Ne vous fiez pas, exclusivement, aux poétiques ornementations graphiques et picturales qui, par la richesse de leurs teintes ou la précision de leurs traits, ornent oniriquement le Digipack cartonné et le livret qui, respectivement, contient ou éclaire, grâce à l’intégrale publication des textes des chansons interprétées, le nouvel et 10ème opus solo de Gérard Delahaye.
En effet, accompagnées des mises en couleurs d’Olwenn Manac'h, graphiste du Centre Bretagne, si les acryliques sur toile de lin, signées du talent de Marie Amalia, apparaissent en parfaite osmose avec le titre donné par l’auteur-compositeur-interprète bretillien (Gentilé des habitants d’Ille-et-Vilaine) à son nouveau recueil musical, à savoir, « Jardin d’Eden », leur style artistique, plutôt naïf, pourrait, quelque peu, vous leurrer sur le réel et substantiel contenu des chansons composées, textes et musiques, par l’artiste.
En effet, Gérard Delahaye ne chante pas des « bluettes » et si son expression incontestablement fort poétique reste omniprésente, elle n’est point mièvre et porte, avec beauté, choix et mesure du verbe, du vers, l’évident, profond et tangible contenu de ses textes.
Face aux couleurs vives, vivifiantes… vitales d’un monde idyllique qu’il continue à nous faire percevoir, le chanteur ne nous en cache, néanmoins pas, les ombres, les noirceurs.
Les indignations, les mélancolies, mais aussi, les sourires, s’y côtoient dans un climat de sereine lucidité qui est l’une des qualités de cet album.
[…]
« C’est pas loin d’un jardin d’Eden
C’est tout près d’un réveil éveillé
On se disait que ce serait pour l’éternité. »
[…]
[…]
« Tous ces bons moments qui flottaient au fil du temps
Tous ces jolis jours qui devaient durer toujours ! »
[…]
- (Extrait du titre éponyme « Jardin d’Eden ».)
Synthétisant, mieux que nous, l’état d’esprit artistique qui charpente cet enregistrement, répondant à Baptiste MEBROUK, au micro de l’émission « Circuit Bleu - Côté Culture », diffusée sur France Bleu Breizh Izel, Gérard Delahaye précisait, ainsi, ses réflexions et intentions créatrices :
« Je crois que l’on vit dans un monde extrêmement beau, on vit dans la beauté, dans l’extraordinaire, puis, sans cesse il y a des choses qui viennent casser, troubler et souiller cette beauté et cet extraordinaire et il faut lutter pour essayer de conserver ce jardin qu’est le monde et notre vie dans ce monde. Donc je décris, à la fois, des bonheurs et, en même temps, des choses plus sombres : Comme je dis, parfois, lors de mes dédicaces, il y a des fleurs, des belles fleurs qui sentent bon et puis il y a des fleurs pas mal vénéneuses, dans notre monde ; il faut s’en arranger, il faut essayer de trouver l’équilibre entre tout cela. »
Dans la droite ligne de précédents albums « Rue Poullic al Lor », paru en 2012, ou, plus encore, dans la filiation de « La Ballade du Nord Ouest », publié en 1997, baigné de violon, flûtes, guitares, basse et contrebasse, uillean pipe, viole de gambe, calebasse, godjé, percussions, « Jardin d’Eden » nous offre dans une coloration plus ou moins celtique, selon les plages, une douzaine de chansons créées au cours de ces cinq dernières années.
Tout au long du programme, la Bretagne est présente. Même si elle n'est pas toujours, clairement, nommée, elle est, néanmoins, assez fréquemment, évoquée.
[…]
« Ça s’est passé en Bretagne,
Au bout de la mer verte et bleue. »
[…]
- (Extrait de « Galaxie libellule ».)
[…]
« L’avez-vous vue ? Longtemps je l’ai cherchée
Au Menez Horm.»
[…]
- (Extrait de « Au Menez Horm ».)
[…]
« Avant de monter sur les planches
La chanteuse de fest-noz
Choisit dans un écrin de soie blanche
Un collier de perles roses
Dehors, il pleut des hallebardes
Dedans il fait soleil
Les mille rayons des bombardes
Illuminent la grisaille. »
[…]
- (Extrait de « Fest-noz ».)
De surcroît, sur un arrière plan musical celto-breton, des motifs traditionnels, sont parfois, précisément, « insérés », comme le reel irlandais « The Tempest », dès le premier titre « L’âge d’or », l’air à danser breton « Dañs Ar Podoù-Fer », qui conclue « Fest-noz » ou la composition du flûtiste Jean-Luc Thomas, « Jakez Pier’s Reel » pour, en plage 3, « Shakespeare is not dead ».
