Les Kurdes ont-ils droit à un Etat ?

Communiqué de presse publié le 12/12/12 17:53 dans Politique par André Métayer pour André Métayer

Les Kurdes de Turquie, d'Irak, d'Iran, de Syrie, forment un peuple de 40 millions de personnes sur un territoire d'un seul tenant, séparé par les lignes de frontière arbitraires imaginées par les Anglais et les Français au temps où ils se partageaient le Moyen Orient. Bien sûr la question de la réunification d'un grand Kurdistan n'est pas à l'ordre du jour et chaque Kurdistan a ses propres revendications identitaires au sein des Etats où ils sont rattachés, mais la question reste posée : «Les Kurdes ont-ils droit à un Etat ?» La réponse est oui. C'est le plus grand peuple au monde sans État, affirment Olivier Piot et Julien Goldstein auteurs de «Kurdistan, la colère d'un peuple sans droits». A titre de comparaison les Israéliens, les Palestiniens, les Jordaniens, les Libyens sont de 6 à 8 millions chacun, les Saoudiens 26 millions, les Syriens 22 millions dont 15% de Kurdes, les Irakiens 29 millions dont 24% de Kurdes, les Turcs 74 millions dont 20 à 25 % de Kurdes, les Iraniens 77 millions dont 12 % de Kurdes. On peut ergoter sur les chiffres et les pourcentages, on peut se gausser des chamailleries entre Kurdes, on peut tirer argument de la puissance économique des uns ou de la position stratégique des autres, mais les faits sont là : les politiques d'éradication et/ou d'assimilation menées à l'encontre des Kurdes par les Saddam Hussein, Mahmoud Ahmadinejad, Hafez et Bachar el-Assad, Atatürk et Erdogan et par d'autres, bien avant eux, ont toutes échoué. Les forces internationales qui s'apprêtent à intervenir dans cette partie du monde devraient le savoir.

La douce utopie du rêve kurde pourrait devenir réalité.

Les Kurdes sans État, mais pour combien de temps ? Le rêve kurde, considéré comme une douce utopie jusqu'à lors, pourrait devenir réalité. Déjà les Kurdes d'Irak («Kurdistan Sud») ont obtenu, à la chute du dictateur Saddam Hussein, le statut d'une région autonome dans le cadre de la République d'Irak. Les Kurdes syriens («Kurdistan occidental») montrent, après avoir secoué le joug du dictateur Bachar el-Assad, qu'ils sont capables de gérer leurs propres affaires et de garder leur distance avec le Conseil national syrien (CNS) qui, en conservant l'appellation «République arabe syrienne», n'entend pas reconnaître les différents peuples de Syrie. Les Kurdes d'Iran («Kurdistan oriental») subissent une répression féroce de la part du régime sanguinaire de Mahmoud Ahmadinejad. Mais la crise déclenchée par le programme nucléaire iranien ne sera pas sans conséquence dans le jeu des alliances et les Kurdes auront leur mot à dire. Les Kurdes du «Sud-est anatolien» pour les Turcs, du «Kurdistan du Nord» pour les Kurdes, opposent, avec un certain succès, une résistance sur le front politique et sur le terrain de la lutte armée, malgré une répression sans précédent dont ils sont l'objet de la part d'un régime dictatorial qui bénéficie toujours de la complaisance des États-Unis et des pays européens. L'exemple turc, considéré un temps comme «modèle» de démocratie pour les pays arabes mérite d'être dénoncé

La répression est rude

Toute la politique nationaliste de la Turquie est basée sur cette nécessité de stopper toute opposition, quelle soit politique ou armée, et de la discréditer aux yeux de l'opinion internationale. La martingale qui a, jusqu'à lors, marché au grand casino du bluff a été de faire inscrire le PKK sur d'hypothétiques listes d'organisations terroristes et de considérer comme terroristes tous ceux et toutes celles qui refusent d'entrer dans cette logique de l'anathème. Mais elle va plus loin depuis le succès sans précédent, lors des élections locales et régionales de mars 2009, du parti pro-kurde, le DTP. Elle l'interdira décembre 2009 (il sera immédiatement remplacé par le BDP), et mettra en place, dès avril 2009, un plan diabolique qui se poursuit encore aujourd'hui, consistant à incarcérer par milliers militants et cadres du parti, parmi lesquels 6 députés, 36 maires, 230 conseillers municipaux, 56 membres du Conseil national (sans compter des dizaines d'avocats et de journalistes, et des centaines d'étudiants et d'enfants).La liste n'est pas close : le 10 décembre dernier, «Journée Mondiale des droits de l'homme» a été marqué par des arrestations massives : plus de cent interpellations dont le maire de Siirt et des responsables associatifs. Et le gouvernement Erdogan n'envisage pas d'en rester là : il demande la levée de l'immunité parlementaire d'une dizaine de députés BDP, ce qui aura pour effet la disparition du groupe parlementaire, dans l'attente d'une probable interdiction du parti (une de plus). Il fait savoir également que le plan «prison» arrêté par la Turquie prévoit une augmentation de 80 000 places portant en 2016 à 203 223 la capacité d'accueil. (A titre de comparaison, la capacité d'accueil, dans les prisons françaises est de 57 236 places).

Les Kurdes ne peuvent compter que sur eux-mêmes

Les indicateurs pour l'obtention de droits démocratiques ne sont pas favorables aux Kurdes qui ne doivent compter que sur eux-mêmes pour obtenir, dans les pays où ils sont rattachés et à la communauté internationale, la reconnaissance de leur identité et ce, quelles que soient les formes de gouvernance qu'ils préconisent. La crise syrienne révèle au grand jour des antagonismes profonds entre puissances régionales, des intérêts divergents entre les grandes puissances mondiales, et aussi une propension à instrumentaliser et à diaboliser les revendications kurdes.

Comment par exemple peut-on feindre d'ignorer les propositions concrètes du parti pro kurde légal, le BDP (membre du PSE et de l'Internationale socialiste) pour résoudre politiquement la question kurde en Turquie ? Comment peut-on feindre de ne pas connaître les offres du leader kurde emprisonné, Abdullah Öcalan, qui est le seul à pouvoir imposer la paix des armes, conditions sine qua non pour ouvrir de vraies négociations? Comment peut-on encore parler de terroristes quand une résistance armée est soutenue par tout un peuple ? Ça rappellera aux plus anciens d'entre nous les heures sombres de notre propre histoire.

Ceux qui dénoncent cette politique répressive et anti démocratique sont maintenant accusés de collusion avec le terrorisme, parce qu'ils participeraient à la mise en place d'un climat peu propice à une résolution de la question kurde ! Que pouvons-nous faire ?

Ecoutez l'histoire entendue au centre culturel kurde de Diyarbakir (le «mékamé» dont plusieurs animateurs sont depuis de longs mois en détention sans jugement) et rapportée par Elie Guillou, (Au Kurdistan. Récits d'Elie Guillou, (voir le site) Chanteur Public – Photographies de Gaël Le Ny et François Legeait):

«Le prophète Ibrahim allait être jeté au feu lorsqu'un lézard s'avança vers le brasier avec une goutte d'eau dans la bouche. Les bourreaux lui demandèrent :

- Que fais-tu là, petit lézard ?

- Je viens sauver Ibrahim.

- Tu penses pouvoir éteindre le feu avec une seule goutte d'eau ?

- Je sais que cette goutte ne suffira pas, répondit-il, mais j'aurai montré mon camp».

André Métayer


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