Les Bretons aiment Paris. Normal Paris est aussi bretonne… et pas qu'un peu. Attaquer Paris, c'est attaquer la Bretagne car Paris est dans le c½ur des Bretons. Bien sûr, les Bretons se plaignent des « abominables » Parisiens qui viennent occuper la Bretagne l'été, tout en, il faut bien l'avouer, les enviant un peu, en sachant que beaucoup sont Bretons ou d'origine bretonne. Les Bretons de Bretagne se plaignent bien sûr, et souvent à juste titre, du centralisme parisien, mais souvent aussi ils n'hésitent pas à dire que Paris est le 6e département breton, tellement la présence bretonne y est importante et cela n'est pas du tout nouveau.
Les exemples sont si nombreux dans l'histoire qu'il faut que je fasse un peu une sélection. Lorsque les Vikings, au IXe siècle, ont attaqué la Bretagne, les moines bretons, portant leurs précieuses reliques, ont trouvé refuge à Paris. Les Bretons ont eu un rôle majeur au Moyen Age dans l'essor intellectuel de Paris : avec bien sûr Pierre Abélard (un Nantais), avec Guillaume le Breton (un léonard, biographe du roi Philippe Auguste). Dans les trois collèges bretons de Paris (ceux de Tréguier, de Léon et du Plessis-Balisson) a été formée depuis le début du XIVe siècle l'élite ecclésiastique et donc administrative bretonne. Les ducs de Bretagne y avaient à Paris et dans sa région plusieurs résidences. Ce sont les Bretons du léonard Tanguy du Chastel qui maintenaient l'ordre à Paris lors de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Ce furent Arthur de Richemont, prince de Bretagne (futur duc Arthur III en 1457) et ses Bretons qui libèrent Paris et sa région de l'emprise des Anglais à la fin de la guerre de Cent ans.
Faisons un petit bond dans le temps. Avec les Fédérés marseillais, les Fédérés bretons prirent le palais des Tuileries le 10 août 1792 mettant ainsi fin à la monarchie parlementaire et permettant l'avènement de la Première République. Avec la Restauration, la noblesse bretonne, indemnisée des confiscations de la Révolution, fit construire à Paris des dizaines d'hôtels particuliers. Ce sont des Bretons qui prirent d'assaut l'Hôtel de Ville de Paris alors entre les mains des Communards (en 1871) suscitant les foudres de Karl Marx.
L'émigration bretonne vers Paris avait déjà commencé. Fuyant la misère dans leur Bretagne, les Bretons purent trouver du travail dans un Paris en pleine restructuration haussmanienne. Des dizaines de milliers de Bretons débarquèrent sur les quais de la gare Montparnasse et travaillèrent pour édifier le métro de Fulgence Bienvenüe (originaire d'Uzel dans les Côtes d'Armor). Et les Bretonnes, par milliers, vinrent y travailler comme bonnes… ou, il faut le dire, comme prostituées. La vie est dure pour eux, dans les usines, les tunnels. En 1883, les Bretons et Bretonnes étaient 12 000 à Paris surtout dans le 14e arrondissement autour de la gare Montparnasse et de l'usine à gaz près de Grenelle (18e arrondissement). Au recensement de 1911, on compta 160 000 natifs de Bretagne dans le département de la Seine et 38 000 dans celui de Seine-et-Oise.
Ces Bretons qui construisent Paris sont de plus en plus parisiens et conservent des liens avec la Bretagne. Beaucoup d'entre eux reviendront au pays profitant des congés payés de 1936. Leur travail acharné commence à payer. Ils ne sont plus seulement man½uvriers, mais aussi fonctionnaires, employés, artisans, commerçants. Et beaucoup deviennent très importants dans la vie politique, surtout au sein du parti communiste parisien. Un Breton signe avec le général Leclerc l'acte de reddition de la garnison allemande de Paris en 1944. Et le flux de Bretons continue vers Paris et l'ascension sociale est au rendez-vous car en Bretagne, on réussit bien à l'école. Les Bretons qui montent sur Paris et qui y restent sont ingénieurs, hauts fonctionnaires, etc.
Certains estiment les Bretons de première, seconde, troisième génération installée à Paris à plus d'un million voire davantage. Qui n'a pas parmi les Bretons de Bretagne d'amis, de parents, de voisins demeurant à Paris prêts à les accueillir. La vie bretonne à Paris est peut-être aussi intense que la vie bretonne en Bretagne. Pour beaucoup de Bretons, celui qui agresse Paris agresse aussi la Bretagne.
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