Mari Vorgan, un roman de Roparz Hemon

Chronique publié le 27/04/19 15:18 dans Littérature par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean

J'ai toujours plaisir à lire les livres de Roparz Hemon. Il y fait montre de bien des qualités, sensibilité, tendresse, idéalisme, poésie.

Pour être franc, je préfère de beaucoup Hemon à d'Ormesson, ce splendide égotiste, dont on nous rebat les oreilles depuis quarante ans ! Et que pour ma part je trouvais assez pénible.

« Il croit qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui », Talleyrand parlant de ... Chateaubriand.

Voltaire a écrit, « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge ! », et bien concernant Hemon, dont à ma connaissance nous n'avons pas une seule biographie ! Je fais tout à fait confiance à ces juges, ces Fouquier-Tinville, pour m'éclairer sur ses ignominies. Je suis resté sur ma faim ... quand je pense que la revue Ar Men, que j'apprécie par ailleurs, n'a, à ma connaissance, jamais parlé de Hemon, cela m'épate. La Bretagne sera vraiment « à l'aise » quand elle parlera de sa littérature, sans en rajouter dans la mortification.

Dans ce roman édité en 1962 par Al Liamm, qui ne fait pas mauvaise figure face à l’Ile au trésor de Stevenson, Roparz Hemon évoque la vie d'un médecin de marine qui part en mer pour son dernier voyage, laissant derrière lui, avec regrets, sa femme Adela et sa fille Madeleine.

Mais bientôt, son destin bascule car, au cours de la croisière, il voit une Marie Morgane sous les traits d'une jolie blonde au yeux bleus, qui ressemble à s'y méprendre à la figure de proue; tantôt ingambe, tantôt munie d'une queue de poisson. Le scientifique, l'homme cartésien est ébranlé par cette vision. Le navire fait escale à Vigo, aux Canaries, au Cap Vert, puis fait route vers le Brésil. La jeune femme dont il finit par s'éprendre, il ne le sait qu'à la fin, lui conte sa vie et ses malheurs. Levenez a perdu ses parents, morts noyés sur le lac de Grand lieu au cours d'un ballade en barque. Elle-même se retrouve par miracle sur les rives du lac et des cierges furent allumés devant saint Philbert pour conjurer le diable. Dès lors, la vie chez son parrain puis chez sa tante ne fut pas heureuse et servant de modèle à un sculpteur de Nantes qui réalise la superbe figure de proue de l'Agenor, amoureuse d'un officier, elle s'enfuit et se cache à bord du navire en partance.

L'esprit troublé, le cœur partagé douloureusement entre son épouse Adela et Levenez, la Marie Morgane, le pauvre médecin finira pas se jeter à la mer ...

Ces pages (8-10, édition 1975), sont assez représentatives de son style.

Brest, le 17 mai, dans la Rade

Adela,

Je vois encore ton pauvre visage, je te vois aussi agitant ton mouchoir à la fenêtre, tes larmes, hélas, en reste -t-il seulement ?, et tandis que ma voiture s'éloigne de notre maison, de toi, de notre enfant, je n'avais qu'une pensée, quand, quand te reverrai-je ?

Tu le savais quand nous nous sommes mariés. J’aurai une vie de matelot. Je fus heureux de rester une année près de toi. J'avais déjà fait deux grands voyages. L'un de deux ans, l'autre de trois, cela ne me semblait pas long.

Mais alors, je n'avais pas une femme à laisser derrière moi. Ni même une amie, car vous n'étiez guère qu'une jeune fille jouant au jardin avec votre frère. Songe comme je fus surpris, laisse- moi te le dire, il y a trois mois … quand je vis une belle demoiselle dans la maison de Gerlo, qui me regardait. Je ne comprends pas comment je pus me retenir de venir la saluer.

Ce voyage ne devrait pas être long. Une excursion vers les îles du Cap Vert seulement. Mais je serais toujours trop loin de toi.

Je sais maintenant que ton père disait vrai. Peut -être devrais je prendre sa suite, maintenant qu'il se fait vieux. Médecin de campagne, ce n'est pas mal. Chevaucher à longueur de journée, dans le vent et la pluie, sur les landes, près de la mer, vers une maison tapie au fond d'une vallée, revenir parfois dans la nuit, retrouver ma femme, te retrouver. Cependant ce ne serait pas loyal. Les médecins de mer, comme moi, doivent dix ans au service du roi. Je ferais ce voyage et ce sera le dernier. Je serais ensuite à toi et à notre petite Madeleine.

Avez vous reçu ma dernière lettre ? je ne suis pas fou au point de croire que tu pourrais lire ces lignes là ! Je compte narrer tous les événements qui se produiront sur l'Agenor, et plus encore, ce que je ressentirai en mon cœur. C'est pourquoi j'ai choisi ce cahier. Je l'ai acheté à dessein, avant de monter à bord, dans une petite épicerie de la rue des Sept Saints. Une veille femme se tenait dans l'ombre, endormie sur sa chaise ; elle se leva d'un bond quand elle vit un officier dans sa boutique. Elle fut étonnée de ma requête, et je crus bon d'ajouter, « regardez, ce cahier à deux sous, ce ne sera plus un cahier mais un miroir »

Un étrange miroir, Adéla. Car tandis que j'écris, je ne m'y vois pas seulement, mais vous aussi. Et croyez m'en, je n'y met pas le moindre mot qui ne soit vrai, au risque de voir votre visage aimé s'évanouir. Restons sereins. Je ne chercherais à rien vous cacher, même si je dois en souffrir et vous aussi.

L'année prochaine, nous lirons cela à voix basse, l'un et l'autre … mais qu'entend-je ? Une fête est prévue ce soir sur l'Agenor et je dois monter sur le pont. Par mon fenestron, j’aperçois un nuage frivole qui court avec la bise, vite, pour toi Adela, j'y attache mon amour.

ps : «Eñvor Roparz Hemon» est détenteur des droits sur l'oeuvre de Roparz Hemon


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