Politique linguistique de la Région : Lettre ouverte au Président de la Région Bretagne (B4)
Le 22 novembre 2011 j'ai pris la peine de vous écrire longuement la lettre suivante qui était accompagnée d'un dossier complet sur le sujet.
« Toute lettre mérite réponse » dit-on. Avant que la Région ne décide de sa politique linguistique pour les années qui viennent, je souhaite donc vivement en obtenir une.
Restant à votre disposition et dans l'attente, je vous adresse l'expression de ma parfaite considération.
Yannig BARON
(Vannes le 9/01/12)
Objet – Politique linguistique de la Région
Monsieur le Président,
Je ne suis plus président de Dihun-Breizh et n'ai plus aucun contact avec sa direction. Je suis membre du bureau du CCB et membre de sa commission N° 1 : Éducation-enseignement. C'est à titre personnel que je vous écris venant d'apprendre que la Région se propose de retirer 80.000 € de la subvention habituelle à l'association.
Pourquoi ? « Parce que cet argent était détourné pour faire de l'anglais » me dit-on….
A) Il suffit de consulter les demandes de subventions de l'association et les conventions signées en retour et rédigées par vos services pour constater que tout à toujours été fait dans la plus grande clarté... Il suffit aussi de consulter tous les documents qui ont été envoyés régulièrement à la Région chaque année et les réunions et colloques auxquels nombre d'élus ont participé...
B) Les subventions accordées par la Région à Dihun l'ont été à différents titres mais aussi, comme souligné partout, pour le développement du « Programme Multilingue Breton » qui a obtenu de nombreuses reconnaissances dont le « label Européen des langues » en 2007.
C) Il importe de savoir que la pédagogie de l'enseignement des langues a beaucoup progressé en Europe. Ce qui se fait en Bretagne est en grand retard sur l'évolution en ce domaine. On y pratique dans l'enseignement monolingue comme dans le bilingue par immersion ou semi-immersion l'apprentissage des langues de manière parallèle, comme deux ou trois monolinguismes juxtaposés. En Bretagne, pour plusieurs raisons, le fixisme sévit et les pratiques restent les mêmes qu'il y a 30 ou 40 ans alors que le monde a beaucoup changé.
C'est une des raisons de la trop lente progression de l'enseignement du et en breton.
Ce qu'a fait Dihun depuis 15 ans c'est prendre en compte, progressivement, les nouvelles connaissances pédagogiques comme au Pays Basque sud par exemple, à savoir « l'enseignement intégré des langues » . On ne peut plus les enseigner indépendamment les unes des autres ni enseigner trois fois la même chose dans chacune sans laisser l'élève faire lui-même les transferts qui enrichissent sa pratique et donc l'acquisition des trois langues qui lui sont nécessaires aujourd'hui. Cette pédagogie a aussi l'avantage de mettre la langue régionale au cœur du système. (Je ne puis développer plus longuement la chose ici, ce n'est pas seulement une question de durée d'enseignement mais aussi une manière de faire conçue pour des enfants déjà bilingues).
D) Cette évolution se fait partout et arrive en France aussi. Consultez en PJ le compte rendu du colloque qui s'est tenu à Montauban le 16 avril 2011 où j'ai été délégué avec le soutien de la Région. Le colloque tenu à Locarn en juin 2010 a illustré cette approche de manière éclatante en présence de plusieurs élus régionaux mais aussi de Jean-Jacques Urvoas député. Ce colloque était soutenu par la Région.
Cela est si vrai que 3 des 4 propositions de loi actuellement déposés à l'Assemblée nationale comme au Sénat proposent ce type d'enseignement : « Dans les établissements et filières pratiquant la parité horaire ou l'enseignement intensif en langue régionale, une troisième langue vivante peut être introduite dès la maternelle selon les modalités spécifiques de l'enseignement intégré des langues ». (Article 14 Chapitre IV de la proposition Jung/Urvoas). Cette proposition a été débattue et adoptée à l'unanimité de la commission langue de Kevre-Breizh sur proposition de Dihun en 2009.
