Les plus vieux mégalithes ne sont pas en Bretagne

Chronique publié le 27/11/23 7:23 dans Patrimoine par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Source : Klaus Schmidt : "Göbekli Tepe – the Stone Age Sanctuaries. Documenta Praehistorica XXXVII (2010), p.239.
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L'expansion des mégalithes est-elle corollée avec l'expansion de l'agriculture ? Source: carte de l'expansion de l'agriculture du Centre archéologique de Leibniz et de l'Institut autrichien d'Archéologie.

Le plus vieux site mégalithique n'est pas en Bretagne mais en Turquie, plus précisément au Kurdistan nord, qui fait partie de la Turquie actuelle dans cette zone aussi appelée «le croissant fertile» où l'agriculture et l'écriture auraient été inventées. Le site, entre le Tigre et l'Euphrate, est connu sous le nom de [[Gobekli Tepe]] mais le nom du lieu en kurde est Girê Mirazan dans la province kurde de Bakurê. Le site a aussi un nom arménien. La région dont la capitale est Urfa ou Şanlıurfa, l'ancienne Odessa, fut sous protectorat français après la Première Guerre mondiale.

Le plus vieux site mégalithique au monde

Gobekli Tepe fut construit au néolithique entre 8000 et 9500 av J.C. alors que les plus vieux mégalithes en Bretagne et en Europe remontent à 4700 av J.C. pour le cairn de Barnenez. Donc Gobekli Tepe commence à être construit 3000 à 5000 ans, disons 4000 ans, avant le cairn de Barnenez et 6000 ans avant Stonehenge en Grande Bretagne, qui date de 3000 av J.C. Et bien avant les pyramides qui datent de 2500 av J.C. Un autre site, juste 20km plus loin, Karahan Tepe, semble encore plus ancien.

Les agriculteurs venus de Turquie, il y a 8 000 ans, sont venus à pied jusqu'en Irlande. Ont-ils apporté le cromlec'h puisque ils existaient en Turquie bien avant ? Pas uniquement, puisque les peuples des steppes qui ont migré en Europe de l'Ouest il y a 7000 ans semblent avoir apporté aussi le [[Kurgan]], ces tombes funéraires mégalithiques. Le cairn de Barnenez ou celui de Saint-Michel dans le Morbihan sont juste des immenses kurgans collectifs. Les kurgans avaient aussi des entrées sous des amas de terre ou de pierres. Ces traditions ont pu se croiser pour donner ce formidable essor mégalithique atlantique.

Avant l'agriculture ?

Gobekli Tepe aurait été construit avant l'agriculture par des chasseurs-cueilleurs car il n'y a aucune évidence d'activité agricole dans cette région à l'époque de la construction du site. L'agriculture est apparue dans le croissant fertile (bien plus vert et fertile qu'aujourd'hui) un peu plus tard, mais certains pensent en même temps que sa construction. L'agriculture a ensuite migré vers l'Europe avec la fonte des glaces et le réchauffement climatique qui a suivi la fin de l'ère glaciaire alors que le croissant fertile, lui, est devenu de moins en moins fertile au fil des millénaires. Ce réchauffement continue encore aujourd'hui. Pour rappel, au néolithique, on pouvait aller à pied dans les îles britanniques, y compris en Irlande, en passant par le Cotentin ou le Pas de Calais. Il y avait juste un grand fleuve à traverser, genre Amazone, le Rhin, où confluaient Meuse, Seine et Tamise.

Gobekli Tepe remet en cause l'idée que la civilisation est née avec l'agriculture et la création de cités qui nécessitent l'organisation du travail.

Le naturel et le surnaturel

Mais pourquoi des chasseurs cueilleurs auraient-ils construit un tel monument ? Les animaux sculptés en relief sur les piliers de Gobekli Tepe montrent un environnement de chasseurs : gazelles, lions, taureaux, sangliers, renards, ânes, singes, serpents, vautours at autres oiseaux, insectes dont des scorpions et même des léopards. Le temple semble dédié au monde naturel, à cette nature que ces peuples du néolithique craignaient, respectaient et qui les nourrissait. Ce sont de véritables animaux et non pas des animaux mythologiques.

