Le syndrome breton

Papier publié le 7/01/09 4:32 dans Histoire de Bretagne par Louis Melennec pour Louis Melennec

Au cours de ces dernières années, je me suis attaché à mettre un peu d'ordre dans les notes prises au cours de mes lectures, depuis trente ans, sur les désordres psychiques et psychologiques atteignant certaines populations conquises par la violence, et privées de leur culture par la force du plus fort, dans des conditions pouvant constituer un défi aux lois élémentaires de l'humanité, et au respect du aux êtres humains.

Au début de mes recherches, j'ai eu ce que l'on nomme des «intuitions». Puis, les intuitions se sont muées en constats objectifs. Enfin, j'ai pu identifier une entité clinique, à laquelle j'ai donné le nom de «syndrome breton». J'espère pouvoir publier un article sur le sujet dans le courant de l'année à venir.

On sait aujourd'hui que, de même que les névroses individuelles naissent souvent des traumatismes, des stress, des conditions dans lesquelles l'enfant a été élevé - notamment des interdits trop sévères qui lui ont été inculqués -, de même les traumatismes collectifs (les guerres, les défaites, la soumission à d'autres peuples, la destruction de la culture, l'obligation d'accepter celle du plus fort...), peuvent engendrer des troubles psychologiques, des troubles du comportement, chez les vaincus, plus ou moins graves, plus ou moins durables.

La notion de névrose collective est aujourd'hui bien connue (sur Internet, au moment de la présente interview: 149.000 références !). Certes, ce sont les traumatismes récents, non encore «digérés» et neutralisés qui sont les plus meurtriers (la Shoah, le génocide arménien, le génocide rwuandais, le génocide cambodgien...). Mais les traumatismes anciens, même oubliés, peuvent laisser des traces profondes. Ils s'inscrivent dans l'inconscient collectif, pouvant formant des strates qui se superposent.

De même que le comportement de l'être humain peut être conditionné, sa vie durant, par les traumatismes oubliés de la petite enfance, de même la vie des Nations peut être conditionnée par des faits très anciens, dont le souvenir s'est dilué dans le temps.

La Bretagne est un champ d'observation privilégié. Pays libre, indépendant et fier jusqu'à la fin du XVe siècle, elle a été victime de deux invasions militaires françaises, en 1488, puis en 1491. Elle a été soumise dans des conditions drastiques par la France, qui s'est emparée de tous les leviers de commande, dès la mort de la Duchesse Anne et de son mari Louis XII, en 1514 et en 1515. Elle n'a jamais retrouvé sa Liberté, et reste assujettie à son puissant voisin, malgré les progrès du Droit international, et du Droit des peuples à disposer d'eux mêmes, principe fondamental dont la France, par ironie, se déclare le Champion.

Les faits sont assez peu connus, même en Bretagne. Le pays a été privé de sa culture. L'enseignement de l'histoire continue à être interdit dans les écoles. La langue a fait l'objet d'un assassinat pensé et voulu au XIXe siècle, de sorte qu'elle a été quasi éradiquée, et qu'elle est en train de mourir, au moment où nous parlons.

Le syndrome breton est constitué des manifestations psychologiques qui atteignent ou ont atteint une partie de la population, à la suite des traumatismes liés aux invasions de 1488 et de 1491, aux conditions humiliantes de l'annexion de 1532, à la répression féroce de 1675 (révolte des bonnets rouges), et surtout de la destruction de la Bretagne autonome en 1789, suivie de l'écrasement mental des cerveaux de 1789 à 1950, période durant laquelle la langue et la culture ont été détruites par le pouvoir central, qui a réalisé une «lobotomie», avant même l'invention de la neuro-chirurgie.

L'un des symptômes : la rumination mentale, qui fait que des centaines de milliers de Bretons ne peuvent chasser de leur cerveau les injustices et la persécution dont la pays a été victime, et continue à l'être. Ce symptôme ne touche qu'une partie de la population : ceux qu'on appelle les militants, ceux dont la passion est l'histoire de la Bretagne, ceux qui luttent pour sortir la Bretagne de son statut actuel, extrêmement humiliant.