E) A votre demande, le Conseil Culturel de Bretagne, 3e chambre officielle que vous avez instituée, a travaillé le sujet et a conclu que cela est la voie de l'avenir si l'on souhaite le sauvetage des langues de Bretagne. Les « Propositions pour l'enseignement des langues de Bretagne » qui ont été votées à l'unanimité le 14 mai 2011 en Assemblée Plénière, soulignent l'intérêt de cette évolution, (5.2 page 9 ) et demandent « l'intégration de l'anglais, dans les filières bilingues, selon la méthode d'enseignement intégré des langues » (Point 3.3 page 15).
Ce que le CCB demande, ce n'est pas de détruire ce qui existe, avant de pouvoir l'étendre, mais au contraire de le généraliser dans toutes les filières de Bretagne.
F) Il faut aussi savoir que si la langue basque est sauvée avec 130.000 locuteurs jeunes en plus en relativement peu de temps, cela est dû en partie à l'introduction de cette pédagogie dans les ikastolas et les filières bilingues en Euskadi du sud. Les écrits de Jean OLLIVRO par exemple en témoignent. Madame Itziar Elorza, une des fondatrices de cette pédagogie, qui est venue en Bretagne plusieurs fois, vient de passer son doctorat le vendredi 18 novembre sur le thème : « Du bilinguisme au plurilinguisme. Le projet d'innovation éducative Eleanitz-English des ikastolas. » (1) avec les félicitations du jury. Ce procédé est généralisé dans toutes les écoles du Pays Basque sud. Elle devrait revenir en Bretagne en 2012. Pour dire quoi ? « Nous avons travaillé avec Dihun depuis 16 ans, mais tout y a été cassé ? »
Parlons clairement : Détruire cette avancée qui ne demande que sa généralisation dans les trois types de filières serait compromettre gravement l'avenir des langues de Bretagne. Pas seulement le breton, mais aussi le gallo puisque Dihun a adapté la formule à son enseignement en maternelle pour la première fois dans l'histoire de cette langue. Ce serait refuser le progrès pédagogique. A la limite, les principes du PMB vont-il pouvoir se perpétuer pour le gallo et pas pour le breton ?
On nous rétorquera sans doute : « C'est le rectorat qui ne veut pas. » Mais pourquoi ? Pour respecter le sacro-saint « règlement » ou comme prétexte au fixisme ? En Corse comme en Alsace on « expérimente » à tour de bras. Pourquoi pas en Bretagne ? Ce n'est pas une question de « règlement » mais une question de volonté fermement exprimée de notre part. C'est surtout l'intérêt des enfants en Bretagne.
Par ailleurs : Prétendre que dans le cas de Dihun, « l'argent de la Région servirait à remplacer le travail de l'Éducation Nationale en anglais » est faux. En effet, ce qu'assure DIHUN ce n'est nullement la durée prévue dans les programmes eux-mêmes (en gros 1 h 30 par semaine du CE1 au CM2) mais ce qui dépasse cette durée et qui est nécessaire au résultat. (2)
Quand les collectivités locales ou territoriales aident Diwan (ce qui est très bien) elles aident tout ce que fait Diwan. Pourtant à Diwan, on fait aussi du français, de l'anglais, de l'arabe, du latin parfois et dans des proportions bien plus grandes que ce que fait Dihun en complément des programmes officiels. Alors ?
La Région va-t-elle aussi retirer à Diwan ce qui concerne les disciplines non faites en breton ?
Je souligne encore que Dihun est l'association bretonne qui se prend le plus en charge. Alors que nos amis ont souvent des budgets financés entre 90 et 95 % par de l'argent public, Dihun s'est toujours employé à faire participer les parents. Dans son budget, les subventions ne représentent qu'un pourcentage autour de 50 à 55 %.
La réduction de 80.000 € provoquerait à coup sur le licenciement des ¾ des 9 ETP qui y travaillent.
Voilà ce que je souhaitais vous dire afin que cette décision soit appliquée (ou pas) en toute connaissance de cause. Il me semble aussi très anormal que ce genre de choix soit fait sans tenir compte de la réalité sur le terrain, sans tenir compte de l'évolution de la pédagogie et de l'intérêt des enfants ni de l'avenir des langues de Bretagne, sans tenir compte des propositions faites par le CCB... Finalement par quelques personnes...
