Livre : Auray 1364, un combat pour la Bretagne

Chronique publié le 3/12/12 9:07 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean
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En 1364, au cours de la bataille d'Auray, Charles de Blois mourrait et laissait le champ libre à Jean de Montfort, son compétiteur dans la guerre de succession de Bretagne.

Un livre récent, Auray 1364, un combat pour la Bretagne, Presses Universitaires de Rennes (PUR), de Laurence Moal, évoque en détail cette page mémorable de l'histoire de Bretagne.

On doit saluer tout d'abord l'intérêt que les historiens portent à la matière bretonne. Il s'agit d'historiens «du cru», même si le terme leur déplaira sans doute. La France a ostracisé l'histoire des peuples de France, parfois en la gommant tout simplement, tout à son entreprise de «construction de l'identité nationale», toujours d'actualité. Il suffit de songer au projet sarkosien de «Musée de l'histoire de Françe», heureusement avorté, dont on peut gager qu'il aurait fait peu de place à notre histoire (bretonne). Cette expression à la mode, qu'on lit dans cet ouvrage, n'a d'ailleurs pas grand sens, l'identité et l'histoire étant toujours, peu ou prou, des constructions. Dans cet art, celui de faire de l'histoire un instrument de centralisation, la France est passée maître. Suzanne Citron a bien navré ces façons de nous conter la France. Il est curieux et cocasse à la fois, de voir que cette formule, la «construction identitaire», s'emploie surtout pour parler des identités régionales. J'ai lu ce terme récemment au musée de Daoulas, accolé à la musique bretonne.

Dans cet ouvrage, les enjeux de cette bataille d'Auray sont minutieusement décrits. Quelle en était la signification ? Blois est le candidat de la France, supporté par de grands seigneurs bretons; Monfort, celui supposé de l'indépendance, mot rarement prononcé ici. Blois serait un Saint, il captive les milieux catholiques, Monfort, en final, avec l'aide des anglais, établit l'Etat breton que poursuivra Jean V. Tout est dit mais cependant l'analyse est brouillée.

D'après l'auteur, les blésistes et les monfortistes semblent irréconciliables. En réalité La Borderie, blésiste s'il en est, anglophobe, légitimiste et catholique, est pourtant très clair sur le sens à donner à la Guerre de succession de Bretagne, quand Charles V tente d'annexer la Bretagne en 1378, il écrit : «La sentence du Parlement (de Paris) fut peu à peu connue de tous les Bretons … on vit que c'était la ruine de l'indépendance et de la nation bretonne. Quand on eut compris cela, l'indignation, comme une marée irrésistible, monta dans toutes les poitrines. Sans parler on se prépara à agir, on agit même tout de suite, car en mars et en avril il se forma dans toute la Bretagne une vaste association, où entrèrent fraternellement toutes les classes, pour le maintien ou plutôt le recouvrement de l'indépendance nationale ou, comme on disait alors, du droit ducal de Bretagne, la dignité et le droit du duc étant le symbole de l'indépendance de la nation.» La Borderie.

L'abbé Poisson, catholique et très admiratif de «saint» Charles, a les mêmes sentiments. Il parle de «réaction nationale», «personne … ne voulait l'annexion à la France». Dans le fond, pour ces historiens, Blois est mort, vive le saint mais vive le duc Jean IV !

La bataille d'Auray et l'action de Jean IV ne sont pas, dans cet ouvrage, suffisamment inscrits dans le contexte de la guerre de succession de Bretagne. En réalité, quels sont les historiens «bretons» qui souhaitaient le rattachement à la France, à plus ou moins brève échéance ?

L'histoire n'est jamais comme on la souhaiterait. On eut aimé que Jean s'entoura de moins d'Anglais, que Blois fut moins inféodé à la Françe. De même, sans doute la France désira moins l'aide éminente des Bretons, de Du Guesclin et Richemont, pour remporter la Guerre de Cent ans. Du reste les historiens français sont très avares de louanges, s'agissant de Richemont, pour des raisons que j'ai explicitées dans «Les Bretons, faiseurs de rois».