Le second symptôme est la haine et la honte de soi. Il a été observé chez toutes les Nations humiliées et persécutées. Chez les juifs, il a été décrit par de nombreux auteurs, en particulier, d'une manière admirable, par Albert Memmi. Ce symptôme a été quasi général en Bretagne, et très douloureusement ressenti au XIXe siècle, et pendant la première moitié du XXe siècle. Il a aujourd'hui disparu. Les jeunes ont aujourd'hui, par réaction sans doute, un très fort sentiment d'appartenance, en même temps que de fierté d'être Bretons. Mais ceux qui, nés avant 1950, ont vécu la persécution linguistique et culturelle perpétrée par la France, en conservent un souvenir cuisant (je fais partie des survivants, ce qui me permet d'en parler).

Ma formation psychiatrique et psychanalytique (1), et ma passion pour l'étude des sociétés et des mentalités m'ont conduit à explorer, à travers la littérature, les dégâts psychiques nés de l'acculturation ou de la persécution culturelle des Incas, des Aztèques, des Inuits, des Aborigènes d'Australie, des Juifs, des Arméniens, et d'autres peuples qui, comme le nôtre, ont été défaits militairement, humiliés, privés de leurs droits, bafoués, interdits de pratiquer leur culture, de parler et de transmettre leur langue à leurs enfants.

Sur le terrain, j'ai vécu ma propre expérience personnelle, celle de ma famille, ma scolarité en pays Bigouden - entièrement bretonnant à l'époque -, les témoignages recueillis en Basse Bretagne, le tout conforté par des lectures nombreuses, dont celles des travaux des psychiatres bretons (les docteurs Caro et Carrer, notamment), sur les conduites «addictives» et les suicides en Bretagne... J'ai eu des entretiens nombreux avec des psychiatres juifs, très bien informés de ces problèmes, pour les avoir vécus pendant deux mille ans à travers leur peuple, notamment avec mon collègue le docteur Ludwig Fineltain, expert psychiatre près la Cour d'appel de Paris (de cet auteur, voir, en particulier, sur Internet, «Les syndromes des survivants de la Shoah»).

La moisson des faits recueillis et des constatations faites est impressionnante. Mes travaux recoupent, d'une autre manière, ceux des autres auteurs, en les complétant et en les amplifiant.

Nous sommes menacés d'une aggravation de la situation. Deux personnages, situés au sommet de l’État français, se sont vantés de leur intention de ne pas faire réviser une Constitution obsolète, de conserver à la langue française son statut de langue officielle de la «République», c'est-à-dire d'interdire, en pratique, la transmission de notre langue dans les écoles bretonnes, que nous construisons avec nos deniers, et de nous priver de l'aide des maîtres, instituteurs, professeurs formés et payés avec nos impôts, c'est à dire le fruit de notre travail. Si nous n'agissons pas auprès des Instances internationales, la langue bretonne sera morte avant trente ans, quels que soient les efforts de ceux qui consacrent tout leur temps à tenter de la sauver. Nous n'avons rien à attendre de ce qu'il est convenu d'appeler «l'hexagone». Seul un statut «écossais» ou «catalan» peut nous sauver.

Docteur Louis MELENNEC, ex-consultant près le Médiateur de la République française.

A Paris, le 27 juillet 2007.

(1) j'ai été le dernier élève du docteur Hesnard, Breton de Pontivy, l'inventeur de la psychanalyse en France, auteur du premier ouvrage publié en langue française sur «La psycho-analyse des névroses et des psychoses » (Alcan, 1914), puis de Juliette Favez Boutonier, professeur à la Sorbonne, tous deux ex-présidents de la Société française de psychanalyse, enfin du professeur Bourguignon, auteur d'une monumentale traduction de l'oeuvre de Freud.