Nous sommes ici probablement dans ce monde de shamans pré-druidique avec des clans totémiques qui devaient se rassembler à certaines périodes de l'année pour des rituels de purification et des procédés de communication avec ce monde naturel. On imagine des accords avec les esprits de ces animaux sanctifiés afin d'obtenir des faveurs, de bonnes chasses, de bonnes récoltes de ce seigle sauvage dont on a retrouvé des traces autour du site. L'iconographie en trois dimensions, restée intacte sur les piliers, montre que les dieux n'existaient pas encore pour ce peuple, mais que les esprits, des manifestations invisibles de ce monde naturel devaient être pour eux des réalités. Des animaux les incarnaient ? Nous ne serions pas loin du système de croyances des peuples premiers d'Amérique du Nord.

De leur côté les animaux représentés sur les mégalithes bretons sont assez limités, à part les baleines, des aurochs, des chèvres... Beaucoup de ces pictogrammes auraient disparu car contrairement à Gobekli Tepe enseveli pendant 10 000 ans, ils sont à l'air libre exposés aux intempéries. Il n'y a qu'à l'intérieur des allées couvertes comme à Gavrinis ou à la Table des Marchands que les pictogrammes sont restés intacts.

Les piliers de Gobekli Tepe comportent aussi des pictogrammes dont la signification n'a pas encore été établie. Une autre similitude avec les mégalithiques et les tombes funéraires en Bretagne comme Gavrinis. Il y a d'autres points communs comme la pratique de déplacer les sépultures ou l'architecture circulaire.

Calendriers héliaques

Gobekli Tepe est aligné nord-sud exactement, mais tous les enclos n'ont pas encore été excavés. Il y en aurait au moins 16 et seulement 4 ont été fouillés. Plusieurs alignements astronomiques ont été proposés, du moins pour la plus ancienne des structures. Deneb, Orion ont été rejetées. Sirius est contestée mais a surement joué son rôle. L'archéoastronome Giulio Magli a fait remarquer que, vers 9300 av. J.C., Sirius a commencé à apparaitre à l'horizon entre les deux piliers centraux alors que cette étoile était invisible à cette latitude depuis 15 000 av. J.C. mais d'autres ont fait remarquer que la magnitude de cette étoile était trop faible à cet endroit pour être visible juste avant le lever du soleil. Venceslas Kruta, a montré que le [[lever héliaque]] de Sirius signalait la fête de [[Lugnasad]] dans les pays Celtes. Bien sûr, Sirius était aussi au coeur du calendrier égyptien puisque son lever héliaque correspondait à la crue du Nil. Sirius, une étoile essentielle de la cosmogonie de l'antiquité, voire du néolithique.

D'autres ont fait remarquer que le pilier 43 avec les pictogrammes d'un cygne et d'un scorpion représente exactement la constellation scorpion au dessous de celle du cygne. Mais la sculpture ressemblerait plus à un vautour. D'autres y voient un calendrier et une grue représentant l'arrivée de l'hiver (un calendrier à deux saisons) qui correspondrait avec leur migration et leur arrivée dans cette région venant du nord de l'Europe. Beaucoup attendent sagement que tout le site soit exploré pour avancer des théories sur l'usage du site. Il peut s'agir de constructions en association avec un calendrier très précis qui corrélaient le retour annuel d'oiseaux ou d'animaux migrateurs, voire la germination de certaines plantes avec le lever héliaque de certaines étoiles.

Découverte tardive d'un site enfoui pendant 10 000 ans

Volontairement enfoui, ou victime de glissements de terrains, le plus vieux site mégalithique et le plus vieux temple du monde est resté caché des milliers d'années. Seulement quelques pointes de silex, et ce que l'on pensait être des pierres tombales affleuraient (le haut des piliers en forme de T). Le site a été repéré en tant que site archéologique en 1965 dans le cadre de recherches turco-américaines conduites par l'université d'Istanbul. La présence éventuelle de cimetières, dont la destruction est interdite dans la loi musulmane, a sans doute contribué à décourager les archéologues. Les Kurdes avaient aussi un arbre au sommet du tertre autour duquel les gens se rassemblaient au moment de l'équinoxe.