J'ai limité mon propos au domaine de l'enseignement.
Restant à votre disposition pour plus d'informations si vous le souhaitez, veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.
Yannig BARON
(1) Le Programme Multilingue Breton est l'application locale du programme basque Eleanitz, élaboré également avec le Catalan J.-M. Artigal).
(2) A Vannes les élèves arrivent en 6e où ils poursuivent leurs études en trois langues. Comme cela est passionnant pour eux il y a un suivi primaire/collège proche de 100 %. Et comme ils sont nombreux de ce fait, c'est là qu'ils ont le plus d'enseignements de et en breton. Comme ils ont déjà le niveau A2 en anglais en expression orale, (tests de Cambridge) dès le CM2, (celui demandé par l'E.N. en 3e...) ils n'ont plus de cours d'anglais mais des cours en anglais. En 3e ils sont parfaitement trilingues comme le souligne l'évaluation faite durant toute une semaine par Gilbert Dalgalian portant tant sur les résultats en anglais mais aussi en breton et le tout comparativement aux monolingues. Ceci de la maternelle à la classe de 3e. (Les rares personnes qui nient ce résultat scientifique, le font par idéologie et non pour des raisons pédagogiques...).
■Vous appuyez votre argumentation sur l'expérience menée au Pays Basque sud. Or, le contexte socio-linguistique est radicalement différent. La société basque est complètement bilingue dans la zone bascophone, tandis que la société bretonne est elle presque complètement monolingue... cela fait une différence de taille quant à l'acquisition du basque et du breton. Autant là-bas le contexte linguistique facilite grandement la formation de jeunes bascophones, autant ici, former de jeunes bretonnants demeure une gageure même dans les filières bilingues. L'introduction de l'anglais pose évidemment moins de problèmes lorsqu'on est bilingue précoce (cas effectif des jeunes bascophones) que lorsque le bilinguisme peine à s'installer concrètement dans les classes bilingues et n'est pas une évidence pour tous les élèves arrivant au collège.
L'enquête de Dalgalian suffit-elle à apporter une réponse si définitive que cela sur la réussite du modèle de l'enseignement intégré des langues, notamment sur le plan de la pratique orale de la langue bretonne ? J'ai des doutes.
Pourquoi ce qui est fait par Dihun et dans les ikastolas n'est-il pas déjà étendu à Diwan et à Div Yezh ?
La première fois que j'y ai été, il y a 16 ans les responsables des ikastolas m'ont dit : «Nous ne sauverons pas la langue comme petite langue a côté de l'Espagnol mais nous allons le faire en la mettant au centre d'un bouquet linguistique répondant à tous les besoins des enfants. » et c'est ce qui se produit.
Ce n'est pas seulement l'étude de Gilbert Dalgalian dont on connaît la compétence qui le montre, mais surtout la situation en Euskadi qui est déterminante: 130 000 locuteurs en plus en quelques décades, essentiellement des jeunes.
Yannig BARON
La comparaison avec le pays basque sud me semble donc bien hasardeuse (je ne prends même pas en compte l'omniprésence du basque dans les médias...).
Mais cela n'a rien a voir avec la question de la troisième langue. La seule fois où les tests de Cambridge (sérieux ceux-là) ont été fait en hexagonie au niveau CM2 c'est dans une école bilingue non Diwan et le résultat à été 23 élèves sur 23 de réussite en expression orale. Je ne pense pas que ce soit le cas à DIWAN?
Outre le plaisir de connaître une 3e langue, les enfants poursuivent tous ou presque en 6e ce qui change beaucoup la réalité actuelle et du fait de leur nombre, c'est là qu'ils ont le plus de breton aussi.
Savez-vous que l'ensemble des 3 filières «produit» moins de 300 lycées bretonnants par an. Croyez-vous que le breton sera sauvé ainsi ?
Quand j'ai été pour la première fois dans les Ikastolas de Saint Sebastien les responsables des Ikastolas m'avait dit aussi : " Le nombre des élèves qui viennent chez nous a commencé à baisser... Mais là ou nous pratiquons la méthode Eleanitz il remonte... Depuis ils ont gagné la bataille.