L'enjeu entre Blois et Jean est fort simple en réalité et cela ne ressort pas clairement dans ce livre. Si Blois l'emporte, la Bretagne tombe dans le giron français, si Jean l'emporte, elle garde (sans doute) son indépendance.

La demande de canonisation de Blois était à l'évidence une entreprise politique qui visait à saper la légitimité de Jean IV. Ce fut d'ailleurs un échec. Les franciscains, quand à eux, y voyaient une très juteuse opération. A juste titre, la sainteté de Blois ne préoccupe plus grand monde aujourd'hui, le peuple ne s'y trompe pas toujours, laïc ou non, il aime saint Yves, car c'était surtout un homme bon, lui, et il ne doit rien au marketing.

Quand à Jean IV, s'il est méconnu, ce n'est pas tant à cause de ces échauffourées entre blésistes et monfortistes, favorables à l'indépendance. Les premiers aussi, au risque de la naïveté. C'est que l'histoire bretonne n'est pas enseignée, que la France ne veut plus entendre parler de Jean IV, de Jean V et de ces Bretons gardiens de leur indépendance et ostracisés dans «l'histoire officielle», expression que je reprends, celle des manuels, celle de l'école. Cette histoire officielle préfère, au risque de dévoyer notre histoire, lui substituer un héros tel que Du Guesclin, qui lutta constamment contre l'indépendance de son pays. A ce compte, comment, les Bretons, ces «groupe qui cherche une légitimation par le passé», peuvent t-il s'y retrouver ? Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui fit bruler Jeanne d'Arc, est-t-il un héros français ?

Michael Jones, historien de Jean IV, d'origine galloise, s'étonne que les historiens français n'aient guère repris ses thèses, on comprend pourquoi … l'histoire de Bretagne et l'histoire de France ne sont pas toujours miscibles …

Ce n'est pas un hasard si un étranger, Michael Jones, s'intéressa à Jean IV. Ce n'est pas un hasard si le manoir de la Touche, à Nantes, dernière demeure de Jean V, est fermé au public. L'ouvrir serait un acte symbolique, car alors, il faudrait parler de Jean V et de l'Etat breton, riche et bien gouverné; en 2012, c'est encore un peu tôt !

En fait, parlant de ces évènements, les historiens bretons, pouvaient toujours maugréer, ils étaient en réalité pour l'indépendance de la Bretagne, quelques soient leurs tropismes initiaux pour l'un ou l'autre des champions. Imaginer que Blois, en cas de victoire, put sauvegarder l'indépendance de la Bretagne, relève de l'ignorance, de la crédulité ou de la duplicité. Sur ce point essentiel, Laurence Moal est trop timide ou pas assez claire.

On regrettera un style parfois lourd et plein de sous-entendus, «la mémoire portée par des groupes qui cherchent une légitimation par le passé» ! page 163, des concepts assez vagues, «l'appropriation de l'histoire», «la mémoire n'est pas l'histoire», un style trop ouvert au jargon universitaire et aux expressions susdites, au détriment d'une «ligne claire». De même, curieusement, il manque les portraits des deux protagonistes, celui de Jean IV surtout, caractère, goûts, etc, qui nous permettraient de juger de la qualité des deux personnages.

Ceci dit, dans l'ensemble, nous avons un bel ouvrage, d'une neutralité un peu agaçante, mais qui, à l'inverse, peut convenir à beaucoup. Un livre qui visite une page plutôt méconnue de notre histoire; sérieux, érudit, fort bien illustré, qui offre des clés et des sources pour aller plus avant.

Ref :

• La Borderie, Histoire de Bretagne

• Abbé Poisson, Histoire de Bretagne

• Michael Jones, La Bretagne ducale. Jean IV de Montfort (1364-1399) entre la France et l'Angleterre, 1998. La traduction, malheureusement, n'est pas excellente.

• Suzanne Citron, Le Mythe national. L'Histoire de France en question. Les Éditions Ouvrières


Vos commentaires :
Patrick Chevin
Vendredi 15 novembre 2024
La notion de nation et d'indépendance nationale est bien postérieure à 1364.
Quen est-il aujourd'hui de la nation bretonne (le pays de la langue bretonne) et de son désire d'indépendance ? C'est la seule chose qui nous intéresse. Breiz Atao !

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