Livre : Un Joli mois de mai 1944

Présentation de livre publié le 31/07/13 18:41 dans Histoire de Bretagne par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Yves Mervin est né a Paris d'une famille originaire de Haute-Bretagne. Très tôt intéressé par ses origines bretonnes, il apprend le breton. Dès 1977, il enseigne d'ailleurs la langue de ses ancêtres. En 1977 aussi, il rejoint l'UDB mais quittera ce parti assez vite. Ingénieur des Arts et Métiers, ll mène à Lorient une carrière dans le domaine de la Défense qui l'a conduit à s'intéresser à la géopolitique et à la prospective. Entre 2005 et 2007, il adhère au Parti breton où il contribue à la réflexion sur les institutions proposées par ce parti.

Pressentant la crise financière, il crée, dès 2008, avec quelques amis, un cercle de réflexion politique afin d'élaborer des stratégies et scénarios de reconstruction et de développement pour la Bretagne. Les travaux du Cercle Pierre Landais abordent différents thèmes tels que les valeurs, les principes de gouvernement, l'organisation des institutions et des territoires, les infrastructures, l'énergie, l'enseignement, la recherche et l'innovation...Yves Mervin est aussi passionné d'histoire et, tout particulièrement, il est intéressé par les questions de mémoire qui obstruent l'avenir. Dans un premier livre publié en 2011 Arthur et David, il se penche sur la période de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, en particulier sur les rapports entre les nationalistes bretons et les envahisseurs allemands. Son deuxième livre se penche plus particulièrement sur l'histoire de la Résistance.

[ABP] Yves Mervin, après Arthur et David (voir le site) ) en 2011, vous venez de publier un nouveau livre, cette fois sur l'histoire de la Résistance en Bretagne : Joli mois de mai 1944 - La face cachée de la Résistance en Bretagne ( (voir le site) ). Tout n'a-t-il pas déjà été dit sur le sujet ?

[Yves Mervin] Certainement pas. Et mon livre ne conclura même pas le sujet, car il y a encore d'assez nombreux dossiers interdits d'accès à ce jour. Si j'ai pu obtenir des autorisations sur certains dossiers de procès de résistants ou de militaires allemands, j'ai aussi essuyé un refus sur un dossier concernant le viol et l'assassinat par des maquisards bretons à Paris le 27 septembre 1944, d'Alice Le Guillou, originaire de Locarn, une jeune fille qui avait fait de brillantes études de médecine. Ce dossier ne sera accessible sans dérogation qu'en 2027. Donc d'ici là, et, même pendant encore de nombreuses décennies, une partie de la mémoire va rester censurée. La France est le dernier pays qui n'a pas encore ouvert toutes ses archives de la Seconde Guerre mondiale.

[ABP] Alors qu'est-ce que votre livre va changer aujourd'hui ?

[Y.M.] Malgré des obstacles, j'ai néanmoins pu accéder à divers dossiers et j'ai même reçu une aide appréciable de différents conservateurs d'archives. J'ai pu discuter avec des témoins qui ont vécu cette période, qui détiennent des informations qu'on ne trouvera pas dans les archives. Sur certains dossiers, la consultation des archives ne permet pas à elle seule de saisir toutes les subtilités d'une affaire. Il est donc essentiel d'avoir ce dialogue avec les acteurs de l'époque et ce travail était à faire maintenant. Je pense en particulier à la reconstitution de la bataille de la Pie. Dans vingt ans, il ne sera plus possible de procéder comme je l'ai fait. Je l'aurai donc fait en son temps.

[ABP] Votre livre s'en prend-il à la Résistance ?

[Y.M.] Certains résistants. Si certaines associations résistantes le perçoivent comme tel, c'est parce qu'elles ont commémoré pendant soixante-dix des batailles qui n'ont parfois pas eu lieu et soigneusement occulté les exactions commises, tout particulièrement, à la Libération ou à l'approche des troupes alliées. Elles sont incapables d'aborder leur propre histoire dans sa globalité et avec objectivité, car on leur a dit, pendant tout ce temps, qu'ils ont été des héros et des exemples.