Au-delà de ce véloce flûtiste, susnommé, pour donner corps à « Jardin d’Eden », Gérard Delahaye s’est entouré d’une pléiade de talents, parmi lesquels, les amis de toujours, Patrick EWEN et Yvon LE MEN qui lui répondent dans « Shakespeare n’est pas mort » et Dan AR BRAZ, particulièrement « Dan, guitare hero », dans ses celtiques et électriques spires qui « virgulent » le bluesy « Ménez-Hom ».
Au fil des titres, les choristes ont, aussi, une importance majeure, en donnant volume, velouté, évanescence, aux divers tableaux musicaux et textuels.
De base stylistique folk, ces 12 nouveaux titres sonnent, de facto, plus pop-folk, grâce à l’apport des talentueux jeux de musiciens haut de gamme.
N’oublions pas que Gérard Delahaye est un excellent mélodiste dont les compositions méritent l’ampleur et l’ornementation de fins arrangements, à partir du moment où ces derniers ne débordent pas des chemins choisis par ce remarquable auteur-compositeur-interprète breton de la chanson francophone.
C’est le cas, pour ce disque « Jardin d’Eden » et nous pensons qu’il est temps et juste de vous présenter, l’ensemble de ces instrumentistes et choristes qui contribuent une réalisation aboutie de ces variés paysages sonores.
L’étendue des « pupitres » est édifiante et vous laisse présumer de la gamme des registres sonores abordés qui font la beauté et l’harmonieuse diversité de l’opus.
Gérard DELAHAYE : chant, guitares, programmations.
Cédrick ALEXANDRE : basse et contrebasse.
Dominique MOLARD : percussions
Jean-Luc THOMAS : flûtes.
Gabriel FAURE : violon.
Dan AR BRAZ : guitare électrique.
Marie Suzanne DE LOYE : viole de gambe, dessus de viole.
Paul LECLERC : uillean pipe.
Patrick BOILEAU : batterie.
Barri BOUBACAR SOULIMANE : calebasse, godje.
Elsa PIERRY GRAMMARE : chœurs.
Fabienne OGIER GUILLOU : chœurs.
Lisa MENETRIER : chœurs.
Linda HONORE : chœurs.
Si nous avons savoureusement apprécié tous les titres de ce programme, notre attention a été particulièrement, captée, en plage 3, par « Shakespeare is not dead », qui relate les pouvoirs des princes bâtis sur les trahisons, retournements d’opinions, mais aussi, étendu pour le tout un chacun, les paroles données puis envolées, les rapports de force, les déchirements entre héritiers « pour un tapis, pour un empire », les agresseurs, les terroristes…
Dans cette chanson, Gérard rappelle, aussi, à notre mémoire, les maux dits « sociétaux », avec l’évocation du pont du Bouguen, à Brest, synonyme de pont des suicidés, les ravages de la drogue, les drames familiaux pour deux lingots, comme dans l’affaire Troadec…
[…]
« Mais il y a le songe d’une nuit d’été
Les amoureux, les rires, les fées
Shakespeare is not dead ».
[…]
Comme pour l’ensemble des chansons du disque, nous vous le disions dès l’orée de notre chronique, le propos est loin d’être naïf, mais serein, objectif, toujours, humble et porteur d’espoir. La mélodie de cette chanson y est, d’ailleurs, joyeuse, dansante, puisque calquée sur un reel.
Viennent s’adjoindre au chant de Gérard Delahaye, les espiègles interventions du conteur, chanteur et musicien breton, Patrick Ewen et du poète et écrivain trégorrois Yvon Le Men.
Tous deux portent merveilleusement l’idée de ce contrepoint possible que, ne pouvant pas tout changer, on se doit d’envisager face à cette quotidienne dramaturgie existentielle.
« To be, or not to be, that is the question ».
Telle est, en effet, la question que se pose Hamlet, après avoir jeté son regard dans le tréfonds de l'existence et avoir reconnu qu'il ne pouvait rien changer à la malhonnêteté des gens et à l'immoralité du monde.
Empreint d’un même réalisme, nous avons retenu la chanson suivante, « Ainsi soit-il », dénonçant les religions qui tuent et ceux qui, quelque soit l’« enseigne idéologique », en leurs noms, commettent les pires actes.
« Au nom de tous les crucifiés,
En ton nom,
Au nom de tous les torturés,
En ton nom
Au nom des décapités,
Des bombardés, des explosés
Au nom de tous les enchaînés
A des 4X4 tirés par les pieds.
