur.

Ensuite, les Tricasses, au Hallstat, habitaient une cité frontière. Les Parisii n’étaient d’ailleurs pas encore à Paris. Les Tricasses occupaient une place de choix sur la Seines pour leurs intérêts économiques. C’était donc un peuple fondamental à étudier pour comprendre les dynamiques commerciales et économiques de l’époque. Car il faut tout ramener à l’économie ! Nos ancêtres n’étaient pas différents de nous. Ils avaient les mêmes problématiques !

Enfin, il y a eu des découvertes à Lavau (tombe princière) dans laquelle ont été trouvé un squelette, un char de guerre et un casque. Les chercheurs ont tout de suite parlé d’un prince, en raison d’attributs plutôt masculin (char et casque). Mais l’Inrap a été beaucoup plus prudent. Le squelette serait en effet trop dégradé pour savoir si c’est un homme ou une femme. Pour ma part, je suis persuadé que c’est une femme, car aucune arme n’a été découverte. Elle menait bien les hommes à la guerre, mais n’avait pas le rôle de guerrier (ndlr : on sait d’ailleurs grâce à des découvertes récentes que des femmes de haut rang pouvait être enterrées dans de telles conditions. Voir à ce sujet le récent reportage d’Arte sur les femmes celtes : )

Pourquoi avoir choisi un personnage principal féminin ?

AC : Chez les celtes les femmes ont eu une place importante dans la société. Or, tous les textes historiques ont été écrits par des hommes. Je trouvais qu’il était intéressant de faire réagir une femme, dans un environnement principalement masculin, et avec son propre rôle et sa vision de femme. Avec ses fonctions à la foi princières, mais également de devineresse et de guérisseuse.

Mes personnages ont une vie propre et un caractère… Et ayant créé mes personnages, j’étais curieux de voir comment les choses allaitent évoluer pour cette jeune Tricasse !

Quels sont vos projets pour les éditions du Tricasse ?

AC : L’idée est de publier des romans sur différentes périodes de l’histoire des celtes, pour faire comprendre la ligne historique et culturelle qui irradie ce monde celte.

L’objectif est de rattraper le temps perdu en travaillant sur cette matière. On a parlé souvent de Vercingétorix mas pas d’autres personnages comme Brennus par exemple, ou rarement de la période qui suit la conquête de César. Ou encore sur les fameuses sorcières, héritières des druidesses, les migrations de grande Bretagne vers l’Armorique…

Cette maison d’édition a vocation à publier des auteurs qui travailleraient sur ces périodes. A condition de diffuser eux-mêmes. Aller à la rencontre des gens est formidable. Ils sont heureux qu’on leur parle de leur histoire. L’écriture a vocation à être accessible pour tous.

Les Bretons ont eu beaucoup de courage en maintenant et en faisant vivre la culture celtique. D’autres territoires méritent également d’être mis en lumière, de se réapproprier cette période trop peu enseignée.

La culture celtique est extrêmement forte. La preuve est sa rémanence jusqu’à aujourd’hui.

Par exemple : quand les Romains sont arrivés à l’actuelle Paris, capitale des Parisii, ils l’ont baptisé Lutèce. Et cinq siècles après, à leur départ, les habitants ont rebaptisé Lutèce « Paris ». Rendez-vous compte… Cinq siècles n’ont pas suffi pour faire disparaitre un nom authentiquement celtique.

Pour en savoir plus :

Pour recevoir le roman, envoyez un chèque de 22 € avec votre adresse, à l’intention d’Alain Chevalerias aux éditions du Tricasse, 39 rue des Faubourgs, 10130 Marolles-Sous-Lignières


Vos commentaires :
Keltia Magazine
Jeudi 26 décembre 2024
«Ce qui est vraiment dommage, c'est qu'au VIe s. av. J.-C., le peuple des Tricasses n'existait pas encore puisque son territoire faisait partie des Sénons. Il n'y a aucun peuple tricasse séparé des Sénons avant la conquête romaine (milieu du Ier s. av. J.-C) et c'est à la suite de celle-ci que, pour punir les Sénons de leur résistance acharnée, les autorités romaines ont détaché la partie nord de leur territoire et l'ont érigé en civitas autonome. Les Romains ont fait la même chose avec d'autres peuples. Ils ont, par exemple, créé une civitas des Silvanectes (Senlis) en la détachant des Bellovaques (Beauvais) qui leur avaient âprement résisté.
Le fait de situer cette histoire à la fin de l'époque hallstattienne est donc une impossibilité. Il aurait fallu l'inscrire dans le cadre du peuple sénon (lire à cet effet V. Kruta, L. Baray mais aussi Keltia n° 47).
Fabien Régnier»

Naon-e-dad
Jeudi 26 décembre 2024
Deux remarques.
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Première remarque. Da gentañ.
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« 6ème siècle avant notre ère sur les bords de la Sekouana (la Seine, dont le caractère sacré se fond dans la déesse du même nom) ». Voilà qui est fort intéressant.
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« Sekouana » (nom du personnage dans le titre de l'ouvrage), «Sequana »en latin , «Seine » en français.
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Justement comment traduit-on le nom du fleuve en breton ?
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. Le Gléau (1983, volume IX). Donne « Saena », recensé dans « Ar Bleiz gwenn» de P. Denez et E Ar Barzhig (Skol, nn 65-66).
. Martial Ménard dans son Devri en ligne ( Voir le site semble confirmer : Saena (1732). Il illustre par cette citation Les cygnes de la Seine. « cyned ar Saena ».
. les autre semblent muets sur la question, comme si elle était embarrassante ou hors de leur champ d’intérêt.
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Il me semble que Alain Chevalérias nous donne une clé sûre. Et si le latin « Sequana » n’était que la simple transposition du nom celtique de l’époque, entendu et orthographié à leur manière par les Romains ? Cela sonne comme une évidence. Une évidence justement orthographiée « Sekouana » par l’auteur.
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Conclusion : en breton moderne le nom de la Seine se dit et s’écrit : « Sekouana ».
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Deuxième remarque. Da eil.
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«cinq siècles après [le départ des Romains] , les habitants ont rebaptisé Lutèce « Paris ».»
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Magnifique, je n'avais jamais pensé à cette chronologie. Il faut dire que l'enseignement scolaire ne nous prédispose pas à ce genre d’observation. Merci à l'auteur / Mersi braz d'an aozer!
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Paris sera toujours Paris! (paroles d'une chanson). Avec son nom celtique!
Pariz a vo Pariz da viken! (diwar pozioù ur ganaouenn vrudet). Dezhi he anv kelt!
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Il ne reste plus à nos universitaires zélés (ou vendus, au choix) qu’à concevoir et organiser une exposition sur le thème : « Paris, celtique ? ». Isn’t ?

Monique Piot
Jeudi 26 décembre 2024
A quand la suite de cette épopée ?

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