Lisardo Lombardía est un Breton de coeur de 62 ans qui dirige depuis 2007, le plus grand festival de France, avec 750 000 visiteurs, le festival interceltique de Lorient.
Né en Espagne dans les Asturies, le docteur Lisardo Lombardía est diplômé de médecine. Pourtant, ses études terminées, il se dirige vers les questions culturelles et l'aspect anthropologique de l'être humain. Il intègre d'ailleurs cette dimension culturelle dans sa lutte contre le franquisme de cette époque . (voir le site) du monde sur le sujet. En Espagne, il devient chef du service culturel du journal Nueva España, puis fonde une maison d'édition.
Il découvre la Bretagne pour la première fois, à Lorient en 1977. Il y vient pour faire un stage en psychiatrie alors qu'il est étudiant en médecine. Plus tard, alors qu'il s'implique de plus en plus dans le mouvement culturel asturien, il commence à venir régulièrement en Bretagne en suivant la délégation asturienne au festival interceltique de Lorient. En 1987, il arrive pour la première fois à la tête de cette délégation. Occupant pendant 22 ans cette fonction, il se fait remarquer pour ses capacités remarquables d'organisation et de travail et sa rigueur budgétaire.
Il fait ses débuts comme directeur du FIL lors de l'édition 2007 qu'il codirige avec Jean-Pierre Pichard. En 2008, Jean-Pierre Pichard finit par le choisir pour le remplacer en tant que directeur du festival et il forme depuis, avec le président Noël Couëdel, la nouvelle direction.
Dès le début, en 2008, il doit faire face à une baisse importante du financement de l'État, qui passe de 110 000 à 10 000 euros par édition. En plus, le festival a hérité d'une dette qui s'élève à 400 000 euros. Lisardo explique dans cette interview le plan de remboursement échelonné sur le temps et rendu possible depuis que le festival a arrêté de perdre de l'argent. A ce sujet le festival 2017 a vu l'apparition d'une diversification des offres comme les «badges de soutien», les passes, les forfaits et autres formules.
L'année prochaine, le Pays-de-Galles sera l'invité d'honneur et enfin en 2020, pour le 50e anniversaire, tous les pays seront réinvités.
■Nous n’irons plus, jamais probablement, au Festival de Lorient. Pourtant, Dieu sait comme j’ai aimé, adolescent, cette grande fête dans laquelle les revendications des six nations celtiques se manifestaient, en parades, défilés, concerts, dans le fracas des bourdons de cornemuses ou dans la voix éraillée de chanteurs de ballades politiques irlandaises. A cette époque, le festival, essentiellement bénévole et amateur, naviguait dans les eaux incertaines de l’instabilité financière. Pour assurer sa pérennité, il lui fallait, tous les ans, concéder à la cohérence de sa programmation, un concert grand public qu’il soit sûr de remplir. Dans les années 70 et jusqu’au milieu des années 80, la mode celtique aidant, ce concert-là ne s’éloignait pas trop des impératifs culturels que se fixait l’équipe qui dirigeait la chose : Brenda Wooton, Alan Stivell, Les Chieftains attiraient assez de touristes en plus des festivaliers pour permettre que le reste de la programmation soit strictement orientée vers les connaisseurs et les amoureux de(s) la culture(s) celtique(s).
Nous étions, oui, entre nous, et comme c’était bon. Ceux qui, n’étant pas celtes de naissance, ou ignorants de leur patrimoine, venaient participer au festival se voyaient offrir une programmation exigeante du point de vue artistique, et cohérente du point de vue politique et culturel. Les six nations celtiques Ecosse (Alba), Pays de Galles (Cymru), Irlande (Eire), Ile de Man (Mannin), Cornouailles (Kernev) et Bretagne (Breizh), y exposaient leur statut de colonies, y avaient une tribune pour réclamer qui l’indépendance, qui plus d’autonomie, qui la préservation et l’enseignement de sa langue.
Puis arriva le tournant des années 80. La mode celtique passée, il s’était pris des habitudes de format et de confort qu’il fut difficile d’abandonner malgré une fréquentation bien moindre. On commença à transiger sur la programmation, à mettre à l’affiche un, puis deux très gros concerts avec des stars de la pop internationale qui n’avaient la plupart du temps, rien, mais vraiment rien à voir ni avec la musique ni avec le monde celtique. L’argument était que cela permettait de garder un haut niveau de programmation pour le reste, qu’on pourrait avec ça financer les conférences qui rapportaient peu, les salons et expositions moins fréquentés, les concerts de groupes tout à fait celtiques mais plus confidentiels. Malgré tout, le financement restait aléatoire, et les festival, tous les ans suait à grosses gouttes, à l’heure des bilans financiers.
Puis vint Jean-Pierre Pichard. Ce nouveau président assuma pleinement, et on verra jusqu’à quel point le virage professionnel du festival ; attirant sans le moindre scrupules les investisseurs institutionnels et financiers, systématisant le sponsoring commercial des événements traditionnels du festival. Les différents concours de cornemuse ou de harpe ont désormais un sponsor attitré. Mais surtout il se pencha sur la question de la fréquentation en professionnel du marketing qui doit trouver une « cible ». Il fut celui qui institua la venue systématique des galiciens et asturiens au FIL. Du point de vue commercial ce fût un coup de génie. Évidemment, les groupes folkloriques du nord de l’Espagne vinrent accompagnés de leur public captif, qui inonda soudain les bars du centre ville de leur sympathique bonne humeur, bientôt suivis par des milliers de touristes espagnols.