En octobre 1994, l’archéologue allemand Klaus Schmidt visite le tertre de Göbekli Tepe et se convainc que l'endroit recèle certainement d'importants vestiges. Dès lors, depuis 1995, le site fait l’objet de fouilles organisées par le musée archéologique de Şanlıurfa et l’Institut archéologique allemand. Klaus Schmidt dirige le chantier archéologique de 1995 à sa mort, en 2014. Les fouilles continuent en débit que le lieu soit devenu une destination touristique. Seulement 5% du site aurait été excavé à ce jour.

Contrairement aux alignements de Carnac et aux mégalithes du Morbihan, Göbekli Tepe a été inscrit au patrimoine mondial culturel de l'humanité en juillet 2018 par l’UNESCO.


Vos commentaires :
Alain E. VALLÉE
Dimanche 22 décembre 2024
La photo supra et d'autres montrent un jeu de stèles constituant des doubles cercles concentriques.
Mais il ne s'agit pas de «mégalithes» au sens de ceux connus en Europe et très particulièrement en Bretagne.
Cette civilisation de «Gobekli Tepe mais le vrai nom du lieu en kurde est Girê Mirazan dans la province kurde de Bakurê» en Asie Mineure, certes très ancienne : >8000 ans BC, est bien plus ancienne que la civilisation européenne décrite par Me Betina SCHULZ PAULSSON.
Mais elle n'est manifestement pas mégalithique : -4700 BC.
AV

Jean-Louis Pressensé
Dimanche 22 décembre 2024
Le mégalithisme est un phénomène mondial : on trouve des stèles de la Mongolie à l'Ethiopie. Mais quel pays a une concentration et une diversité de «gros cailloux» comparables à la France (je ne dis pas la Bretagne, dont l'Est est 'contaminé' par le modèle angevin, tout comme pour le gallo...). Le site Carnac-Locmariaquer devait être présenté à la commission ad hoc de l'Unesco en 2023, la malencontreuse affaire du Mr Bricolage de Carnac n'a pas dû servir le dossier, peut-être renvoyé aux calendes grecques ?
Bref, ne comparons pas la Bretagne mégalithique à un site exceptionnl comme Göbekli Tépé, qui pose des questions d'importance, tant sur la naissance des manifestations votives que sur celle de la naissance de l'agriculture ou de la 'ville' (de nouvelles trouvailles pourraient bien remettre en question la non-présence d'une cité voisine, ce qui serait fabuleux).
Non, il faut comparer nos sites (de Carn et Barnenez à Monteneuf et Saint-Just ils ont fière allure), à l'existant dans notre «région» : par exemple, Filitosa en Corse est un parc touristique où les stèles ont été déplacées et rassemblées pour les besoins du tourisme...

Naon-e-dad
Dimanche 22 décembre 2024
Merci pour ce très intéressant article.
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Les datations de cette magnifique carte sont bien données par rapport à un repère fixe standard (BBC/Before Christ Era ou avant JC), alors que dans le deuxième paragraphe, certaines dates semblent relatives au présent (il y a 8 000 ans…, il y a 6000 ans…). Ce qui marque une différence de 2000 ans capable d’amener une certaine confusion pour un lecteur rapide.
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Concernant les climats actuels, ne pas oublier que la Galilée (et plus spécialement encore la Haute-Galilée) est un petit trésor naturel, ; à visiter spécialement au printemps (floraisons assurées). La fête de Pâques (juive ou chrétienne) vers avril, correspond à la fête des moissons céréalières (juillet/août en Bretagne). Ceci permet de se rendre compte du décalage climatique, à date constante.
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Le mont Liban (culmen à 3088 m, selon wikipedia) reste le château d’eau de la région. Certains voyageurs explorateurs y ont pratiqué le ski de randonnée dans les années 90’s. A la même époque, il existait une petite station de ski à l’extrême nord d’Israël. Je ne sais si elle est encore en activité ?
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Encore un repère à propos de l’histoire des civilisations : Jéricho (altitude négative : -300 mètres environ), à proximité immédiate de la mer Morte, est considérée comme la plus vieille ville du monde : de 6.000 ans à 9000 ans avant notre ère (selon les sources, et les périodes de publication ! Car l’exploration archéologique est incessante dans ces contrées).
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Observation personnelle : des roches manifestement polies naturellement par de puissants mouvements d’eau (Sinaï). Le désert n’a pas toujours été désert. Cela est bien connu, mais le constater sur place est impressionnant et fait réfléchir sur l’histoire (même relativement récente, à échelle géologique : quelques dizaines de milliers d’années, seulement ?) de notre planète.
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N’eus ket bet ar gouelec’h nemetken, a-viskoazh ha lec’h-mañ-lec’h. Glasdur zo bet ivez, a-wechoù, gwechall gozh. Cheñch a ra an hin, evel ma ouzer mat. Evel ma weler hirio.