Vos commentaires :
yves le mestric
Vendredi 15 novembre 2024
Excellentes investigations. La lecture de cet article me ramène plusieurs points particuliers en mémoire sur les conflits mentaux que ce syndrome provoque. Pendant très (trop) longtemps j'étais persuadé que les Bretons étaient «impropres au commerce et à l'instruction» et que «l'appartenance à la France de la Bretagne est une bonne chose». A tel point qu'un jour, étudiant à Lille, alors que certains Chtimis me demandaient d'ou je venais je leurs dis que j'étais Breton. J'ai dû prononcer ces mots d'une façon où ces maximes transparaissaient, puisque plusieurs d'entre eux me répondirent «tu n'a pas à en avoir honte, au contraire». Ce fut l'élément déclencheur pour remettre en question l'instruction de mes maitres. En effet, ces sentences ne sont pas le fruit du hasard. Un jour parlant du passé prospère de la Bretagne du temps de sa liberté, un bon ami (Breton) que je n'hésiterais pas à qualifier de cultivé me répondit :«Ah bon, mais les Bretons ne sont-ils pas impropre au commerce ?».

En apprenant que Michel Rocard avait déclaré que les Français étaient des techniciens et non des commerçants, je ne peux m'enpêcher de penser que ces maximes bretonnes sus-citées ont été diffusées par les Bretons eux-mêmes plus ou moins consciemment pour affirmer leur volonté d'intégration à la nation française (ce fut mon cas). En quelque sorte, en affirmant la première sentence (impropre au commerce) on justifie la seconde (une bonne chose). Cependant la simple instruction sur l'histoire économique de la Bretagne fait s'anéantir la première idée - on retrouve même dans Don Quichotte (1605) la réputation de commerçants indécrottables des Bretons. Par voie de conséquence la seconde idée vole en éclat: «ce fut un grand malheur pour la Bretagne d'être annexée par la France».

Néanmoins, aujourd'hui, la pensée dominante de la gauche française connote péjorativement le commerce et la mouvance autonomo-indépendantiste bretonne est imprégnée d'idée de gauche «à la française».

Le principe de commerce est, à mon avis, prépondérant car il permet à tout un chacun de pouvoir atteindre une certaine prospérité par son propre effort et par là, il permet de laisser s'exprimer la fierté, dont a besoin l'estime de soi pour enfin être ce que l'on est: «ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul» Cyrano de Bergerac.

Le système français en voulant palier la faiblesse de l'identité française (non commerçante) est surtout diffusé par la gauche à la française par un système social omniprésent, très couteux et inefficace (seul 50% des chomeurs sont indémnisés, les jeunes encaissent le plus les inégalités). La droite à la française, quand à elle, l'utilise pour assurer l'impérialisme parisien. En d'autre terme, le consensus colonial français trouve ses meilleurs défenseurs à gauche que l'interview d'alain souchon dans Telerama du 24/09/08 illustre parfaitement: «- Les journalistes: [...] vous chantez en arabe sur ce disque. - A. Souchon: J'ai beaucoup de tendresse pour les gens de là-bas, les vieux qui sont assis, cette autre civilisation tout près de nous que nos grands-parents ont bousculée, pas méchamment, avec la colonisation ...».

Alors que Sarkozy, qui se présentait comme le défenseur du pouvoir d'achat, se révèle être le champion des nouvelles taxes et des augmentations d'impots; il se trouve sur un boulevard peuplé de techniciens ou d'intellectuels à l'éthique hypocrite. Une des dernières moutures de cet Ultima Ratio Res Publicae Banania, fut la volonté de taxer les travailleurs bénévoles des associations. Comment utiliser l'omnipotente ethique sociale pour renflouer les caisses vides de l'état tout en «bousculant, pas méchamment» l'expression culturelle Bretonne.

Maintenant, quand j'entends parler de social en France, «je sors mon revolver».


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