Pour la première fois dans l'histoire du Festival interceltique de Lorient, un président de la république irlandaise en exercice a fait le déplacement et séjourné durant 3 jours dans la ville aux 5 ports, l'Irlande étant l'invité d'honneur de cette édition 2014.
Il est vrai que Michael D. Higgins connaît bien Lorient pour avoir été maire de Galway (jumelée avec Lorient) et que son amitié pour Jean-Yves Le Drian, ancien maire de Lorient, est bien connue. Alors qu'il était ministre de la culture et en charge du gaélique, Michael D Higgins était déjà venu en 1996 au Festival interceltique dans le cadre de l'Année de l'Imaginaire irlandais et j'avais eu le grand plaisir de l'accueillir à l'université d'été du festival pour la conférence inaugurale, une intervention brillante et remarquable.
Que dire de cette visite en 2014 ?
Deux moments sont à noter : d'une part, la soirée au Grand Théâtre de Lorient pour un hommage au grand poète irlandais très récemment décédé, Seamus Heaney, avec le quartet de Liam O Flynn et Micheal O Suileabhan, d'autre part la rencontre avec les équipes de football gaélique de Bretagne.
Ce samedi soir avec « The Glanmore Concert » restera un grand moment de culture et de poésie. Alors que la première partie uniquement musicale fut finalement assez décevante, les quatre musiciens sur scène ayant quelque mal à donner corps à des morceaux pourtant bien connus, la seconde partie alternant musique et lectures de poèmes de Seamus Heaney fut brillante et tout à fait prenante. Le président Higgins y participa en lisant l'un des poèmes. Remarquable.
A côté de cela, une fois de plus, l'organisation du FIL a fait l'impasse sur la dimension linguistique, pas un mot en gaélique, pas un mot en breton, un comble quand on connaît l'engagement de Michael D. Higgins pour la promotion du gaélique…. Sans parler de l'entrée du président au Grand Théâtre en-dessous de tout comme si l'on accueillait une personne lambda ….
Autre moment très chaleureux, la rencontre le dimanche entre le président irlandais et les représentants des clubs de football gaélique de Bretagne, rencontre organisée à la demande de l'ambassade d'Irlande. Il faut noter que les Irlandais sont surpris et enthousiasmés par le développement du football gaélique en Bretagne (11 clubs) et que le GAA (l'organe central qui gère les sports irlandais) prend désormais la Bretagne pour exemple concernant le développement du football gaélique hors-Irlande. Cette rencontre organisée au Galway Inn, le pub irlandais bien connu de Lorient tenu par Padraig Larkin (de Galway) fut un vrai moment de convivialité et d'amitié entre Irlandais et Bretons. Un vrai succès qui, de plus, donne une meilleure visibilité au football gaélique en Bretagne.
A côté de ces deux moments intenses, le programme du président Higgins alternait visites comme celle du Musée de la Compagnie des Indes et réceptions comme celle sur la corvette irlandaise présente à Lorient durant ces mêmes journées, le Niamh.
Entre neutralité absolue et silences coupables…..
Et comme l'on pouvait s'y attendre, cette visite n'a donné lieu à aucune déclaration particulièrement notable ni du côté irlandais, ni du côté breton.
Côté irlandais, même si la Bretagne a une place particulière pour eux , les officiels de tout rang se gardent bien de prononcer quelque parole que ce soit qui pourrait être mal interprétée par Paris. Ce n'est pas surprenant en fait ; juste une anecdote, alors que j'offrais différents ouvrages sur la Bretagne au président Higgins, celui-ci me dit qu' « il était au courant de la situation ». Nous nous contenterons de cela…..
Côté breton, et bien, là, c'est plutôt catastrophique. Alors que les élus et officiels bretons de tout genre n'arrêtent pas de vanter « l'interceltisme », aucun n'aura dit ou souligné que la Bretagne est désormais complètement dépassée au niveau culturel, linguistique ou audiovisuel par les autres pays ou régions présents à Lorient durant ces dix journées. Silence total ! Pour ma part, je trouve ça particulièrement lamentable. Les grands festivals en Ecosse, Pays de Galles ou Irlande sont souvent le lieu pour des interventions politiques majeures ou des annonces d'importance. Ici, rien, netra, nada ….On dirait qu'ils attendent que ça se passe en espérant que l'on parle rapidement d'autre chose ….. Ça oscille entre hypocrisie et intérêt folklorique….
Il ne manque plus grand-chose…..
Au bout de trois jours, c'est la réflexion que je me suis faite : il ne manque plus grand-chose pour que la Bretagne et le festival interceltique entrent dans la cour des « grands », tout est là, la matière est là, les relations sont là, les amitiés interceltiques sont là mais…. Nous restons enfermés dans le conformisme et le système politique hexagonal qui nous étouffe. Tous les autres pays celtiques nous attendent, seraient heureux de travailler avec nous, de nous parler d'égal à égal …. Sauf qu'une sorte de barrière invisible, une autocensure généralisée, un manque de courage de nos responsables politiques et culturels nous …. plombent !
La visite de Michael D. Higgins a été une vraie bouffée d'air. Dommage qu'aussi peu de monde l'ait remarqué.
■Pour le reste, le président d'un Pays voisin et ami, qui passe trois jours à Lorient, avec si peu de contact officiels, montre bien la goujaterie institutionnelle de la France et de ses représentants en Bretagne.
Yannig Baron
L'Irlande n'a pas un grand pouvoir géopolitique. Et elle reste quand même liée à son ancien colonisateur. Par la langue, d'abord.
Par contre vu l'attachement des irlandais, comme indiqué plus haut, à leur «grande soeur révolutionnaire française», pas sûr qu'il aurait accepté de les recevoir...
Les sujets à aborder avec nos cousins irlandais ne manquaient pas !
Mais pour ne pas froiser nos voisins et néanmoins amis français, il est plus facile de parler de la couleur du Gwenn ha Du, que d'aborder certains sujets... Critique valable pour la délégation irlandaise autant que pour les représentants bretons.