Naon-e-dad
Dimanche 22 décembre 2024
rectificatif : BCE signifie Before Common Era (Avant l 'ère commune, en français), ce que l'on désigne aussi par BC (Before Christ) ou avant JC (avant Jésus-Christ), en français.. ___ A l'intention des susceptibles ou allergiques, il s'agit d'un repère de principe, en décalage de quelques années (pour des raisons historiques et techniques) par rapport à l'événement christique survenu à Bethléem.

Philippe LEDRU
Dimanche 22 décembre 2024
Si le Moyen Orient et le Sahara étaient verts , c'est pendant les glaciations il y a + de 9000 ans,la température y était tempérée et la banquise arrivait aux Alpes , pourquoi les hommes qui avaient du mal à se vêtir s'enhardissaient vers le nord au risque de geler , mystère ?

Naon-e-dad
Dimanche 22 décembre 2024
Excellente remarque :-) Cela dit, en visitant le site préhistorique de Lascaux (-18.000?) , j'ai été surpris, pour ne pas dire ébahi, d'apprendre à quel point l'effectif estimé de la population européenne à l'époque était faible (presque anecdotique à échelle de notre sub-continent). Vient alors une question: combien à la même époque dans les régions tempérées.? -- En tout cas votre question est excellente...Dispar ar goulenn-se...

Alain E. VALLÉE
Dimanche 22 décembre 2024
L'inscription par l'UNESCO d'un bien au patrimoine de l'Humanité, suppose des conditions de possibilités : volonté, rigueur et continuité. Dans ce domaine les États agissent selon le Droit International Public.
La toute première condition pour un classement est que l'État où se trouve le bien à classer soit convaincu de sa valeur patrimoniale et ait mis en oeuvre une politique active de protection et de valorisation. Mais le moins que l'on puise dire est que s'agissant des alignements de Carnac ou même en général du patrimoine très ancien (mégalithique, antique et haut moyenâgeux) l'effort est terriblement insuffisant.
Il est comme miraculeux que certains de ces vestiges soient encore visibles, debout, ... Mais tant d'autres sont dans un état évident de précarité, surtout qu'en plus, selon des choix politiques délibérés pour des intérêts très secondaires sinon particuliers, ils sont mal renseignés et mal protégés dans les documents d'urbanisme.
En l'État de la calamiteuse situation qui porte gravement atteinte à l'imprescriptible droit de l'Humanité sur ses oeuvres, l'UNESCO n'aurait logiquement aucun autre choix que d'emblée classer l'ensemble des mégalithes bretons (dont l'inventaire reste peut-être même à réaliser par une entité scientifique) et leur environnement dans la catégorie des vestiges en péril.
AV

Emanuel Aguiar
Dimanche 22 décembre 2024
Bonjour,
Au Portugal le plus ancien site daté au C14 a donné le résultat 8870-+105. Il existe d'autres sites avec des datations comprises entre 7000 et 1030. Par ailleurs, le même type de pictogrammes que ceux de Glozel ont été découverts et etudiés. Si l'on se penche, également sur les récentes découvertes archéologiques en Europe centrale, ne serait il pas temps de remettre à jour le panorama des peuplements préhistoriques en Europe, Moyen Orient et Asie mineure ?

Seigné Dominique
Dimanche 22 décembre 2024
J admire toutes ses personnes qui nous apportent tant grâce à leur savoir. C est passionnant. Merci.

Armel le Sec'h
Dimanche 22 décembre 2024
On peut penser que les difficultés des mégalithes bretons vis a vis de l Unesco viennent de Paris. Rien de bon en Bretagne

William Lucas
Dimanche 22 décembre 2024
il faut juste humblement se rendre compte que l'origine de l'homme et son évolution ne sont pas situées en Bretagne même si les «mégalithes» y sont trės présents.l'on peut sûrement en deduire qu'il fait bon vivre en Bretagne et ce depuis longtemps.

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