[…]
[…]
Quelque soit ton nom,
Reste dans ton paradis.
Laisse-nous tranquilles ?
Et ainsi soit-il. »
[…]
Sans haine, la voix prenante de Gérard Delahaye nous dit tout, nous chante l’essentiel, sur des programmations et chœurs qui semblent porter aux cieux, eux aussi, « bien spirituellement, pollués »… cette « contre-prière ».
En plage 9, sous le titre, « La guitare de Gao », un détour rythmique et mélodique par le Mali, nous semblant être âme musicale sœur avec le soudanais « C'est déjà ça », d’Alain SOUCHON, nous a séduits, de par sa coloration instrumentale, où s’expriment, notamment, calebasse et godjé, mais, également, par l’excellente interprétation chantée ou parlée de l’artiste, ainsi que par la teneur et la qualité de son propos.
Le livret stipule qu’il s’agit d’une histoire vraie.
« C'est une histoire qui est née il y a une dizaine d'années. Triste aventure pour un musicien, triste fin pour un instrument, belle et terrible histoire », précise Gérard Delahaye, sur une page spécifique de son blog officiel que nous vous invitons à rejoindre (Voir site) pour mieux appréhender la genèse de cette belle et prenante création.
Cette chanson met en exergue les exactions que commettent les franchises locales d'Al-Qaïda et du groupe Etat islamique, au travers de l’histoire d’un musicien nommé Barri, « Qui venait du Niger, qui venait du Mali », possédant une enchanteresse guitare reçue en cadeau et devenue, aux yeux de fanatiques « guitare du diable ».
[…]
« Mais malheur pour elle, malheur pour lui,
Ils sont partis jouer dans le nord du Mali.
Voilà des hommes en armes couverts de sang, de flammes,
Qui font régner la peur sous le nom de l’Islam
Lui on dit trois mots.
Sa guitare est morte à Gao.
Donne moi ta guitare cet instrument du diable
Je la prends je la soulève je la balance dans le sable
Je m'en vais la faire chanter moi oui écoute bien
Je l'écrase sous mes pieds pour chasser le malin
En petits morceaux
Sa guitare est morte à Gao. »
[…]
Vous le constatez, tout au long de cette chronique nous avons, assez largement, illustré nos impressions avec nombre de citations textuelles de l’auteur, considérant que Gérard Delahaye, apparaît, au travers de cet enregistrement, comme un véritable poète, ni poète « pouet pouet », comme il y en a tant, ni prosélyte versificateur aveuglément encarté, comme il y en a, aussi, pléthore, mais comme un objectif, crédible et sage auteur-journaliste qui relate, avec son blanc et noir, la contemporanéité de notre monde.
Nous vous conseillons, vivement, ces près de 51 minutes de réelle et objective acuité, de grande sérénité, de sagesse, parfois, de mélancolie, qualités qui, entre autres, imprègnent, ces douze titres, tous, chargés de sens.
« Jardin d’Eden » est un très bel album, où les atmosphères naviguent de la Bretagne au Mali, en passant, toujours, rassurez-vous, par ce possible et légendaire jardin des délices.
Vous serez, sans nul doute, séduits par les textes, les mélodies et l’interprétation de ce, toujours, jeune artiste… au demi-siècle de scènes et de disques (son premier 45 tours remonte à 1972) qui sait actualiser son regard, ses mots et ses notes pour mieux narrer, sans concession, mais avec avec circonspection, décence, discernement, notre présent.
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : Gérard Delahaye - «Au Menez Hom» - Extrait de 01:04.
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
Les titres du CD «Jardin d'Eden» :
01. L'âge d'or - 03:57.
02. Un jardin d'Eden - 04:37.
03. Shakespeare is not dead - 04:40.
04. Ainsi soit-il - 04:07.
05. Galaxie libellule - 04:44.
06. L'amour et l'eau fraîche - 03:54.
07. Le collier des jours - 04:12.
08. Au Menez Hom - 03:56.
09. La guitare de Gao - 04:48.
10. D'abondance et de liberté - 04:30.
11. Fest noz - 04:05.
12. Sonnez les clochers - 03:18.
CD «Jardin d'Eden»
Gérard Delahaye.
Parution : Février 2022.
Production : Dylie Productions (Voir site)
Distribution : COOP BREIZH (Voir site)
Référence : 4016451.
Le site Internet de Gérard Delahaye: www.gerarddelahaye.fr (Voir site)
© Culture et Celtie
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