Ne croyez-vous pas que si DIWAN voulait bien faire comme les Ikastolas du Sud le nombre des élèves y grandirait beaucoup plus vite ?
Enfin, En Bretagne tout le monde a compris que le bilinguisme favorise l'apprentissage des deux langues, il reste à comprendre que l'introduction d'une troisième dès la maternelle , suivant les principes de l'immersion et non pas n'importe comment, favorise aussi l'acquisition des 3. Et donc dans notre cas favorise le breton en qualité et en quantité. Et cela n'a rien a voir non plus avec confessionnel ou pas. La seule question est la suivante : Les bretons veulent-ils sauver leurs langues ou continuer avec une progression qui dans l'état actuel des choses ne peut le faire !
Merci de votre contribution. Yannig BARON
Enseignant de gascon bénévolement à des adultes pour la 23e année, il m'est agréable de vous dire que je ne cesse de me référer aux autres langues qu'ils peuvent connaître, français, espagnol notamment et même anglai, et je leur apprends des choses même en français, alors que la plupart sont bac+N, acquis au bon vieux temps. Bon courage et Kenavo! JL
J'ai fréquenté l'Euskadi plusieurs fois par an depuis 37 ans ( j'ai commencé sous Franco) et depuis 16 ans en collaboration avec les responsables des Ikastolas. Allez à Donostia écoutez la langue que l'on parle dans la rue, C'est à 80% de l'espagnol. rRegardez les librairies et vous constaterez que ce n'est pas si brillant que cela... mais cela changen rapidement, d'abord dans les petites villes et dans les villages.
Vous demandez comment ils ont trouvé les enseignants pour le faire : Parce que le gouvernement basque avait mis en place le «vaste plan de formation» qu'il nous faut en Bretagne. TOUS les enseignants de l'enseignement public, je dis bien TOUS, ont été «invités» à aller se former durant 3 ans... En fin de course il en restait une centaine qui ne voulaient pas enseigner le basque, ils ont même fait une grève de la faim pour cela et il leur a été répondu qu'il y avait un problème car il n'y avait plus assez d'élèves en espagnol pour eux...
je suis bien d'accord, aucune situation n'est totalement comparable, mais si vous en voulez d'autres c'est possible. La Corse par exemple:
La première filière bilingue y date de 1999. Quand on demandait aux parents s'il en voulaient 7% répondaient OUI... comme dans le Penn ar bed. Aujoud'hui une école sur deux en a une et l'objecfif est qu'il y en ait une dans toutes les écoles dans 5 ans.
Si vous voulez d'autres exemples on peut prendre aussi l'Alsace ou il n'y a plus de transmission familiale non plus. Et pourtant la progression y est beaucoup plus rapide qu'en Bretagne. Ils manquent totalement d'enseignant et luttent pour en faire venir de chez les voisins.Ils ont même gagné au tribunal pour deux enseignantes dans ce cas...contre l'état.
La grande majorité des enseignants qui arrivent en Bretagne maintenant sortent des formations intensives. Je sais aussi de quoi je parle aussi. J'ai lancé la première avec 7 élèves à l'UCO de Vannes en 1996 et nous n'avions pas la moindre subvention ni le moindre sou qui sont arrivés que 3 mois après l'ouverture. J'en ai pris le risque et j'ai invité Stumdi pour le faire... Aujourd'hui il y a des centres Stumdi, Roudour, Skol an Emsav un peu partout. Il s'en trouvait pour dire: ce n'est pas grave il est fou. Maintenant il y en a autour de 200 par an. J'en connais même un qui, sortant de la première formation ci-dessus, est devenu conseiller pédagogique de breton et...lutte contre DIHUN.
Tout cela est d'abord question de volonté. Quand on veut trouver l'argent on le trouve. Tiens je lance une idée: Deux partis bretons demandent que l'on fasse un emprunt régional comme dans d'autres régions hexagonale. pourquoi pas 5% pour le vaste plan de formation d'enseignants bilingues dont nous avons besoin et qui créerait des emplois non délocalisables..
Bonne soirée et heureux de dialoguer avec vous.
Yannig BARON
EWAN MORIO
Patrick Yves GIRARD.