Seulement voilà. La revendication celtique de ces provinces ibériques au demeurant très intéressantes, et dont la culture mérite d’être étudiée, cette revendication donc, est grotesque.
La Galice et les Asturies, tout le nord ouest de l’Espagne, sont sans doute la région d’Europe la moins celtisée, avec le Pays Basque. On n’y trouve aucun des marqueurs des deux grandes périodes de peuplement celtique en Europe. Pas de toponyme celtique, pas de patronymes, pas la moindre tombe à char, pas de maison quadrangulaire, qui est l’habitat des celtes dans toute l’Europe durant les périodes de La Tène et Hallstadt… Mais surtout, les Asturiens et Galiciens parlent ils une langue celtique comme le font les six nations de la ligue celtique ? Non. A-t-on une trace d’une éventuelle langue celtique de ces régions? Non. Il y eut des celtibères. Ils n’ont laissé aucune trace après l’antiquité romaine. Ni royaumes, ni fond traditionnel, et surtout, ils se sont cantonnés très à l’est des supposées « provinces celtiques d’Espagne »…
Alors sur quoi se fonde la revendication de ces sympathiques espagnols ? Sur une vraie singularité, qui mérite en effet d’être défendue, l’appartenance à la civilisation « castreixa », sur laquelle on sait peu de choses, en dehors de ce qu’elle avait conçu un habitat original (et qui n’a rien de celtique), sous la forme de villages fortifiés en zone littorale, formé de maisons rondes. Ces groupes ethniques se rêvent celtes en raison de l’usage qu’ils font d’une forme particulière de cornemuse, la « gaïta ». Seulement si l’usage de la cornemuse était un marqueur de l’appartenance au monde celte, il faudrait intégrer une bonne partie de l’Europe qui en fait usage, ainsi que des populations turques d’Anatolie, et jusqu’au Pakistan… Rappelons seulement que la cornemuse a été inventée au moyen-âge, probablement pas en terre celtique et qu’elle s’est répandue dans toute l’Europe aux XVe et XVIe siècles… Si les celtes en font un usage plus important qu’ailleurs, ils n’en ont certainement pas le monopole…
Qu’importait à Pichard ? La réalité historique ? La cohérence ethnique? La simple honnêteté ? Qu’importait ? Rien. Le tiroir caisse fonctionne, et des hordes d’espagnols guillerets se répandent dans Lorient, le mensonge historique qui fait écran à une vraie étude de leurs spécificités historiques et culturelles favorisant l’expansion du commerce local, et le bilan comptable des bars largement aux mains de propriétaires tout à fait français -c’est à dire pas le moins du monde bretons...
L’opération s’étant révélée fructueuse, on l’a renouvelée avec les Australiens (il y a des pipe-bands en Australie, l’occasion était trop belle), puis avec quelques provinces canadiennes (si possible francophones, c’est à dire les moins celtisées de la région, mais qu’importe?), on attend avec impatience les futures récipiendaires du diplôme de celtitude façon Lorient.
La nomination de M. Lisardo Lombardia (dont chacun peut goûter le caractère tout à fait celtique de son patronyme), continuateur zélé de la politique du sieur Pichard parachève donc la transformation professionnelle du FIL. Il y a quelques années, il a été interdit aux producteurs de Muscadet (pourtant seul vin breton) de vendre leurs produits sur le site, car un contrat d’exclusivité avait été passé avec les vins d’un terroir francais fort éloigné de la Bretagne. L’année suivante, le stand de l’association qui promeut la réunification de la Loire Atlantique à la Bretagne a été prié de dégager, les cartes de la Bretagne historique qu’il affichait faisant ombrage à celles du Conseil Régional… Lors de la « Grande Parade des Nations Celtes » défilent donc désormais des espagnols des ressortissant de Nouvelle France, au Canada, mais il est interdit de manifester l’appartenance de la Loire Atlantique à la Bretagne, sous peine d’être expulsé du cortège comme ce fut le cas il y a un an ou deux… La kermesse mondiale est arrivée à Lorient. Au nom de l’idéologie inclusive tout le monde est celte s’il le veut. D’ailleurs les francais qui il y a quarante ans crachaient sur la tête des bretons se moquant de leur « folklore » et leur interdisant toute forme d’autonomie, et surtout de spécificité linguistique, se rengorgent devant le FIL le qualifiant de « vraie fête francaise », se réclamant à leur tour d’un celtisme qu’ils ont vomi pendant des générations. La conscience de leur disparition prochaine sous les coups d’une immigration incontrôlée leur fait désormais adorer ce qu’ils méprisaient hier. Encore faut-il voir jusqu’où, car les cornemuses deux mois par an, oui, mais la langue bretonne à parité en Bretagne avec la langue française, sûrement pas…
Il y a un peu de désespoir dans ces constats. Mon adolescence celtique, militante, et un peu plus est morte. L’Irlande pense plus à son statut fiscal européen qu’à sa réunification, les écossais, même les plus nationalistes se trouvent très bien sous le joug du Reich bruxellois, et plus un breton n’enseigne à ses enfants les noms de Nominoë, ou Yan-Kel Kernaleguen.
Et ne comptons pas sur le festival de Lorient pour contribuer à faire renaître notre différence. Il a depuis longtemps entériné le règne du tiroir caisse.