Pour certaines d'entre elles, c'est une découverte et un choc. Mais j'attendais surtout la réaction des résistants que j'ai réussi à associer à ma démarche. J'attends encore des retours, mais jusqu'à présent, je pense avoir trouvé le ton juste.

Ma démarche ne consiste pas à salir, à blanchir ou à noircir le tableau, mais trouver la juste nuance de gris, sans même présumer si ça sera gris clair ou gris foncé, et m'approcher au plus près de la réalité du terrain, qu'elle soit plaisante ou déplaisante. D'abord les faits, ensuite les conclusions.

[ABP] N'avez-vous traité que les exactions ?

[Y.M.] Non, j'aborde les questions politiques, militaires et juridiques. Comment les résistances gaullistes et communistes se sont organisées, se sont affrontées, quelle a été l'importance des combats contre les Allemands. J'ai mené un travail de compilation, d'analyse, de recoupements que même les historiens universitaires en Bretagne n'ont pas fait. Je ne connais pas grand monde qui se soit intéressé aux conventions de Genève et la manière dont les uns et les autres en tenaient compte : or, ces conventions de Genève étaient en vigueur au moment du conflit et chaque partie les interprétaient à sa façon. Mais les exactions ne peuvent être dissociées de l'action même de la Résistance, même quand des crimes paraissent seulement crapuleux. C'était maintenant qu'il fallait reconstituer le cheminement d'ordres oraux qu'on ne trouvera pas dans les archives, les faux témoignages de résistants.… Je n'ai d'ailleurs pas pu écrire tout ce que j'ai pu rassembler comme information sur le sujet, mais tout est conservé ! De plus, je suis contacté depuis la parution de «Joli mois de mai» pour me faire part d'affaires non élucidées et qui ne sont pas non plus commémorées. Même si cela ne devrait pas être à moi de mener cette démarche, j'accepte de la faire ( (voir le site) où l'on peut me contacter ou écrire à jolimoisdemai1944[at]free.fr )... je pense n'avoir traité, des exactions et des règlements de comptes, que la partie émergée de l'iceberg. D'autres affaires sont à étudier sans jamais oublier que la grande majorité des résistants ont eu un parcours remarquable et exemplaire : ils se sont affrontés aux seuls Allemands et pas à leurs compatriotes.

[ABP] Alors pourquoi écrire un livre qui risque de ternir l'image de la Résistance ?

[Y.M.] Je connais non seulement les milieux résistants, mais aussi certains milieux réputés « collaborateurs » et le mouvement breton. J'ai des amis et des connaissances dans tous les camps. J'ai découvert, lors de mon enquête, que mon père était ami avec les enfants d'une famille victime d'une exaction caractérisée de la Résistance bretonne, un crime politique par excellence. Et ces personnes appréciaient mon père, bien qu'il ait été résistant et ne lui en tenaient pas rigueur. La manière dont les associations résistantes perpétuent le souvenir est une impasse. Elle ne permet pas de faire le deuil de nos victimes, de se projeter dans l'avenir. Il y a une étape fondamentale, une condition pour dépasser dans quelques années ces guerres de la mémoire qui obstruent l'avenir et la cohésion nationales en Bretagne : c'est de traiter sans tabou le dernier dossier de la Seconde Guerre mondiale, celui de la Résistance, pour commencer à dépasser les séquelles de ce qui a surtout été une guerre civile. J'ai rencontré, il y a trois ans, un jeune homme dont un grand-père a été au Bezen Perrot et l'autre dans la Résistance. Il est bien sa peau, n'a pas d'état d'âme et il va de l'avant. C'est lui la Bretagne de demain.

Même si la guerre de la mémoire va encore durer quelques années, la réalité des faits ne peut que s'imposer dans le long terme. Même Françoise Morvan finira par se fatiguer de voir des nazis ou des fils de nazis partout. On cessera un jour de s'invectiver sur ces questions. L'avenir est plein d'espoirs mais il passe par une réconciliation, même s'il ne s'agit plus que de réconcilier les mémoires.

Philippe Argouarch